samedi 8 octobre 2011

LA QUESTION DU « GENRE » OU LA DÉFAITE DE L'HOMME HÉTÉROSEXUEL EN OCCIDENT (Jacques Arènes)


 " Nos sexes sont en bataille dans toutes les vitrines des librairies,     
sur tous les grands écrans en couleur, dans tous les journaux…
Faut se reconnaître dans chaque violeur, sentir dans son tréfonds des racines pourries qu’on ne possède pas forcément,
s’aliéner avec désinvolture devant le Problème. "
Robert Lalonde 1
1 - Auteur québécois, cité pa r Jacques Grand’ Maison, sociologue , Université de Montréal, dans La Révolution affective
  et l’homme d’ici, Site web : http://classiques.uqac.ca/ )

Bon genre, mauvais genre…

La différence hommes/femmes est évidemment une donnée
factuelle, celle de l’existence des mâles et des femelles. Mais,
dès que l’on s’éloigne de l’évidence anatomique pour explorer
les sentiments, les comportements, les représentations de
l’un ou l’autre sexe, on s’engage sur un chemin miné. Les différences
que l’on s’efforce alors de décrypter sont-elles encore
de l’ordre de la nature ? Autrement dit, sont-elles fonction du
conditionnement biologique ? Ou bien sont-elles d’abord un
fait de « culture » dans lequel se reflètent les conditionnements
sociaux, culturels et religieux, avec les rapports de
pouvoir et de domination que l’on connaît ? C’est un débat
dans lequel il est devenu difficile d’éviter les positions passionnelles.
Que l’on insiste sur certains aspects de la diffé
rence homme/femme, et l’on est taxé de naturaliste, voire
d’« essentialiste ». La tendance actuelle va plutôt, au contraire,
dans le sens d’un « constructivisme », où les thèmes liés à la
sexuation sont considérés comme des représentations culturelles
qui n’ont rien à voir avec une quelconque donnée
naturelle.
Dans cette évolution, qui mit progressivement à distance
la notion de « nature », pour valoriser de plus en plus la
« culture », a émergé la notion du gender (le « genre »),
d’abord du côté des « psy » : selon le psychanalyste américain
Robert Stoller, le sexe renvoie à un domaine biologique et le
genre est un état psychologique faisant référence à la masculinité
et à la féminité, c’est-à-dire à la manière dont chacun
s’approprie psychiquement son sexe 2. Mais la pensée féministe
tira la notion de « genre » du côté du « sexe social » : le
genre désigne la représentation culturelle du sexe. On admet
alors l’invariance du sexe, mais on étudie la variabilité du
genre, socialement construit.
« L’inégalité » de fait entre hommes et femmes s’exprime
dans des domaines observables, et même dans celui
des maladies qui atteignent inégalement les sexes. En revanche,
de nombreux aspects de la souffrance psychique et des
comportements dits « à risque » détiennent des traits où le
psychosocial prend le pas sur le biologique : les femmes sont
plus souvent affectées par la dépression, et les hommes ont
plus tendance aux comportements violents et « à risques 3 ».
Cette diversité des comportements et des attitudes s’ordonne
pour partie dans la sphère biologique, et aussi, très largement,
dans tout le champ imaginaire et symbolique, issu de
la culture. La discussion autour de la naturalité du masculin
ou du féminin est « piégée » parce que complexe, mais aussi
en raison de l’impossibilité d’évoquer aujourd’hui d’autres
hypothèses que celle de la construction culturelle. Les gender
studies anglo-saxonnes, nées dans la lignée du féminisme,
étudiaient et dénonçaient utilement les constructions culturelles
liées au genre. La gender theory va beaucoup plus loin,
et remet profondément en cause la notion même de genre. La
question homosexuelle, en particulier, devient le lieu du refus
de « l’hétérocentrisme », c’est-à-dire de la centration de la
culture sur l’hétérosexualité.
La problématique de la gender theory a ainsi glissé du
refus du monde patriarcal au rejet du modèle hétérosexuel.
Les théories traditionnelles du psychisme sont accusées
d’inscrire dans l’ordre anthropologique et symbolique des
données hiérarchiques instituées. La psychanalyse est dénoncée
comme relais des religions et de l’oppression hétérosexiste.
Elle serait gardienne du fonctionnement normatif
cherchant à imposer la « pureté sans reste et sans déchet » de
la norme hétérosexuelle 4.
La revendication d’égalité entre sexes, se déployant
sur un registre classique de différenciation assez claire des
sexes, fait place progressivement à une logique de l’indifférenciation.
Les théories du gender récusent toute portée
significative non seulement du genre, mais aussi de la sexuation
en tant que donnée a priori, dans un constructivisme où
plus rien de ce qui est « nature » n’est accepté. La culture
« genrée » étant ordonnée aux pouvoirs (patriarcal et hétérosexuel),
la norme est donc l’expression de l’oppression.

La question « gay »

Pourquoi la question homosexuelle prend-elle aujourd’hui
tant de place dans notre culture, eu égard à la proportion de
personnes concernées ?
Le catalyseur historique fut l’épidémie du sida, qui a
positionné le monde homosexuel masculin comme victime
très réelle d’une hécatombe. Avec le sida, l’imaginaire collectif
de l’homosexualité a profondément changé. La réelle souffrance
de la communauté homosexuelle a instillé dans l’inconscient
contemporain l’idée de l’homosexuel comme victime.
La mauvaise conscience par rapport à une telle épidémie a inspiré
dans nos inconscients l’idée d’un mal « homophobe ». La
souffrance des homosexuels dans ces années-là a télescopé la
mauvaise conscience plus ou moins homophobe du monde
occidental. Nous avons découvert, et rejeté, l’homophobie en
même temps que les ravages de l’épidémie. S’est institué progressivement
un discours revendicatif de type victimaire chez
une partie des homosexuels, qui se sont eux-mêmes progressivement
de plus en plus définis comme communauté.
La période-charnière est celle des années 1970, quand
le monde homosexuel est sorti du placard, avec l’émergence
de l’identité homosexuelle et des problématiques communautaires 5.
Si le terme « homosexuel » existait auparavant,
Foucault le souligne, « ce qui existait, c’était la sodomie », un
certain nombre de pratiques sexuelles condamnées, mais
l’individu homosexuel « n’existait pas 6 ». Dans les luttes
autour des sexualités au cours des années 1970, l’homosexualité
devient une question identitaire. Le livre de Guy
Hocquenghem, Le Désir homosexuel 7, est, à cet égard, prophétique
de ce que sera la théorie du gender vingt ans plus
tard. Selon lui, l’homosexualité n’est pas une sexualité parmi
d’autres, mais un lieu de subversion de la « normalité ». Le
désir homosexuel comme le désir hétérosexuel seraient des
découpes arbitraires du flux polyvoque du désir. Foucault,
dont l’oeuvre fut centrale dans les élaborations de la gender
theory, soutiendra le côté subversif de l’homosexualité, qui
s’exprimerait dans l’invention de nouveaux modes de vie. Il
eut l’intuition que la production d’une esthétique de l’existence,
d’un mode de subjectivation gay faisant appel à une
pratique de soi, pour partie empruntée au modèle antique,
serait le centre d’une (r)évolution 8. Dans la logique foucaldienne,
la sexualité, comme la folie, est l’objet de pouvoirs
tendant à exclure les formes déviantes – ce qui justifie des
luttes révolutionnaires 9. Les frontières du politique s’élargissent
alors pour annexer le lieu de la sexualité, de la filiation et
de la famille 10.
Le changement personnel n’est plus centré sur le désir
sexué, et donc sur le manque. Dans la perspective « classique
», psychanalytique, l’autre sexe est du registre de ce qui
vient toujours à manquer. Pour les théories du gender, les
pratiques du corps et des plaisirs sont essentielles à une festivité
refusant le manque 11. Dans une culture dépressive, la
sexualité va concrétiser cette fuite de l’angoisse du vide et va
tenter d’inventer un nouvel espace où le plaisir débordera la
sexuation pour devenir flux de création. Dans l’érotisation
sacrale de notre société, le modèle gay, où le plaisir sexuel
investit l’espace public, devient un enjeu de transformation
de la société elle-même. Foucault avait été frappé par la
remarque de l’historien de l’Antiquité Peter Brown quant au
fait qu’au cours des siècles, depuis l’avènement du christianisme,
la sexualité avait pris une telle importance comme
sismographe de la subjectivité. Dans cette perspective, le
Vatican, comme les mouvements gay, ne s’y trompent pas.
L’homosexualité n’est pas une question périphérique, eu
égard à d’autres problèmes apparemment plus graves dans la
marche de notre monde. La subjectivité occidentale est suspendue
à la question sexuelle, et le paradigme homosexuel
occupe la pointe du règne d’une érotique où la jouissance se
libère de la sexuation.
Cette diffusion d’un sexuel non différencié se configure
alors au neutre par lequel la vie amoureuse est pure production
de plaisir, sans marque de sexuation 12. Le modèle
gay affirme le principe qu’« aucune identité n’est jamais définitive,
mais toujours un exercice d’exploration et de construction
de soi 13 ». Cette optique s’accorde parfaitement avec les
parcours de subjectivation des individus de notre époque,
complexe et fragile.
Ce voeu de transformation du monde, où le langage
sur les sexualités est censé transformer le genre et le sexe, est
potentialisé par la virtualisation de la réalité rendue possible
par la prolifération des images et des techniques. Si, dans la
gender theory, la représentation prime et que l’autotransformation
devient une valeur en soi, c’est parce que la dynamique
de la représentation se détache de son ancrage corporel :
le corps lui-même apparaît comme virtualisable et
remodelable.

La défaite du mâle hétérosexuel

Les essais et réflexions sur la question masculine ne furent
jamais très nombreux, probablement parce que le sexe masculin,
étant l’Un par rapport auquel devait se définir son
autre – le féminin –, il ne semblait pas nécessaire d’en parler.
Il paraît pourtant urgent de réfléchir à la question masculine
pour comprendre l’apparition de la gender theory. Les trente
dernières années ont vu, dans notre culture, la société s’extraire
du patriarcat. C’est là le « creux » de la question gay,
co-émergeant avec le déclin de certaines figures du mâle
hétérosexuel qui sont même devenues haïssables. La question
masculine n’est pourtant pas nouvelle. On peut déjà repérer
les interrogations intenses du monde masculin entre 1870
et 1914 face à l’irruption de ce que certains appelaient la
« nouvelle Eve 14 ». Cependant, le carnage de la Première
Guerre mondiale – honneur aux guerriers décédés oblige – a
mis pendant des années en veilleuse la montée féminine.
C’est donc dans les trente à cinquante dernières années que la
« libération » de la femme fut conjointe à une difficulté grandissante
de positionnement des hommes.
Les changements des « conditions » masculines et
féminines sont bien connus et complexes, la sortie du patriarcat
familial étant concomitante d’une domination masculine
encore très réelle dans l’univers économique et politique. Ce
sont en fait certaines images du masculin qui disparaissent.
La figure du « bon » guerrier, par exemple, s’est pour partie
effacée de la filmographie actuelle, sauf dans les films de
« mauvais » garçons, où l’hypermâle est en fait plus un transgresseur
qu’un type humain réellement valorisé. L’image de
ce qui est acceptable de la part d’un homme a évolué 15. La
force de caractère, par exemple, est admise, mais non la
conquête agressive. Certaines « niches écologiques » du masculin,
dans sa forme plus agressive, demeurent cependant
très vivantes, comme dans le monde sportif qui fait figure de
nouvelle « maison des hommes 16 ».
Une partie de la littérature occidentale parcourt les
difficultés du sexe masculin et de la paternité, comme notamment,
aux Etats-Unis, Russell Banks, Richard Russo, Richard
Ford, Paul Auster. Réapparaît d’une manière insistante la
même image de la transmission impossible entre père et
enfant, de la souffrance de subjectivation des adultes masculins,
et d’une impossible relation hétérosexuée.
Le contraste entre le discours social de dénonciation
de la domination masculine, qui est une figure imposée du
« politiquement correct », et ce qui est entendu en cure psychanalytique
s’avère sidérant 17. D’un côté, les hommes analysants,
issus de classes favorisées, surtout ceux qui se situent
dans la tranche d’âge des 40-60 ans, tiennent un propos
culpabilisé de l’ordre de l’autodénonciation, voire de la haine
de soi : ils n’ont pas su être à l’écoute de leur compagne, ni
leur parler d’ailleurs, et ils n’ont pas trouvé la manière de
s’occuper de leurs enfants. D’un autre côté, le monde social
montre, notamment dans les classes les plus défavorisées,
une réelle volonté de domination masculine, assortie d’une
amertume liée à la réussite scolaire des filles18. Cette réalité
contrastée dépeint le tableau d’une différence nette entre
classes sociales et générations : certaines classes d’âge sont
marquées par la conflictualité entre sexes (les 40-70 ans),
d’autres s’avèrent plus pragmatiques, certaines jeunes femmes
s’accommodant ainsi, non sans fatalisme, de l’inconsistance
d’une partie de leurs congénères masculins. Par
ailleurs, la plupart des jeunes adultes écoutés en psychothérapie
ne souffrent pas, loin s’en faut, de l’écrasement paternel.
Leur problématique est souvent inverse : une évidence
massive du maternel, et un côté clignotant de l’imago paternelle.
La nostalgie du père, et du corps du père, est un trait,
parmi d’autres, de l’homosexualité masculine : c’est en cela
aussi que la question gay rejoint l’interrogation générale de
recherche et de perte de la figure paternelle d’une partie des
générations émergentes.

Le goût du masculin

  Par ailleurs, nous expérimentons une dissociation des différents
lieux et temps de la vie conjugale et familiale. Le couple
n’est plus une donnée nécessaire à l’éducation de l’enfant, la
monoparentalité étant souvent un temps d’une vie ayant des
séquences biparentales et monoparentales. Cette vie dédifférenciée,
saccadée, parfois solitaire, se voit livrée au
rythme du tropisme de la rencontre, mais n’est plus ordonnée
à la construction de la famille institutionnelle.
Le masculin était au centre de l’échafaudage contraignant
du patriarcat, au coeur d’un monde voué à la transmission
et à une verticalité qui n’a plus lieu d’être dans nos
horizontalités éclatées 19. L’édifice patriarcal ne tenait évidemment
pas seulement par le Père, mais aussi par d’autres
éléments, comme le désir de transmission, partagé par hommes
et femmes. Le monde d’avant ne mérite pas l’opprobre
dont il est aujourd’hui stigmatisé. S’il fut l’univers de la
domination masculine, il fut tissé de relations vivantes entre
hommes et femmes, où existaient aussi du goût et du plaisir.
Le monde de l’inégalité n’était pas un monde mort, et il était
traversé par une dynamique d’égalité dans laquelle le judéochristianisme
a eu son mot à dire 20. Mais il est sûr que ce
rejet d’un certain type de rapport – en partie fantasmé – au
mâle hétérosexuel, d’une certaine figure de l’autorité, est le
moteur central du refus du « monde d’avant ». Ce monde
hérité, transmis, est perçu comme non transformable et non
fluide ; les hommes souvent se récrient devant l’idée qu’ils
puissent être assimilés à toute figure de contrainte. Il s’agit
d’être souple et de passer son temps à négocier avec son
adolescent(e) pour arriver à lui faire comprendre des banalités
éducatives. Dans une culture où rien ne doit être imposé,
le modèle « dé-différencié », où le choix d’objet peut aller
aussi bien du côté de l’homosexualité que de l’hétérosexualité,
sert de paradigme de la fluidité obligatoire. Ladite fluidité
échappe à toute définition a priori. Tout est possible et
négociable. Mais tout est aussi enjeu implicite de pouvoir. Le
monde « neutre » de la fluidité n’est plus un donné, mais un
espace où chacun s’exerce à sa puissance.
Il s’agit donc d’initier une réflexion sur le masculin :
non pas en opposition à ceux qui assiégeraient une citadelle
bien mal en point ; mais dans le désir de construire une vision
de la « maison des hommes » qui ne serait pas celle d’un lieu
de violence envers les femmes ou envers ceux qui ont une
orientation sexuelle différente. La « maison des hommes »
est, selon la vision du gender, un lieu d’apprentissage de la
souffrance et de la haine de l’autre. Il est indispensable d’affirmer
que cette vision est mensongère. L’affrontement à la
souffrance et à l’épreuve, qui fut longtemps le lieu du masculin
et du paternel, n’est pas ontologiquement lié à la haine de
la femme ou de l’homosexuel. La « maison homo » fut une
manière, dans un communautarisme involontairement nostalgique,
de retrouver quelque chose de la « maison des hommes
» perdue. La voie par laquelle la gent masculine retrouvera
la « maison des hommes », et le bonheur de s’identifier à
d’autres hommes, n’est pas nécessairement celle du plaisir
sexuel des corps. Il est primordial de soutenir que les hommes
entre eux n’ont pas forcément à résoudre leur angoisse
devant la guerre postmoderne des sexes par une échappée
dans les pratiques « homo ».
Dans une pirouette conceptuelle, Judith Butlerthéoricienne
du gender, soutient que l’hétérosexualité est une
forme de violence interne construite sur le refoulement d’une
« mêmeté » première : tout hétérosexuel serait nostalgique
des premiers temps de sa vie où le genre est plus confus 21. Je
propose de retourner l’argument. Notre époque est nostalgique
non pas des hiérarchies du patriarcat, mais d’un certain
rapport à l’altérité qui libérerait de l’autodéfinition constante
de soi. Nous avons à convaincre nos contemporains d’une
chose : l’altérité n’est pas fatalement le lieu de la domination.
Et la fluidité de l’effacement des genres n’est pas non plus
celui de la fin des pouvoirs. Bien au contraire, ceux qui mettent
en avant la positivité, supposée sans opacité, du plaisir
des corps nient le fait que le plaisir, quel qu’il soit, a toujours,
comme un corps au soleil, son ombre. Le plaisir du corps
répond, ou ne répond pas, à celui d’un autre corps dans des
enjeux de quête de l’autre, mais aussi de pouvoir, de maîtrise,
de domination. La compétition narcissique ne fait que
commencer.

Jacques Arènes

( article sur facebook : http://on.fb.me/oC64qW )

pour aller plus loin:    Alliance VITA    (par Tugdual Derville)

2. Robert Stoller, Masculin ou féminin ?, Puf, 1989, p. 21.

3. Voir, par exemple, les séries statistiques de l’Observatoire
français des Drogues et des Toxicomanies
(http://www.ofdt.fr) qui donnent des chiffres français et
européens. Voir aussi, par exemple, pour l’épidémiologie
de la dépression, l’ouvrage sous la direction de
Jean-Pierre Olié, Marie-France Poirier,
Henri Lôo, Les Maladies dépressives, Flammarion, 1995.

4. Didier Eribon, Echapper à la psychanalyse, Léo
Scheer, 2005, p. 21. Dans la rhétorique de la gender
theory, les « ennemis » sont assimilés aux racistes
développant un discours de pureté raciale.

5. C’est le sens du coming out. Placard épouvantable
à bien des égards. Il en est pour preuve, par exemple,
certains aspects, horrifiants, de l’entreprise de
normalisation des homosexualités, avec, jusque
dans les années 50, aux Etats-Unis, des lobotomies
de personnes homos exuelles.Cf.Colin Spencer,
Histoire de l’homosexualité, Le Pré aux Clercs, 1995.

6. Thierry Voeltzel, Vingt ans et après, Grasset,
1978, p. 33-34, cité par Didier Eribondans
Réflexions sur la question gay, Fayard, 1999.

7. Ed. Universitaires, 1972.

8. La pratique de soi des Anciens, telle qu’elle est
étudiée dans son cours au Collège de France, est plus
centrée sur la transformation indéfinie du sujet que
sur la connaissance de l ’objet. Le logos grec devient,
chez Foucault, la forme spontanée du sujet
agissant. La vérité « éthopoiétique » du sujet ,
énoncée par Foucault, est définie par la trame des
actes accomplis et des postures corporelles, et non
par l ’exploration judéo-chrétienne des consciences
. C f . L’Herméneutique du sujet, Gallimard/Seuil, 2001.

9. Il existe un parallèle, dans l’oeuvre de Foucault,
entre Histoire de la folie à l ’ âge classique (Plon,
1961) et la Volonté de savoir (Gallimard, 1976)
introduisant l’histoire de la sexualité.

10. Il en est pour preuve l’intervention massive
de l ’Etat dans la vie domestique, notamment
à l’occasion des séparations familiales .
Cf. Jean-Marc Ghitti, Pour une éthique parentale.
Essais sur la parentalité contemporaine,
Cerf, 2005.

11. Idée reprise par les théoriciens actuels du
gender, notamment Judith Butler (cf. Trouble dans le
genre, La Découverte, 2005) ; elle était déjà centrale
chez Deleuze.

12. Didier Eribon évoque avec admiration l’utilisation
du neutre dans les Fragments du discours
amoureux de Barthes (on ne sait si le protagoniste
de ce discours est masculin ou féminin). Dans
Echapper à la psychanalyse, op. cit.

13. André Rauch, Histoire du premier sexe. De la
révolution à nos jours, Hachette, 2004, p. 536.

14. Annelise Maugue, l’identité masculine en
crise au tournant du siècle, Payot, 1987.

15. Depuis les années 1970, l’attente féminine
par rapport au partenaire masculin est d’abord celle
d ’une authent icité et d’une connivence expressives.
Cf. André Rauch, op. cit., p. 435.

16. Sociologues et anthropologues évoquent cette
« maison des hommes », imaginaire ou réelle, dans
une « homosocialité » par laquelle l’être humain
mâ le se const ruit en dehors du monde féminin.
Cf. Maurice Godelier, La Production des Grands
Hommes, Fayard, 1982.

17. Cf. mon livre Lettre ouverte aux femmes de ces
hommes (pas encore) parfaits, Fleurus, 2005.

18. Cf. Daniel Welzer-Lang, « L’homophobie. La
face cachée du masculin », sous la dir. de Daniel
Welzer-Lang , Pierre Dutey, et Michel Dorais,
La Peur de l’autre en soi. Du sexisme à l’homophobie,
site . Ce type
de travaux sociologiques infère l’essentiel du descriptif
de la masculinité et de sa violence à partir
d’observations portant sur cer ta ins g roupes
d’hommes, notamment référés au milieu sportif,
ou des consommateurs de bar.

19. D’où la ha ine du « dogme » paternel
comme effet « religieux » opprimant. Cf. Michel
Tort, Fin du dogme paternel, Aubier, 2005.

20. Notamment par la liberté du mariage comme
limitation de la puissance des pères. Cf. Jean-Claude
Bologne, Hi stoire du mariage en Occident,
Hachette, 1995.

21. C’est du moins le modèle de l’hétérosexualité
féminine, qui suppose une séparation du corps
de la mère. « Nous considérons l’identité de genre
comme une structure mélancolique », affirme
J. Butler dans Trouble dans le genre, op. cit., p. 163.

Source: Revue "ETUDES" 2007/1 (Tome 406) - (http://bit.ly/n7aicZ)

vendredi 7 octobre 2011

Inauguration de la statue de Jean-Paul II par Monsieur le Sénateur Gérard COLLOMB

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Discours de Monsieur Gérard COLLOMB
Sénateur (PS)
( Ne boudons pas notre plaisir tout de même...!!! )
 Maire de Lyon
A l’occasion de l’inauguration de la statue de Jean-Paul II
Parvis de la Basilique de Fourvière – Lyon 5e








Mercredi 5 octobre 2011

Monsieur le Président de la Fondation Fourvière,
Eminence, Monsieur le Cardinal Philippe Barbarin,
Excellence, Monseigneur le Nonce Apostolique,
Excellences,  Monseigneur Defois, Archevêque émérite de Lille, ancien
Recteur de l’Université Catholique de Lyon, Monseigneur Joatton,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Monsieur le Vice-Président du Conseil Général du Rhône,
Monsieur le Consul Général de Pologne,
Madame le Maire du 5e arrondissement,
Chère Alexandrine Pesson,
Monsieur le Grand Rabbin régional,
Monsieur le Président du Consistoire  Israélite de la région Rhône-Alpes Centre,
Monsieur le Président du Conseil Régional du Culte Musulman,
Monsieur le Recteur de la Grande Mosquée de Lyon,
Monsieur le Représentant de l’Eglise Arménienne Apostolique de Lyon,
Monsieur le Recteur de la Basilique Notre-Dame-de-Fourvière,
Messieurs les Représentants des Autorités religieuses,
Chère Madame Elisabeth Cibot,
Mesdames et Messieurs les Elus,
Mesdames et Messieurs,

     Peu de personnalités dans l’histoire ont autant suscité de ferveur que Jean-Paul II.
Peu de personnalités ont autant pesé  sur le cours du monde par la seule
puissance de leur parole et la seule force de leurs messages.
C’est une figure majeure du 20e siècle que nous célébrons aujourd’hui.
Inaugurer cette statue de Jean-Paul II dans la Cité de Sainte-Blandine, de SaintPothin et de Saint-Irénée a une portée  symbolique puissante. C’est une étape
importante de la vie de notre Cité, qui vient renforcer les liens ancestraux qui
l’unissent au catholicisme. Mais c’est aussi une façon, dans l’histoire de JeanPaul II, de s’adresser à toutes les religions.
Cette présence nouvelle sur ce parvis de la Basilique est aussi l’expression de
notre fidélité à son message : un message de liberté, un message de paix, un
message de tolérance qui fait profondément écho aux valeurs notre Cité.
Lyon, ville de foi et de révoltes, ville  de brassages et de confluence, qui a si
bien, au cours de son histoire, fait converger des mondes différents, se devait de
rendre hommage à Jean-Paul II.
Je suis heureux de partager ce moment solennel avec l’ensemble des Lyonnais.
Heureux, bien évidemment, de le partager avec les Chrétiens de Lyon, en ce lieu
de Fourvière où bat le cœur de la famille catholique de notre Cité.
Vous avez, Madame, immortalisé ce sourire qui faisait partie intégrante de la
personnalité de Jean-Paul II ; ce sourire, ce regard et ce geste qui disaient tant sa
volonté de dialogue. 4
Qui ne se souvient des premières paroles qu’il avait prononcées en cette journée
d’octobre 1978, alors que le monde découvrait son visage ?
Vous l’avez rappelé tout à l’heure… « N’ayez pas peur ! » avait-il lancé à la
foule amassée place Saint-Pierre de Rome, annonçant sa confiance profonde en
l’homme dans toute la diversité de ses appartenances. Il annonçait une vision
nouvelle du rôle et de la responsabilité des Chrétiens dans la marche du monde.

    Ce jour-là, chacun avait compris que quelque chose était en train de changer.
Jamais peut-être avant lui parole pontificale n’avait eu une telle portée. Jamais
auparavant parole n’avait franchi autant de frontières, épousant la cause de tant
de femmes et d’hommes, se faisant partout la voix de leurs souffrances et de
leurs espérances.
    Homme de son temps, Jean-Paul II fut le pape de la rencontre. Rencontre avec
les peuples du tiers monde dès son premier voyage,  en Amérique latine.
Rencontre avec les jeunes  du monde entier, quand, par  le génie de son esprit
missionnaire, il inventa les JMJ, rassemblant chaque année des centaines de
milliers d’entre eux.
Rencontre avec les peuples opprimés d’Europe, alors que le rideau de fer avait
coupé en deux le vieux continent.
Premier Pape polonais de l’histoire  chrétienne dans une Europe divisée,
conscient de sa responsabilité face à l’oppression subie par les peuples des pays
de l’Est, il s’était engagé tout entier pour faire avancer la cause de la liberté, la
cause de la justice. 5
    Avec pour seules armes sa vision, son énergie, son esprit d’ouverture, Jean-Paul
II réussit à modifier le cours de l’histoire.
Mikhaïl Gorbatchev, parlant récemment  de Jean-Paul II, disait les mots
suivants : « Rien de ce qui est arrivé en Europe orientale au cours des dernières
années n’aurait été possible sans l’impulsion du Pape et sans le rôle
exceptionnel, y compris politiquement, qu’il a joué sur la scène mondiale ».
Pape de la rencontre, Jean-Paul II – vous l’avez  évoqué Monsieur le Grand
Rabbin –, fut aussi le pape de la réconciliation, n’hésitant pas à endosser au nom
de l’Eglise les erreurs du passé. Il le fit partout : en Grèce devant les orthodoxes,
en Amérique latine auprès des Indiens, sur l’île de Gorée auprès des descendants
d’esclaves d’Afrique. Pape de la réconciliation, il le fut en Terre Sainte, au
Mémorial de Yad Vashem à Jérusalem, puis au moment où, revêtu du Talith, il
déposa – comme vous l’avez souligné – entre les pierres du Mur des
lamentations, une prière de pardon pour les souffrances infligées au peuple juif
dans l’Histoire.
    Son message de réconciliation rencontra évidemment un fort écho à Lyon. Lyon
où s’étaient illustrés, aux heures sombres de la Seconde Guerre Mondiale, les
membres de l’Amitié chrétienne, avec les figures du Cardinal Gerlier, du Père
Chaillet, de l’Abbé Glasberg ou des pasteurs De Pury, Casalis et Boegner.
Lyon, ville du Cardinal Albert Decourtray, chantre du « respect à l’autre dans
sa différence », artisan avec le Docteur Marc Aron du rapprochement et de
l’amitié entre Juifs et Chrétiens.
Quand, le 4 octobre 1986,  le Pape avait lancé depuis l’Amphithéâtre des Trois
Gaules un appel à la paix, évoquant la  tenue, trois semaines plus tard, des 6
rencontres d’Assise avec les chefs religieux du monde entier, il savait que dans
cette ville, il serait entendu.
    Il avait alors fait référence aux grandes figures lyonnaises de l’œcuménisme et
du dialogue interreligieux, l’Abbé Paul Couturier, l’Abbé Jules Monchanin. Il
avait fait référence aux grandes figures du catholicisme social de notre Cité,
celles qui avaient été capables, disait-il, d’ « entraîner l’Eglise au service de la
société » : Marius Gonin, Joseph Folliet, Claudine Thévenet, Pauline Jaricot. Au
moment de béatifier Antoine Chevrier, fondateur du Prado, devant 350 000
fidèles au Parc des Expositions, il savait que les valeurs de justice qu’il était
venu défendre étaient chères aux cœurs de nos concitoyens.
Les Lyonnais avaient accueilli Jean-Paul  II dans une extraordinaire ferveur
populaire.  
    Au moment d’inaugurer cette statue de Jean-Paul II, il faut aujourd’hui que nous
nous rappelions la portée de son message pour notre Cité. Nos idéaux ne valent
en effet que si nous sommes capables de les faire vivre dans notre temps.
C’est cette conviction, vous le rappeliez Monsieur le Grand Rabbin, qui nous a
inspiré, lorsqu’avec le Cardinal Barbarin, nous avons fondé Concorde et
Solidarité avec les responsables de tous les cultes de notre Cité.
    C’est cette conviction qui est à la racine de notre action quotidienne au service
des Lyonnais. Cette éthique  de la responsabilité est  un héritage précieux, en
cette période difficile, dans la crise que nous traversons aujourd’hui.  7
Déjà en son temps, Jean-Paul II avait dénoncé les dangers d’une société, d’une
économie qui oublieraient que ce qui doit être premier, c’est l’homme, son
travail, ses valeurs.
    Nous ne pouvons plus désormais esquiver cette réflexion de fond sur ce que
doivent être les fondements de notre société. Je partage l’analyse du philosophe
Jean-Luc Marion, quand il affirme qu’«  il faut de la morale en économie -
comme en politique » ;  que « cette morale n'est plus un luxe facultatif
d'"humaniste", mais la seule et première ressource d'une démocratie digne et
vivable. »
Car nous savons à quel point cette crise peut déstructurer les femmes et les
hommes, leur faire perdre leurs repères et petit à petit les faire à nouveau glisser
vers les vieux démons qui emportèrent l’Europe du 20e siècle : le nationalisme,
la haine de l’autre, la xénophobie, l’antisémitisme.
    Jean-Paul II défendait la solidarité des  peuples d’Europe dans un continent
divisé et son engagement a contribué à faire tomber le rideau de fer. Des étapes
importantes ont été franchies depuis, mais l’Europe est aujourd’hui sans doute à
nouveau à un tournant majeur de son histoire. A nous de faire en sorte que son
avenir soit à la hauteur de son passé.
    Le monde change. De nouvelles puissances émergent. Les révolutions des
peuples de la Méditerranée  font se lever d’immenses espoirs, mais aussi des
questions profondes. Nous devons leur donner des perspectives d’avenir, ouvrir
de nouveaux horizons.   8
    Les mutations d’aujourd’hui, comme  celles d’hier, en appellent à notre
responsabilité, à notre intelligence collective, pour mettre nos valeurs au service
du progrès de l’humanité.
    C’est ainsi, Mesdames et Messieurs, que nous devons nous représenter je crois
l’héritage de Jean-Paul II : une confiance inébranlable dans notre capacité à
traduire des idéaux en actions.


Plein écran: ICI




"You can Become saints too"
by-grace-of-god:

You can become saints too. Carry on.

"La révolte des masses" - d' Ortega Y Gasset

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     Le philosophe José Ortega y Gasset (1883-1955), professeur de métaphysique à l'université de Madrid de 1910 à 1936 et fondateur de l'influente « Revista de Occidente », est considéré comme l'un des plus éminents représentants de l'humanisme libéral européen du XXe siècle.






" ... L' homme masse est gâté par la technologie, c' est l' homme démocratique de Tocqueville animé par la passion de l' égalité, la passion du bien être, PLUS la technique, parce que la technique est venue renchérir sur cette passion de l' égalité .... Par exemple, le DROIT A l' enfant..."
(Extrait à 21mn10 d' écoute)


                   Emission "Répliques" d'Alain Finkielkraut





Invité(s) de l' émission:
Bérénice Levet, docteur de philosophie
Yves Lorvellec, agrégé de l’Université et docteur en philosophie, Conseiller des Affaires étrangères




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                                     quel avenir pour notre société ? (christine Boutin)
Tribune de Gérard Leclerc - " Le Gender dans les programmes scolaires "
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La famille porteuse d' avenir - Conférence de Xavier Lacroix (27 Mars 2011)
Le gender - Interview de Michel Boyancé 
La lettre de la fondation Jérome Lejeune sur le gender
Comment la théorie du genre met elle en péril la société dans ses fondements (Elizabeth Montfort)
La théorie du Gender: origines et conséquences .... (Sylviane AGACINSKI)
Quel défi pour un couple aujourd'hui ? (Monique Baujard)




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                       " légitimisation de l'infanticide "
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Mal être après une IVG
- Tugdual Derville sur RND - " Etrangers et bêtes invasives "
De quel « genre » de phobie François Hollande est-il atteint ?


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jeudi 6 octobre 2011

Les nouvelles technologies vont-elles réinventer l' homme ?


  

ARTICLE DE JEAN-MICHEL BESNIER


Agrégé de philosophie et docteur en sciences politiques, Jean-Michel Besnier (a) signe dans la revue des jésuites Etudes un article sur l'impact anthropologique des nouvelles technologies, en montrant l'intérêt d'une éthique de la vulnérabilité face à la démesure des prétentions technologiques.


Texte publié dans la revue Etudes n. 4146 de juin 2011






    Les technologies d'information et de communication ont la discutable vertu de propager des idées capables de mobiliser des mouvements d'opinions qui incitent parfois à réunir les moyens pour les réaliser. C'est ainsi que se développent dans le cyberespace des associations dites « transhumanistes » qui tentent de persuader nos contemporains de la prochaine émergence d'un homme nouveau, grâce aux technologies nouvelles axées sur la maîtrise du vivant et l'augmentation des facultés cognitives. LAssociation transhumaniste mondiale a ainsi vu le jour en 1998 aux États-Unis, et s'est donné un Manifeste qui revendique notamment « le droit moral de ceux qui le désirent, de se servir de la technologie pour accroître leurs capacités physiques, mentales ou reproductives et d'être davantage maîtres de leur propre vie. Nous souhaitons, soulignent ses rédacteurs, nous épanouir en transcendant nos limites biologiques actuelles ». Avant elle, en 1991, un mouvement fondé par Max More, « Les Extropiens », envisageait rien moins que d'inverser l'entropie de l'univers et d'offrir ainsi aux hommes les conditions d'une amélioration sans limites. À la fin des années 2000, on apprenait la création d'un Institut de la Singularité, confié à Ray Kurzweil et financé par Google et par la NASA, dont le projet vise à préparer l'avènement d'une intelligence non biologique qui rendra l'humanité tout simplement obsolète. Récemment, une Association française transhumaniste, nommée Technoprog, a tenu sa première conférence à Paris, peu après celle qu'ont tenue des Anglais réunis sous l'égide d'un mouvement emblématiquement baptisé « Humanity + ». L'actualité se fait de plus en plus l'écho, dans les médias des sociétés technologiquement développées, de cette conviction selon laquelle les technologies nouvelles sont en passe de réinventer l'homme. Vaine illusion ou prospective fondée ?


(a) Professeur à l'Université Paris IV et chercheur au Centre de recherche en épistémologie appliquée (CREA/École polytechnique/ CNRS), Jean-Michel Besnier est l'auteur de La croisée des sciences. Questions d'un philosophe, Seuil, 2006 et de Demain les posthumains. Le futur a-t-il encore besoin de nousl, éd. Fayard, 2010.


Les techniques ont-elles inventé l'homme ?

Saura-t-on un jour si les « technoprophètes », comme les a nommés Dominique Lecourt, sont des illuminés ou s'ils détiennent le pouvoir performatif de faire advenir ce qu'ils attendent? Il faut en tout cas tempérer leur intempestivité si l'on veut ne pas hypertrophier leurs anticipations. Car, il faut le souligner, l'idée que les techniques ont la faculté de transformer l'homme est loin d'être neuve. Elle est au principe de la paléo-anthropologie et de l'explication du phénomène de l'hominisation. Qu'on aille seulement lire la description d'homo habilis proposé par le professeur Henry de Lumley, dans L'Homme premier (éditions Odile Jacob, 1998) : son évocation de la manière dont la taille d'outils en pierre, en os, en dents ou en corne, il y a environ 2,5 millions d'années, a décidé de notre avenir. L'évidence s'est imposée à la paléo­anthropologie que l'homme était né à ce moment-là, alors que les australopithèques qui étaient bipèdes et capables d'utiliser conjoncturellement des objets à titre d'instruments de survie, n'avaient pas atteint, quant à eux. l'art humanogène de la manufacture - c'est-à-dire n'avaient pas fait de la fabrication de l'outil le tesson de leur arrachement aux déterminismes naturels.
Les technologie ont inventé l'homme, en ce sens qu'elles lui ont permis de développer une pensée conceptuelle, qu'elles l'ont obligé à inscrire son développement dans la dynamique d'une complexité croissante et de devenir, tout simplement, un être de culture. La taille de la pierre, autorisée à des êtres auxquels la station verticale a permis de hbéier la main et les organes phonatoires, a changé la vie de nos premiers ancêtres : elle les a conduits d'abord à composer avec une matière qui a dicté ledesign d'outils (comme les choppers. les grattoirs et les burins), qui eux-mêmes ont induit d'autres outils, lesquels ont dû imposer des gestes nouveaux pour leur usage, modifier les schémas corporels, suggérer des modes d'organisation sociale, impulser de nouvelles technologies qui ont elles-mêmes, comme la navigation ou l'agriculture, produit des comportements inédits, des systèmes de coopération, des croyances - bref, une histoire.
Faut-il, cela étant, céder à une sorte de déterminisme technologique en prétendant que l'homme n'est que le produit de ses outils - des outils qui auraient été d'abord le prolongement de son corps, des prothèses en quelque sorte, puis auraient créé l'espace d'une extériorisation dans lequel tous les possibles auraient pu s'exprimer, jusqu'à ceux qu'actualisent nos ordinateurs ou nos satellites ? Le déterminisme dessine une trajectoire linéaire, un schéma de causalité univoque qui ne convient pas à la description de l'hominisation. L'idée d'une co-évolution semble plus adaptée à la situation créée par l'invention par l'homme d'outils qui vont en retour le contraindre à évoluer. S'inspirant de Leroi-Gourhan. Bernard Stiegler a cette formule qui résume l'essentiel : « L'homme s'invente dans la technique en inventant l'outil — en s'extériorisant techno-logiquement » (La technique et le temps 1.édition Galilée p. 152). Cette extériorisation « techno-logique » ainsi formulée a le mérite de souligner cette composition de la technè et du logos, de l'outil et du langage, à laquelle l'homme doit de s'être soustrait à l'inertie naturelle et d'être devenu ce qu'il est.
Est-ce que cette brève évocation des thèmes de la paléo-anthropologie suffira à accréditer comme une évidence la thèse selon laquelle la technique serait anthropologiquement constitutive, comme le dit Leroi-Gourhan? Les technologies ont inventé l'homme. Elles l'ont fait sans toujours en avoir l'air - subrepticement : en le disciplinant, par exemple, quand les machines doivent imposer des gestes précis; en le portant à sortir de lui-même, quand elles lui offrent la perception d'horizons nouveaux ; en le conduisant à nouer des relations avec ses semblables, quand elles lui donnent des moyens élargis de communiquer. Cela et d'autres caractéristiques du même ordre signalent la puissance diffuse des techniques dont nous sommes à la fois les sujets et les instigateurs. Quand certains philosophes et historiens rappellent l'impact de l'écriture - cette technique matricielle - sur l'humanité, quand ils expliquent comment elle nous a portés à percevoir le monde sur le mode de la segmentation, de la liste, du répertoire, de la raison analytique, comment elle a extériorisé et étendu notre mémoire, comment elle a rendu nos actions efficaces, ces philosophes et historiens illustrent de manière magistrale le fait que la technologie nous a bel et bien inventés.
Pourquoi, si cette thèse est devenue l'évidence même, la question de savoir si nous serions à la veille d'une réinvention de l'homme semble-t-elle connoter autre chose qu'une invitation à examiner si les technologies les plus récentes restent bien dans le droit fil de l'hominisation décrite par la paléo-anthropologie ? Pourquoi la posture des transhumanistes ne nous paraîtrait-elle pas aussi banale que l'affirmation d'un hyperhumanisme annonçant que nous disposons des moyens de plus en plus sophistiqués de réaliser notre humanité? En toute rigueur, l'homme n'a jamais cessé de se réinventer, et cela parce qu'il est un processus en co-évolution avec un environnement qu'il modifie et qui le modifie sans arrêt. Les nouvelles technologies ne devraient pas changer fondamentalement les choses. Pourtant, elles le font, et c'est cela qu'il faut examiner.

Changements dans la technique

En quoi percevons-nous donc dans l'actuel pouvoir des techniques l'annonce d'une coupure dans le processus par lequel l'homme a justement produit ces techniques ? En quoi la perspective qu'il soit réinventé par ces techniques nous semble-t-elle modifier ce que nous tenions jusqu'ici comme évident?
La réponse doit se trouver dans le caractère inédit de la technologie qui se déploie sous nos yeux. On peut risquer la thèse selon laquelle la technique a acquis des caractéristiques qui bouleversent la constitution anthropologique qu'elle garantissait, L'observateur de son développement récent rencontre ces caractéristiques qui servent d'argumentaire au transhumanisme aussi bien qu'aux critiques du monde moderne (1). On souligne par exemple que la technique obéit à des impératifs de vitesse qui déconcertent la temporalité à laquelle les hommes sont naturellement assujettis. C'est d'ailleurs cet aspect qui alimente la prophétie selon laquelle elle nous exposera bientôt à la singularité, c'est-à-dire à ce point de non-retour qui fera surgir un futur dans lequel nous n'aurons plus d'importance, comme si nous devions être victimes d'une « vitesse de libération », comme on dit en astronautique, et abandonner la pesanteur. Le thème revient souvent pour ponctuer l'histoire de plus en plus subtile de la maîtrise technique de la nature par les hommes : à la matière puis à l'énergie a succédé l'information comme le mobile essentiel des réalisations techniques. Le temps dit réel est ainsi devenu une obsession. Pas seulement chez ces internautes qu'on appelle « geeks » et qui aspirent à la dématérialisation, mais aussi - hélas -chez les décideurs économiques et les politiques. Les politiques de recherche contemporaines, en premier lieu la prospective européenne qui s'élabore actuellement pour faire suite à la Stratégie de Lisbonne 2000-2010, traduisent déjà cette propension à mesurer l'efficacité à l'aune de la seule réactivité : l'innovation à tout prix y est l'argument du moindre programme. Le temps qui séparait jadis l'invention de l'innovation en charge de l'appliquer se trouve de plus en plus raccourci : le transfert de l'une à l'autre voudrait tendre à être instantané et il est en voie d'écraser la recherche proprement dite. Quand il avait fallu 102 ans entre la découverte du phénomène physique appliqué dans la photo et la photographie elle-même (1727-1829), 56 ans pour le téléphone, 35 ans pour la radio, 12 ans pour la télévision, 14 ans pour le radar, 6 pour la bombe à uranium, 5 pour le transistor (2), on s'attend à présent qu'à échéance de 2 ans, les chercheurs contribuent à mettre sur le marché des innovations techniques abouties. C'est là le « court-termisme » imposé par lAgence nationale pour la recherche (ANR) ou la Communauté européenne (3) de plus en plus dénoncé par les chercheurs. Toujours plus vite pour satisfaire un impératif de compétitivité devenu une fin en soi : les hommes qui y sont désormais contraints peuvent-ils demeurer ceux qu'ils étaient?
Autre caractéristique des technologies qui déconcertent nos contemporains et qui étayent l'impression que nous sommes en train de préparer la rupture qu'espèrent les transhumanistes : les objets techniques que nous produisons sont de plus en plus caractérisés par leur autonomie. Depuis au moins la cybernétique des années 1950, on s'attache à développer des machines capables de s'auto-réguler et de fonctionner comme des systèmes ouverts, apparentables à de véritables organismes. L'ère des objets intelligents est annoncée pour demain. Mais que seront les hommes appelés à assister passivement à la communication que les machines établiront entre elles, ainsi qu'on peut déjà l'apercevoir en aéronautique ou dans les centrales nucléaires ? À force d'avoir voulu réaliser leur autonomie grâce à des machines qui leur assurait la maîtrise sur leur environnement, les hommes ont fini par accorder cette autonomie aux machines elles-mêmes, par leur déléguer - au point de se trouver secondarisés et aliénés par elles.
La modernité qui nous enjoignait de poursuivre la réalisation de cette autonomie qui nous échappe de plus en plus se trouve mise en péril sur un autre terrain : celui des symboles eux-mêmes, qui devaient offrir à notre prométhéisme sa justification. Il était entendu, en effet, que la technique accomplissait sa mission d'accompagner l'homme dans son émancipation par rapport à la nature et qu'elle le faisait dans le contrepoint du langage qui pouvait assurer de son côté la « mise en culture » de la science et de ses réalisations. Les deux facteurs de l'hominisation — la technique et le langage, les outils et la parole - fonctionnaient de concert dans la construction de l'humanité. Or on assiste aujourd'hui à un déséquilibre en faveur de la technique : le langage est de plus en plus diminué et menacé par les machines qui veulent le simplifier, le transformer, le rendre inutile. Qu'on songe à l'effet de simplification extrême produit sur le langage par les technologies du Web ou le recours aux SMS. Qu'on songe aux fantasmes générés par les neurosciences qui, aux yeux de certains transhumanistes (comme Kevin Warwick), devraient contribuer à rendre superflu l'échange par les mots au profit de la mise au point de dispositifs de communication par ondes électromagnétiques, réalisant l'équivalent d'une relation télépathique. Qu'on songe à l'infirmité croissante des promoteurs de ces techniques déshumanisantes à instaurer le débat argumenté autour de leurs innovations... L'homme que les technologies du virtuel vont réinventer aura peut-être bientôt perdu la parole et il ne connaîtra plus d'autres symboles que ceux qui servent la cause de la numérisation.
Il n'est plus temps de se le dissimuler: les technologies nouvelles ne nous simplifient plus la vie, elles simplifient jusqu'à la caricature nos comportements et nos pensées de telle sorte qu'elles nous réduisent à l'élémentaire : simple destinataire d'un serveur vocal, simple usager d'une automobile devenue une boîte noire répondant à des commandes automatiques, simple scripteur sur des traitements de texte prenant de plus en plus d'initiative dans la rédaction de nos courriers ; nous sommes invités à nous dépouiller des éléments de complexité et d'intériorité qui nous donnaient à penser que nous étions autre chose que des machines.

L'idéal d'un homme nouveau

Les nouvelles technologies réinventent un homme selon leur format et leurs exigences fonctionnelles. C'est ce monde en devenir qui justifie l'impression d'une cassure dans le processus de co-évolution qui décrivait le régime de construction de l'humanité.
L'homme nouveau, proclame-t-on, saura s'adapter à ses machines, quitte à devenir méconnaissable. Il satisfera au vœu formulé par Francis Galton, au début du XXe siècle, qui attendait de la biologie qu'elle donne les moyens d'améliorer l'espèce humaine de sorte qu'elle soit à la hauteur des machines. C'est cela l'eugénisme revendiqué « libéralement » (4) comme idéal imposé par une société technologisée, laquelle se trouve entravée dans son développement par des hommes imparfaits ! C'était déjà le rêve de Marinetti et des futuristes italiens des années 1920: construire grâce à la sidérurgie un homme d'acier qui aura expulsé le corps et ses passivités ! On sait dans quels termes le fascisme a revendiqué peu après cet idéal d'homme nouveau...
Si la revendication de cet idéal n'est pas nouvelle, si elle se situe même implicitement dans le sillage des attentes générées par la modernité, nous prenons conscience, aujourd'hui, des moyens dont nous disposons pour la réaliser: l'amélioration de l'homme par les technologies est devenue un programme explicite, alors qu'elle n'était jadis qu'une vision plus ou moins associée à Frankenstein. En 1956, le philosophe Gunthers Anders le disait déjà: nous courons après nos machines et déplorons notre impuissance croissante par rapport à elles. Nous éprouvons une insupportable honte à leur égard - une « honte prométhéenne » (5). C'est, à vrai dire, avec la finitude humaine que nous désirons en finir, et le projet technique qui devait nous rendre aussi forts que des dieux devient clairement celui de nous transformer en dieux, c'est-à-dire en êtres dépourvus de la passivité qui nous force encore à naître par hasard, dépourvus de la souffrance et de la maladie associées à la fragilité de nos corps, du vieillissement et de la mort non désirée.
Les technologies nouvelles - opportunément regroupées dans la convergence NBICs (6) -déclarent en réalité inventer l'au-delà de l'humain. C'est ce que nous découvrons à travers l'imaginaire de nos sociétés et qui se trouve en rupture par rapport au prométhéisme de la modernité qui glorifiait encore l'humain, puisqu'il voulait l'imposer aux dieux eux-mêmes.

Préparer le successeur de l'homme

Comment faire en sorte d'échapper à ce que nous sommes, en mobilisant ce que nous sommes parvenus à obtenir de nos techniques? C'est la question-programme des transhumanistes dont les divers Manifestes apparaissent, on l'a dit, au service d'un Humanisme amplifié - le H+ -, alors qu'en réalité, ils révèlent leur intolérance à l'humanité en nous. En ce sens, la « cyborgisation » est présentée comme la formule de transition vers la réalisation de la fusion de l'homme avec la machine qui pourrait faire triompher un posthumain. Quelques nos contemporains, au nombre desquels figure en général Vuploading, c'est-à-dire l'ambition de télécharger le contenu du cerveau sur des matériaux inaltérables (par exemple des puces de silicium) susceptibles d'être implantés à volonté sur d'autres corps ou dispositifs. La mort ne consisterait, dans ce scénario, que dans la décision de débrancher le logiciel réceptacle du contenu de la conscience, laquelle - comme on l'objectera - est abusivement identifiée à la modélisation du cerveau. 
En dépit de ces naïvetés, on découvre combien les promesses hyperboliques (ce que l'on nomme le discours « hype ») des technoprophètes -  ont fait franchir à l'homme un palier où la question de sa réinvention devient plutôt celle de son augmentation, puis celle de sa relève.Une argumentation empruntée à une vulgate de l'évolutionnisme néo-darwinien vient offrir une légitimation théorique à cette relève : rappelons donc que l'espèce humaine a triomphé du struggle for life grâce à son pouvoir de fabriquer des outils et à celui de s'être constituée en sociétés réglées par le langage et la fonction symbolique en général. Parce qu'elle a su composer avec les pressions sélectives de l'environnement, elle a pu survivre,
se développer et prospérer. Pourquoi, demande-t-on aujourd'hui, le pouvoir technique qui lui a valu d'être retenue comme viable dans l'évolution ne pourrait-il pas modifier en retour les pressions sélectives de l'environnement et pérenniser ainsi la sélection d'une espèce nouvelle qui serait donc issue de l'humain ? Application de la thèse de l'effet réversif, comme l'ont baptisée certains commentateurs de Darwin sensibles au fait que la culture est susceptible de rétroagir sur la nature : la technologie est en train de préparer les conditions d'émergence de variations et de mutations qui donneront sa trajectoire à l'évolution à venir. La technologie qui se rend autonome produit déjà des objets intelligents qui vont relayer les mutations aléatoires de la biodiversité, pour faire advenir une espèce nouvelle.
Il ne s'agit donc plus de réinventer l'homme, mais de préparer - avec emphase - le Successeur de l'homme (comme dit Jean-Michel Truong (7) ou bien la Singularité (comme dit Ray Kurzweil (8). Déjà, on constate une certaine complaisance à faire valoir l'immaîtrise au cœur des activités technoscientifiques : immaîtrise dans le domaine des nanotechnologies, par exemple, où l'on dit que prospèrent des apprentis sorciers par vocation et non pas par accident. Immaîtrise dans le domaine des biotechnologies ou de la biologie de synthèse, où les expériences « pour voir », pour tester sa créativité, seraient de plus en plus fréquentes (9). Un culte du phénomène émergent exprimerait déjà cette disposition à accueillir le hasard d'une évolution dont on aurait travaillé aléatoirement les conditions initiales.

Affronter le problème éthique de ce refus de l'humain

Que conclure ? Si l'on prend au sérieux les extrapolations des technoprophètes, mais aussi les ambitions affichées par certains laboratoires de recherche encouragés par d'enviables financements, les technologies nouvelles vont réinventer un homme qui aura consenti à sa disparition. Il ne s'agira déjà plus d'un homme mais de l'avatar d'une humanité exténuée. La technolâtrie est le symptôme de cette fatigue d'être soi, diagnostiquée par les sociologues depuis Alvin Toffler dans les sociétés hypertechnologisées. Plus nous nous sentirons impuissants et déprimés, plus nous serons tentés de nous tourner vers les machines. La technologie est l'alibi de nos faiblesses humaines : c'est ce que nous donnent à comprendre en particulier les addictifs au Web. Lorsqu'un technoprophète comme Jean-Michel Truong proclame qu'à ses yeux on ne saurait vouloir - « après Auschwitz » - que l'espèce à venir ait le visage de l'homme et qu'à cet égard, il faut miser sur les technologies pour assurer la venue d'un successeur, on peut s'inquiéter. Surtout si ce genre de constat ne rencontre aucune résistance de la part de ceux qu'on nomme les « digital natives » parce qu'ils sont nés avec l'internet et considèrent spontanément que leur avenir sera ce que les technologies en feront.
Comment résister, comment remettre ces technologies à leur place, c'est-à-dire dans un contexte proprement humain ? Avant de songer à rejoindre le camp des adeptes de la décroissance ou de céder à la folie destructrice des « luddites » (10), il conviendrait d'affronter le problème éthique posé par l'absurdité de notre aspiration à échapper à l'humain. Est-il encore permis de réhabiliter la finitude en nous, de consentir à ce qu'il nous demeure une irréductible passivité, celle qui se traduit par la naissance, la souffrance, la maladie, le vieillissement et la mort ? Comment accepter de faire naître au hasard quand on pourra fabriquer et programmer l'être nouveau ? De supporter la douleur et l'angoisse de vivre, si l'on peut supprimer les sources d'inquiétude existentielle autant que les déficiences du corps ? Une éthique de la vulnérabilité, objectée à la démesure suicidaire de nos prétentions technologiques, est la perspective qu'ouvré l'attention portée à nos insuffisances et à nos fragilités. Elle est le vrai défi que le monde contemporain nous impose.



aussi sur :  http://on.fb.me/reOnOt

Autres articles sur ce thème:


" La révolte des masses " d' Ortega Y Gasset


(1)   Voir Jean-Michel Besnier, 
Demain les post-humains. Le futur
 a-t-il encore besoin de nousl, éd. Fayard 2010.
(2)   Cf. Bertrand Gilles, Histoire des techniques, Gallimard, Pléiade
1977, p. 39. Cité par B. Stiegler, La technique et le temps 1, p. 54.
(3)   Cf. Le texte de la CE intitulé « Innovation » qui doit définir
pour les dix ans à venir les politiques de recherche des États
membres et faire suite à la Stratégie de Lisbonne qui avait donné
le tempo avec « l'économie de la connaissance ».
(4)     Habermas fustige « l'eugénisme libéral » qui se développe
aujourd'hui comme une offre issue des biotechnologies mises
sur le marché. Ainsi le clonage reproductif, à ses yeux, risque
bien d'être réclamé un jour au titre du service que les sciences 
et  les techniques doivent rendre aux contribuables des pays qui les
financent. Tout ce qui est techniquement réalisable sera réalisé,
pourvu que cela trouve preneur sur le marché...
(5)     Cf. G. Anders, L'obsolescence de l'homme. Sur l' 
âme à l'épo­que de la deuxième révolution industrielle, éd. L'Encyclopédie des
nuisances, 2002.
(6)   Du    nom    du   programme   américain    associant   les
Nanotechnologies (N), les Biotechnologies (B), les sciences de
l'information (I) et les sciences cognitives (C). Ce programme, dit
de convergence technologique, alimente nombre des spéculations
des mouvements transhumanistes.
(7)    Cf. J.-M. Truong, Totalement inhumaine, éd. Les Empêcheurs
de penser en rond, 2001. Le titre de l'ouvrage emprunte à Pierre
Teilhard de Chardin, qui est convoqué par Truong au titre d'un
précurseur du posthumanisme.
(8)    Cf. Humanité 2.0. La Bible du changement, M21 éditions,
2007.9
(9)  Ce sont des thèmes qui sont développés par Jean-Pierre
Dupuy dans Pour un catastrophisme éclairé, éd. Le Seuil, et qui
trouvent de plus en plus d'échos dans l'univers en émergence de la
biologie de synthèse, avec ses « biohackers » ou ses « biologistes de
garage », comme on appelle les bricoleurs qui hybrident le vivant
et l'électronique, avec des moyens dangereusement réduits.
(10) Du nom des artisans anglais du textile qui sabotaient les machines à tisser. Hans le contexte de la société industrielle du XIXe siècle.

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