jeudi 13 octobre 2011

Le respect de la personne humaine oblige à la cohérence


Le respect de la personne : un principe universel qui a ses exigences propres dans tous les domaines auxquels les politiques sont confrontés et qui oblige à une réelle cohérence.
 
Communication au colloque « Chrétiens : de l’audace pour la politique ».
23 octobre 2008 | Mgr Giampaolo Crepaldi*

LA SOCIETE et l'État ont besoin de conditions qu'ils ne savent ni ne peuvent produire eux-mêmes. Et je ne me réfère pas seulement ici aux conditions normatives dont parlait Ernst Wolfgang Böckenförde, mais à une condition, encore plus originelle et fondamentale: la charité fraternelle. Sans la charité fraternelle, il est même impossible de voir dans sa totalité la dignité de la personne humaine ainsi que l'appel que lancent les personnes faibles et fragiles.       



                                                                                   (http://bit.ly/roPoLl)


Sans la charité, la justice ne dure pas

    Bien sûr, il y a la justice, qui consiste à donner à chacun ce qui lui revient. Elle ressort de la raison publique et ce sont les institutions administratives et politiques qui en sont responsables. Mais est-il vraiment possible, sans la charité, de voir pleinement en quoi consiste ce "qui revient à chacun"? Est-il vraiment possible de voir, dans l'autre – et plus spécialement dans le pauvre – non pas un fardeau, mais une ressource, comme le souhaite l'encyclique Sollicitudo rei socialis de Jean-Paul II ?

    À partir de quoi naît la dignité de la personne? Certes elle naît de ce que l'on voit son travail rémunéré et que l'on est traité selon la justice, ce qui permet de se rendre compte que l'on compte pour quelque chose, que l'on est respecté. Mais la perception de la dignité personnelle naît surtout du fait d'être aimé, c'est-à-dire d'obtenir quelque chose de plus que ce qui est dû, quelque chose en plus de la justice. C'est ce que nous ne méritons pas qui nous fait percevoir pleinement notre valeur, le fait d'être aimé gratuitement, de pouvoir bénéficier de quelque chose d'inespéré. Voilà justement ce que le christianisme a inséré dans l'histoire. Se sentir aimés de Dieu a permis aux hommes de comprendre la dignité qui est la leur, une dignité qui exige la justice mais aussi la charité ; aussi, à leur tour, ils sont encouragés à apporter la justice à travers la charité.

    Je crois qu'il est possible d'être juste même en l'absence de charité. Toutefois, celle-ci serait fragile et exposée aux intempéries. Sans la charité, en quelque sorte la justice est incomplète, on ne peut pas la connaître en totalité. Cela est dû au fait que l'homme connaît à travers la raison, mais aussi avec le cœur. Les pauvres ne sont vus que par ceux qui veulent les voir, qui les cherchent. La pauvreté n'existe pas, pour ceux dont le cœur est fermé, pour ceux qui ne veulent pas la voir. Sans la charité, la justice ne dure pas longtemps, elle devient froide et bureaucratique. Benoît XVI affirme que la charité est nécessaire même dans une société où la justice est appliquée totalement.

    En effet, la justice donne à chacun ce qui lui est dû, mais nous ne nous contentons pas de recevoir ce qui nous revient. Tous nous essayons d'avoir plus que ce qui nous est dû, ce qui nous est donné avec amour, car c'est de cette vocation – la vocation d'être aimés – que nous avons reçu notre dignité. Nous voulons davantage, en vertu non pas de l'injustice, mais de la "sur-justice". S'il n'y avait que la justice, il n'y aurait pas d'amour; mais sommes-nous certains que, sans l'amour, il n'y aurait pas de justice ?

Dans la République de Platon, selon Trasimaco, "personne n'est juste volontairement", mais seulement parce qu'il y est contraint. L'amour ne vient pas après la justice. Sans le regard profond de l'amour, la justice ne serait même pas justice. "Je n'aime pas votre justice froide et je vois toujours pointer dans les yeux de vos juges le regard du bourreau armé de sa hache impitoyable". Sans vouloir arriver jusqu'à ces images terrifiantes (cf. Ainsi parlait Zarathoustra), il faut bien reconnaître que, sans l'amour, la justice est souvent aveugle.

La dignité humaine dans son intégralité

    Notre société a un grand besoin de cette amitié civique, de cette citoyenneté solidaire, que le christianisme contribue à alimenter par son message de fraternité. Les élans humains vers la justice dégénèrent eux aussi s'ils ne sont pas rachetés par une charité supérieure. Ils dégénèrent surtout du fait que, sans la charité, il devient difficile de comprendre la dignité de la personne dans son intégralité : la dignité de tout l'homme et de tous les hommes.

     Il arrive ainsi que l'on fasse la distinction entre "droit" et "droit", que l'on se concentre de façon très précise dans certains secteurs et que l'on en néglige complètement d'autres, que l'on ne s'aperçoive pas des nouvelles fragilités : les enfants qui sont bombardés par des messages négatifs dès leur plus jeune âge ou qui subissent des violences à la suite de la désagrégation de leurs familles, le manque de confiance et d'espérance qu'un grand nombre mûrissent au sein d'une société souvent impitoyable. Sans parler des plus faibles parmi les faibles, de ceux qui s'apprêtent à commencer leur vie mais à qui l'on empêche de naître, de ceux qui sont proches de leur fin et qui y sont poussés. Il est certain que notre raison nous dit que l'embryon est vie humaine, tout comme la personne âgée en phase terminale. Mais cette raison ne suffit pas, du moins semble-t-il.

L’âme des rapports fraternels

    La société européenne ne peut pas se passer de cette âme fraternelle, suscitée par le christianisme. La dignité de la personne humaine n'est pas seulement un concept. Certes, elle est en rapport avec la vérité et la raison, mais elle naît plus exactement d'une attention désintéressée et elle exige donc d'être réalisée à travers des rapports fraternels. "Des rapports fraternels" : cette expression peut sembler bien peu adaptée à l'économie et à la politique. Et, en fait, elle doit être utilisée de façon adéquate. L'âme des rapports fraternels réside dans la religion et dans l'éthique, mais elle doit aussi être structurée et rendue publique.

    Cela est possible s'il ne s'agit pas d'une simple exigence morale ou moraliste, mais d'une exigence éthique, qui trouve un écho dans les besoins réels de nos sociétés avancées. Les sociétés développées, comme c'est le cas de la société européenne, qui ont depuis longtemps abandonné le fordisme et la verticalité de l'État, ont devant elles une grande occasion pour développer des rapports fraternels de réciprocité, et ce de manière structurée, en-dehors de la logique restreinte du marché et de l'État.

    Les difficultés dans lesquelles se trouvent les États pour fonctionner encore en tant que centres de programmation et d'orientation politique de la redistribution et des politiques de welfare ne sont pas utilisées de manière positive pour diffuser dans la société civile des formes nouvelles de mutualité, d'accueil et de gratuité, selon le principe non seulement de subsidiarité mais aussi et surtout de réciprocité, c'est-à-dire au-delà de la logique de ce qui se fait par obligation ou parce que contraints par les coûts ou par la loi. Les faiblesses du marché, en commençant par la soi-disant précarité, ne peuvent être surmontées aujourd'hui que de façon limitée par le marché lui-même ; et pourtant, le marché a besoin de conditions, qu'il est dans l'incapacité de créer, tout comme l'État.

    Il a besoin d'éthique, et il ne sait pas la créer ; il a besoin de confiance et de réciprocité, et il ne sait pas les engendrer ; il a besoin de charité fraternelle et il ne sait pas la créer. Et cela se produit justement au moment où les institutions politiques ont cessé de les produire.

    Qu'en est-il alors de la dignité de la personne ? Les mots de Jean-Paul II dans Centesimus annus(1991) semblent prophétiques : L'homme se trouve écrasé entre le marché et l'État, mais ce n'est ni l'économie ni la politique qui révèlent sa vraie dignité. À une certaine période, on pensait que le marché produisait la richesse et que l'État devait la distribuer. C'est différent aujourd'hui. La fraternité, qui représente le proprium du chrétien, a la possibilité, de nos jours, d'être déclinée dans des formes économiques et des réseaux de solidarité qui ne se reconnaissent plus dans l'ancienne opposition entre l'État et le marché. La dignité de la personne peut devenir non pas un fardeau à supporter, mais une ressource à utiliser.

Une ressource à utiliser

    Hélas, dans une grande mesure, ni le marché ni la politique ne l'ont compris, et tous deux agissent souvent en érodant ces conditions dont ils ont besoin, et en affectant la dignité de la personne.

    La révision des systèmes européens de welfare sans l'instauration de nouveaux réseaux de réciprocité ne venant pas s'ajouter de l'extérieur au marché, mais le traversant ; l'érosion de la famille, qui est la première agence sociale à produire la réciprocité et l'accueil ; la non-perception de l'urgence éducative, soulignée à plusieurs reprises par Benoît XVI, avec ses nombreuses répercussions négatives également dans les secteurs économiques et productifs, et qui "effiloche" notre tissu social en érodant l'écologie humaine, qui est un véritable capital social ; le peu de souci pour le maintien global du système moral de nos sociétés, souvent affaibli par l'individualisme et l'hédonisme, en ayant à l'esprit que l'on vit dans des compartiments étanches et que l'éthique économique ou celle de la finance sont indépendantes des autres secteurs de la vie morale de la personne ; tous sont des signaux négatifs qui, toutefois, et c'est là le problème, ont aussi de graves coûts économiques et politiques.

    C'est la loi de la cohérence par rapport à la dignité de la personne. Les blessures infligées à cette dignité ne peuvent pas ne pas avoir de conséquences mesurables quant à la quantité également. L'homme est une unité, parce que la vie est une synthèse. Cela vaut aussi pour les sociétés. Si la dignité de la personne n'est pas respectée chez les plus petits, en fin de compte elle ne sera pas respectée non plus chez les autres. Si les droits humains ne sont pas respectés dès la naissance, comment peuvent-ils l'être ensuite ? Soit tout se tient, soit tout s'écroule.

    La lassitude de certaines sociétés européennes se traduit par la dénatalité et l'appauvrissement générationnel. Comment l'individualisme par rapport à la vie ou aux liens familiaux peut-il se traduire dans une socialité accentuée dans le milieu du travail ? La dignité de la personne humaine nous rappelle ce tableau unitaire et cohérent. Et c'est surtout la dignité des plus petits et des plus faibles qui nous le rappelle. Une société qui ne les respecte pas n'a pas de futur, et elle cause des dommages à elle-même avant qu'à ceux-ci ; elle se montre fragile et craintive, sans imagination et sans ressources quant aux projets, sans confiance et déchirée intérieurement. C'est souvent l'impression que l'on a de la société européenne.

    À moins qu'elle ne redécouvre la cohérence qui émane de la dignité de la personne humaine. Si la société européenne le lui permet encore, le christianisme peut apporter une aide importante dans ce sens.


* Mgr Crepaldi est secrétaire du Conseil pontifical "Justice et Paix". Communication au colloque du Cercle Lamartine
  « Chrétiens : de l’audace pour la politique », collège des Bernardins, 10 octobre 2008.

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mardi 11 octobre 2011

Journée Mondiale des soins palliatifs ( émission sur RFI )





Par Claire Hédon

A l’occasion de la Journée mondiale des soins palliatifs, ce mardi 11 octobre 2011, nous posons la question : comment accompagner la fin de vie ? Depuis la loi Leonetti en 2005 qui autorise à « laisser mourir » un patient qui le souhaite en arrêtant tous les traitements, les soins palliatifs se sont développés pour prendre en charge la mort à l’hôpital. Mais alors que plusieurs affaires médiatiques ont ramené sur le devant de la scène la question de l’euthanasie, en remettant en cause le protocole Léonetti, on peut se demander si cette loi offre un cadre adapté et suffisant.

Pour en parler :
  • Dr Philippe Poulain, responsable d’une unité de soins palliatifs à la polyclinique de l’Ormeau à Tarbes, qui est le 2ème centre d’oncologie en Midi Pyrénées. Président du congrès organisé le 21 octobre 2011 à Tarbes sur le thème : Soins palliatifs en institution et à domicile : entre mythe et réalité ?
  •  Laetitia Dosne, fondatrice et directeur général du Fonds pour les Soins Palliatifs.
  • Pr Mati Nejmi, professeur d'anesthésie-réanimation et chef des services Anesthésie-Réanimation et Traitement de la Douleur à l'Institut National d'Oncologie à Rabat au Maroc. Il est également président-fondateur de la «société marocaine contre la Douleur» et directeur de Programme de Recherche au Maroc de «Douleurs Sans Frontières».

En fin d’émission, à l’occasion de la 5ème édition du Pasteurdon les 14, 15 et 16 octobre 2011, organisé par l’Institut Pasteur, nous faisons le point sur les avancées et les besoins de la Recherche. Avec : Dr Armelle Phaliponchercheuse au sein  de l’Unité de Pathogénie Microbienne Moléculaire à Institut Pasteur.


Priorite sante
(19:31)











Autres articles du blog:



La meilleure façon de mourir dans la dignité : les soins palliatifs




Le 30 septembre, l'Assemblée des évêques catholiques du Québec (AECQ) a présenté un 
 devant la Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité, à Québec, composée d'une quinzaine de députés. Ils ont souligné que la « société n'a pas avantage à modifier la loi canadienne qui interdit l'euthanasie et l'aide au suicide. Nous avons même moins de raisons qu'autrefois de l'envisager »


    Les questions du début et de la fin de la vie nous touchent tous personnellement. Elles nous ramènent à ces réalités essentielles de notre existence que les aléas de la vie nous font souvent oublier. Le regard que nous posons sur ces moments constitue un bon reflet de nos valeurs personnelles et collectives.
Comme assemblée d'évêques catholiques, nous tenons à exprimer de nouveau notre solidarité avec le peuple québécois en participant à ce débat de première importance. Nous voulons d'abord nous mettre à l'écoute des opinions, convictions et valeurs exprimées par nos concitoyens et concitoyennes. Mais il nous importe aussi de partager les nôtres, dans l'espoir qu'elles contribueront à rendre notre société plus solidaire et plus humaine. Nous osons même exprimer notre fierté à l'effet qu'en ce domaine, plusieurs positions ecclésiales déjà anciennes ont servi de guide pour une pratique médicale éthiquement acceptable.
D'entrée de jeu, nous affirmons que notre société n'a pas avantage à modifier la loi canadienne qui interdit l'euthanasie et l'aide au suicide. Nous avons même moins de raisons qu'autrefois de l'envisager.
    1. Certaines personnes pensent à l'euthanasie ou à l'aide au suicide par crainte de la douleur physique. De fait, personne n'est à l'abri de cette crainte qui est souvent viscérale. Nous avons tous vu l'un ou l'autre de nos parents et amis en proie à la douleur. Dans certaines formes de cancer, en particulier, elle peut être très vive.
Mais il est communément admis que toute personne doit être soulagée de sa douleur. Si elle est intense au point d'occuper tout le champ de la conscience, elle s'avère déshumanisante et donc inacceptable. Depuis un demi-siècle déjà, l'Église considère que la douleur doit être soulagée, même au risque d'abréger la vie. Il suffit que l'intention première soit le soulagement de la douleur (cause à double effet). Nous espérons que votre Commission aidera à dissiper une confusion trop fréquente, même en milieux de soins de santé, entre certains contrôles de la douleur pouvant aboutir à la mort et une véritable euthanasie.
    Or, le corps médical affirme disposer aujourd'hui de moyens de plus en plus efficaces pour le soulagement de la douleur. Les médecins spécialisés en analgésie disent qu'il est possible d'identifier les doses et les sortes d'analgésiques capables de provoquer ce soulagement. De plus, comme le rapport de la Commission le souligne, dans les cas plutôt rares où ce résultat n'est pas obtenu, une sédation palliative permettra à la personne souffrante de récupérer une part de ses énergies et, au moment approprié, de reprendre contact avec les siens.
    Nous pouvons donc croire que, grâce à une formation appropriée du corps médical et à la poursuite de la recherche sur le soulagement de la douleur, la crainte de la douleur physique aura encore moins raison d'exister. Elle pourra être mieux soulagée.

Dans le meilleur intérêt du patient

    2. Un autre motif de crainte peut inciter certaines personnes à envisager l'euthanasie ou à l'aide au suicide : l'acharnement thérapeutique. De fait, quand nous voyons certaines personnes malades branchées sur des appareils sophistiqués, parfois en plusieurs lieux de leur corps, il est tout naturel de réagir contre une pratique médicale apparemment trop envahissante et peu respectueuse des personnes. Il convient toutefois de vérifier si ce dispositif est temporaire et destiné à la récupération des forces de la personne malade ou s'il se prolonge sans perspective de réelle amélioration, particulièrement en fin de vie.
    Il y a plus d'un demi-siècle, le Pape Pie XII affirmait que le médecin ne peut décider d'un traitement sans l'accord de la personne malade. Celle-ci, disait-il, doit prendre les moyens ordinaires pour assurer sa vie – autrement il s'agirait d'une forme de suicide. Mais elle n'est pas obligée moralement de prendre des moyens qu'elle considère disproportionnés en regard du bénéfice espéré. Si elle est incapable de manifester ses désirs, des proches et l'équipe médicale agiront en fonction des mêmes principes et dans le meilleur intérêt du patient.
Le corps médical étant plus soucieux de respecter les désirs des malades, nous avons moins de raisons qu'autrefois de craindre l'acharnement thérapeutique.
    3. Lorsque des personnes désirent l'euthanasie ou l'aide au suicide, elles le justifient par des motifs différents. Or une revue systématique des publications médicales sur le sujet dégage une constante : le motif principal de leur demande est la souffrance psychique ou morale. Or, cette souffrance est souvent beaucoup plus difficile à affronter ou à soulager que la douleur physique. À cet égard, médecins, personnel soignant et proches de la personne malade se sentent également démunis.
    De fait, l'épreuve majeure d'une existence humaine consiste généralement à voir ses forces physiques décliner, ses sens perdre leur acuité, son univers rapetisser comme peau de chagrin, sa dépendance à l'égard des autres grandir, son intimité subir un envahissement gênant etc. Pour plusieurs, le sentiment lié à la perte de contrôle sur leur vie s'avère déterminant.
Or, à l'évidence, tous ces motifs ne relèvent pas d'abord d'un problème médical mais d'un problème humain. Et ce problème affecte l'ensemble de notre société. Il existe, parfois tout près de nous, des souffrances plus grandes que celles des malades de nos hôpitaux et de nos centres de soins de longue durée. Qui oserait affirmer qu'elles doivent être soulagées par l'euthanasie ou l'aide au suicide ? Au contraire, beaucoup de personnes s'engagent dans des organismes de prévention du suicide précisément pour prévenir cette éventualité. Même si, comme le proposent les partisans de l'euthanasie, l'accès à l'euthanasie et à l'aide au suicide était limité à la fin de vie, les personnes qui luttent contre la tentation du suicide ou qui oeuvrent dans des organismes de prévention nous reprocheraient avec raison de créer dans notre société une mentalité mortifère. Nous augmenterions le risque de voir les personnes les plus fragiles céder à la tentation d'en finir.
    Nous ne voyons pas d'alternative véritable à la souffrance psychique, sinon une authentique compassion de notre part. À cet égard, nous nous interrogeons sur le bien-fondé d'une expression comme celle de meurtre par compassion. La véritable compassion incite à être sensible à la souffrance de l'autre et à l'accompagner sur sa route, parfois la dernière de sa vie. L'éliminer pourrait bien être considéré comme un refus de l'accompagner, comme un abandon avant qu'elle ne parvienne à son terme.
    Il est vrai qu'en présence d'une grande souffrance morale, nous sommes ramenés à notre propre vulnérabilité et à la pauvreté de nos moyens. Compatir conduit donc aussi à faire l'expérience de nos propres limites en même temps que celles de la science médicale. Mais ces limites mêmes aident à nous recentrer sur l'essentiel. Les personnes qui acceptent d'accompagner des personnes malades, particulièrement dans les milieux de soins palliatifs, témoignent que beaucoup d'entre elles vivent une réelle croissance personnelle et qu'accompagner fait aussi grandir. La maladie aide à faire la vérité sur soi, à vivre des réconciliations avec soi-même ou avec l'un ou l'autre de ses proches. Elle offre l'occasion de redonner sens à sa vie et à sa mort. Ce qui se présentait au départ comme la crainte d'une grande souffrance peut finalement s'avérer un chemin d'humanisation.

Pas d'autonomie sans solidarités

    4. Les personnes qui se déclarent favorables à l'euthanasie ou à l'aide au suicide considèrent que ce choix représente une exigence de leur autonomie. Elles insistent sur le fait qu'elles seules ont le droit de décider de la façon dont elles quitteront cette vie. Une requête tout à fait compréhensible puisque l'autonomie est aussi une expression de leur dignité personnelle.
    Dans une culture comme la nôtre, qui accentue la place des libertés individuelles et de la conscience personnelle, la valeur de l'autonomie prend un relief supplémentaire. Certains l'expriment sous forme d'un droit quasi absolu de faire les choix sur les réalités qui les concernent.
    Mais l'autonomie ne peut naître et se développer qu'en faisant appel à des solidarités. Comment en effet concevoir la vie sans solidarités ? Nous commençons à tisser des liens dès avant notre naissance. La biologie nous apprend que nous fabriquons nous-mêmes le cordon ombilical et le placenta qui nous relient à notre mère. Puissant symbole de notre besoin des autres. Par la suite, nous sommes accueillis par les membres de notre famille, des confrères de classe, des collègues de travail, un conjoint ou une conjointe, des enfants et des petits-enfants… : autant de liens de solidarité qui ont tissé peu à peu ce que nous sommes devenus.
Alors, quand surviennent les dernières étapes de notre vie, nous ne pouvons pas décider de tout comme si nous étions seuls au monde. Nous portons une responsabilité à l'égard des personnes et des milieux de qui nous avons beaucoup reçu.
    Par exemple, lorsqu'une personne décide de s'enlever la vie et justifie son geste publiquement, quel message envoie-t-elle aux personnes vivant la même situation ou une condition encore plus pénible ? Quel message reçoivent les personnes handicapées et les grands malades quand ils apprennent que des personnes connues ont choisi de mettre fin à leurs jours ? L'interdit actuel de l'euthanasie ou de l'aide au suicide représente pour elles une barrière qu'elles n'oseront généralement pas franchir. Une fois la barrière tombée, il devient plus facile de céder à cette tentation. Nous croyons qu'il faut prêter la plus grande attention à la fragilité des personnes âgées et handicapées. Déjà l'impression d'être inutiles ou plus ou moins confinées à leur solitude affecte leur goût de vivre. Quand elles constatent que leur condition physique se dégrade et qu'elles deviennent un poids de plus en plus lourd pour elles-mêmes et pour les autres, elles peuvent être sollicitées par ces tendances mortifères qui affleurent souvent aux heures difficiles de la vie. Elles ont besoin que leur milieu immédiat, que la société les protègent contre le sentiment d'être de trop et de constituer un fardeau pour leurs proches et pour la société. Elles n'ont surtout pas besoin qu'on en rajoute en créant des conditions qui augmenteront le doute dans leur esprit.
Il est juste d'affirmer que nous faisons présentement un débat de société. Car une question comme celle de l'euthanasie et de l'aide au suicide nous conduit inévitablement à d'autres questions tout à fait fondamentales : que voulons-nous vivre ensemble ? quel type de société voulons-nous léguer aux générations qui montent ? Souhaitons-nous une société où les droits individuels sont constamment renforcés ou une société génératrice de solidarités ? Nous satisferons-nous des solidarités des grands événements sportifs, des spectacles de la scène ou d'une fête nationale ? Elles sont tout à fait sympathiques et elles gardent leur valeur dans toute vie commune. Mais les solidarités vécues au quotidien par des personnes engagées auprès de malades blessés dans leur corps, leur esprit ou leur cœur pèsent d'un tout autre poids. Ce sont celles-là d'abord qu'une société et un État doivent protéger et encourager.
À cet égard, rappelons-nous la première recommandation de la Commission sénatoriale qui, il y a une quinzaine d'années, a étudié cette question avec grand soin. (1) Elle a fait de la promotion des soins palliatifs sa première recommandation. Autrement dit, elle a misé non pas sur un changement de la loi actuelle, qui aurait renforcé les tendances individualistes déjà trop présentes dans notre société. Elle a plutôt compté sur la remarquable capacité de solidarité de tant de nos concitoyens et concitoyennes.
    La pratique des soins palliatifs s'avère effectivement un lieu où un personnel soignant et de nombreux bénévoles offrent un environnement et un accompagnement personnalisés à des malades en phase terminale. Comme on le sait, ce n'est plus le temps de chercher à guérir. Une fois assurés le soulagement de la douleur physique et les soins de base, le personnel et les bénévoles des soins de santé assurent un accompagnement qui confirme les malades dans le sentiment qu'ils continuent à compter et qu'ils n'ont pas perdu leur dignité. Celle-ci en effet tient beaucoup à la qualité des relations maintenues avec eux et à la qualité du regard posé sur eux. Puisque tous souhaitent une mort dans la dignité, interrogeons les personnes qui sont familières avec la pratique des soins palliatifs. De façon quasi unanime, elles confieront qu'il n'existe sans doute pas de meilleure façon de mourir dans la dignité.
Aujourd'hui encore, votre commission pourrait difficilement rendre un meilleur service à notre population que de promouvoir une meilleure accessibilité aux soins palliatifs. Le Québec a effectivement fait des pas intéressants dans cette direction ; des maisons continuent à se mettre sur pied ici et là, en mobilisant une remarquable générosité. Mais il semble que 15 % seulement des malades en phase terminale soient en mesure d'en profiter. Voilà un lieu où diriger nos efforts et nos ressources.
    D'aucuns affirment que les soins palliatifs pourraient être offerts au choix, en même temps que l'euthanasie ou l'aide au suicide. Pareille affirmation nous laisse très perplexes. Pour sa part, le docteur Louis Dionne, qui a œuvré longtemps à la maison de soins palliatifs Michel Sarrazin, s'est exprimé avec vigueur contre cette éventualité. Il disait à la Commission sénatoriale : « Si vous acceptez l'euthanasie, vous tuez les soins palliatifs, dans leur essence et dans leur philosophie. » (2) En effet, comment mobiliserait-on des centaines de bénévoles, comment justifierait-on autant de ressources s'il paraît évident à tous qu'on peut en finir avec de bien moindres efforts et à de bien moindres coûts ? N'oublions pas qu'une frange importante de notre population pose sur ces réalités un regard très pragmatique.

L'interdit d'homicide de la tradition hippocratique

    5. Comme plusieurs intervenants, nous appréhendons beaucoup d'autres conséquences d'une éventuelle acceptation de l'euthanasie et de l'aide au suicide.
D'abord sur la profession médicale. Dès le moment où des malades ou des personnes âgées savent que leur médecin n'est pas là seulement pour soigner et guérir mais éventuellement pour donner la mort, la relation n'est plus la même. La confiance ne saurait plus être totale. Comment savoir si, en des moments où la lucidité du malade s'estompe, le médecin ne s'autorisera pas du principe de bienfaisance pour procéder à une discrète euthanasie ? L'interdit d'homicide de la tradition hippocratique représente une sagesse qui a traversé les siècles ; il mérite encore d'être respecté.
    Advenant une légalisation de l'euthanasie ou de l'aide au suicide, la relation d'une personne malade avec ses proches est également altérée. Quand et comment répondre à la demande d'une personne proche qui désire l'euthanasie ? Provoquer la mort de quelqu'un demeurera toujours un geste très grave qui laisse inévitablement sa marque chez la personne qui en est responsable. De plus, quand la personne malade est en perte de lucidité et que les proches sont appelés à prendre une décision à son sujet, comment savoir si certains intérêts personnels, financiers ou autres, ne pèsent pas dans la décision ?
Si l'euthanasie ou l'aide au suicide étaient décriminalisées, la situation ne serait également plus la même pour les pouvoirs publics. Une fois l'interdit de l'homicide aboli, la vie humaine perd le caractère intouchable qu'elle possédait jusque là. Ce caractère est heureusement renforcé dans notre pays par l'abolition de la peine de mort. Ne serait-il pas paradoxal que la peine de mort soit abolie pour les uns en même temps qu'on provoque cette mort chez d'autres ? De plus, qui peut dire si les grands malades inconscients, les personnes très handicapées nécessitant des soins lourds et coûteux ne seront pas sacrifiés discrètement pour libérer des lits et alléger des budgets si difficiles à contrôler ?
    Ici également, il faut craindre la pente glissante. Les personnes ou les groupes qui font la promotion d'une « aide à mourir » affirment avec force que des balises strictes régleront cette pratique. Connaît-on des situations où, peu à peu, les balises n'ont pas été déplacées pour satisfaire d'autres demandes que celles qui avaient été prévues ? Le Canada en a fait l'expérience dans le cas de l'avortement. Le pays où la pratique de l'euthanasie est la plus longue, la Hollande, s'est fait interpeller récemment par le Comité des droits de l'homme de l'ONU pour manque de respect des balises qu'il s'était données. (3) Le parrain de la loi française sur le sujet, le député Jean Léonetti, y a fait un séjour de quelques mois. Il a constaté que, dans la pratique, il s'y développait un renforcement du pouvoir médical.
    6. La commission a lancé un processus de consultation qu'elle désire sans doute des plus démocratiques. Le document de travail qu'elle a élaboré reflète cette intention. Qu'on nous permette cependant la remarque suivante : la plus grande part des questions auxquelles les personnes participantes sont appelées à répondre touchent les modalités de l'exercice de l'euthanasie ou l'aide au suicide. D'où l'impression que c'est le choix qui sera fait, d'une manière ou de l'autre. On comprend que le maintien du statu quo puisse impliquer moins de questions mais l'écart entre les deux options est tellement considérable qu'il suggère une orientation déjà prise, au moins en apparence.
    La démocratie peut s'exercer de diverses manières. Il est prévisible que si la décision sur cette question reposait d'abord sur le résultat d'un référendum ou sur les opinions exprimées par Internet, il y aurait de fortes chances qu'une majorité se dégage en faveur de l'euthanasie ou l'aide au suicide. Pour diverses raisons. Tout comme la population, dans un cas semblable, pourrait bien se dire favorable à la peine de mort. Mais c'est la responsabilité des personnes élues, grâce aux moyens dont elles disposent, de mieux anticiper les conséquences d'une éventuelle décriminalisation de l'euthanasie.
    C'est précisément ce que nous avons observé en 1994-1995 quand la Commission sénatoriale a mené une étude approfondie de cette question. C'est aussi ce qui s'est produit plus récemment en Angleterre et en France. Dans le cas de l'Angleterre, l'Association médicale britannique s'est prononcée majoritairement contre le projet de loi en faveur de l'euthanasie. Reconnaissons qu'elle était bien placée pour prendre la mesure des enjeux en cause et convaincre les parlementaires. En France, à la suite du volumineux rapport d'une commissionad hoc, les parlementaires ont voté très majoritairement contre la décriminalisation. Ce fut toutefois l'occasion de réaffirmer que les patients peuvent refuser ce qu'ils estiment une « obstination déraisonnable » (acharnement thérapeutique), qu'ils ont le droit d'être soulagés convenablement de leur douleur même au risque d'abréger leur vie, etc. Nous ne doutons pas que votre commission mène son étude avec la même rigueur et le même sens des responsabilités.
    Nous nous permettons cependant une mise en garde contre une hypothèse qui a été évoquée par certains. L'application de la loi, disent-ils, étant du ressort des provinces, il serait possible de maintenir la loi actuelle, tout en laissant aux tribunaux de décider de son application ou non. Cette tendance s'observe déjà puisque plusieurs « meurtres par compassion » se sont, à toutes fins pratiques, terminés par une absolution sans pénalité. Pareille situation nous paraît inacceptable, même sous le prétexte de « l'exception québécoise ». Elle revient, en somme, à lever la barrière de l'interdit. Si la loi existe, elle doit être observée. Sinon, la fonction de législateur perd une part de sa crédibilité puisque le système judiciaire peut la contourner. C'est d'ailleurs ce qui s'observe en Angleterre où le système juridique outrepasse ses prérogatives en contournant les décisions du Parlement. Ce que l'ancien premier ministre Gordon Brown avait déploré. (4)

Des recommandations pour une fin de vie plus humaine

    7. Jusqu'ici notre propos s'est voulu large et acceptable par des personnes de toute origine et de toute croyance. Comme représentants de la communauté catholique, permettez-nous d'ajouter certaines convictions de foi qui confèrent un supplément de sens à notre propos.
    Dès les toutes premières pages de la Genèse, l'interdit du meurtre est affirmé de manière dramatique dans le récit de l'assassinat d'Abel par son frère Caïn. La question que l'auteur biblique met dans la bouche de Dieu est remarquable de concision et de sens : « Écoute le sang de ton frère qui crie vers moi du sol » (Gn 4, 8-10) « Écoute », c'est la voix de la conscience. « Le sang de ton frère » : tu partageais avec lui le même sang et une commune humanité. « Qui crie vers moi du sol » : vers moi car Dieu a partie liée avec la vie, tout particulièrement celle de l'être humain. Il y voit son image et sa ressemblance, il lui a insufflé un peu de son souffle de vie.
Cette page biblique est la première d'une série d'affirmations répétées de multiples manières dans la Bible : Dieu est maître et Seigneur de la vie. Il nous l'a donnée, non pas pour que nous en disposions à notre gré, surtout pas en la supprimant. Il nous l'a confiée à la manière d'un talent ou d'un trésor, pour qu'en bons gérants nous lui permettions de produire tous ses fruits, pour nous-mêmes et pour les autres.
Car toute vie humaine peut porter des fruits même si elle paraît inutile ou improductive, même lorsque nous serions tentés d'en détourner notre regard, comme pour le Serviteur souffrant d'Isaïe : « Il était comme celui qui n'a plus ni attrait ni beauté et dont on détourne son regard » (Is 53, 2) Isaïe annonçait alors la manière dont Jésus affronterait lui-même sa mort. À l'heure des abandons et des ruptures, il a mobilisé ses forces restantes pour retisser des liens. Entre sa mère et Jean : « Voici ton fils, voici ta mère ». (Jn 19, 26-27) Puis avec le larron : « Aujourd'hui tu seras avec moi en paradis ». (Lc 23,43) Ensuite avec ses bourreaux : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu'ils font » (Lc 23, 34) Enfin, avec son Père : « Entre tes mains, je remets mon esprit » (Lc 23, 46). Au cœur de l'épreuve finale, il demeure l'homme de toutes les solidarités. Aujourd'hui encore, beaucoup d'entre nous désirent marcher sur ses traces, convaincus que son exemple et son message peuvent contribuer puissamment à l'édification d'une société plus humaine et plus fraternelle.
    En conclusion, nous souhaitons que la Commission propose des recommandations qui aideront effectivement à rendre la fin de vie la plus humaine et la plus humanisante possible, tant pour les individus que pour notre société. Nous pensons que ce sera le cas si cette fin survient à son heure : pas avant par euthanasie ou aide au suicide, pas après à cause d'acharnement thérapeutique. Cela s'avérera également si la personne en fin de vie est accompagnée par du personnel soignant et des bénévoles qui la soutiennent tout au cours de cette étape cruciale de son existence.

RÉFÉRENCES:

(1) Sénat du Canada, De la vie et de la mort, Sous les auspices du Sénat, juin 1995.
(2) Délibérations du Comité sénatorial spécial sur l'euthanasie et le suicide assisté, Ottawa, 6 juillet 1994.
(3) Comité des droits de l'homme de l'ONU, 96e session, juillet 2009.
(4) Virginie Malingre, Le Figaro.fr, 8 février 2010


Sur Facebook : http://on.fb.me/njLOoy



lundi 10 octobre 2011

La personne en Fin de Vie ( à propos du Projet de loi du parlement espagnol - 27 Juin 2011 )



DECLARATION DE LA CONFERENCE EPISCOPALE ESPAGNOLE   


La Commission permanente de la Conférence épiscopale espagnole a fait part
de sa position a propos du « Projet de loi de réglementation des droits de la personne
en fin de vie » dans une déclaration rendue publique le 27 juin 2011 lors de la discussion
au parlement espagnol, après une longue étude du Projet. Elle apporte ainsi
sa contribution au débat public, attirant l'attention sur une possible reconnaissance
de l'euthanasie.


    1. En Espagne, comme ailleurs dans le monde occidental, on discute et on légifère depuis des années à propos de la meilleure manière de faire face à la mort, ce qui est compréhensible pour ce moment si délicat et fondamental de la vie humaine. La question est d'actualité pour plusieurs raisons. Il est possible que la plus déterminante d'entre elles réside dans les progrès de la médecine qui, s'ils ont d'un côté permis d'allonger la durée
de la vie, sont par ailleurs fréquemment à l'origine de situations complexes dans les moments ultimes, pour lesquelles il devient difficile de distinguer ce qui est naturel de ce qui est artificiel, ou encore la souffrance inévitable de la souffrance due à certaines interventions des nouvelles techniques médicales. De plus, l'augmentation du nombre de personnes qui arrivent à un âge avancé, en situation de faiblesse, pose à nouveau la question du sens de la vie humaine dans ces conditions.

    2.  En diverses occasions, exigeant une parole éclairante à ce sujet, la Conférence épiscopale, à la lumière de l'Évangile de la vie et des droits fondamentaux de la personne, a fait entendre sa voix à travers ses différents organismes (1).
Les principes de base de la doctrine catholique concernant « l'Évangile de la vie humaine », dans tous ses aspects, et, par conséquent, tout autant dans ceux qui se rapportent au « respect et au soin de la vie humaine souffrante et [en phase]
terminale », se trouvent lumineusement synthétisés dans le troisième chapitre de l'Instruction pastorale de l'Assemblée plénière intitulée 
La famille,sanctuaire de la vie et espoir de la société (2).

    3.  Le gouvernement de la nation a approuvé le 17 juin dernier un « projet de loi de réglementation des droits de la personne en fin de vie » qui aborde pour la première fois cette question en vue d'instituer une norme pour toute l'Espagne (3). 
Nous souhaitons exprimer notre position sur le sujet afin de contribuer au débat public nécessaire et serein que requiert une question d'une telle importance et afin d'aider les catholiques et tous ceux qui voudront nous écouter à se faire une opinion pondérée et en accord avec l'Évangile et avec les droits fondamentaux de l'être humain.

    4. Dans cette perspective, nous rappelons d'abord succinctement les principes de base de l'Évangile de la vie puis nous proposons notre approche du Projet à la lumière de ces principes.

PREMIÈRE PARTIE

L'ÉVANGILE DE LA VIE La vie de chaque personne est sacrée, même si elle est faible ou souffrante ou si elle arrive au terme de son séjour sur terre; les lois doivent toujoursprotéger sa dignité et garantir ses soins (4)

La dignité de la vie humaine et son caractère sacré

    5. Lorsque nous parlons de dignité humaine, nous nous référons à la valeur incomparable de chaque être humain particulier. Chaque vie humaine nous apparaît comme quelque chose d'unique et d'irremplaçable ; sa valeur ne peut se mesurer par rapport à aucun objet, ni même par comparaison avec une autre personne ; chaque être humain constitue, en ce sens, une valeur absolue. 
   6. La révélation de Dieu en Jésus-Christ nous dévoile la raison d'être ultime de la dignité sublime que possède chaque être humain, puisqu'elle nous enseigne que l'origine et le destin de chaque homme se trouvent dans lAmour que Dieu est lui-même. [...] Les êtres humains ne sont pas Dieu, nous ne sommes pas des dieux, nous sommes des créatures finies. Mais Dieu nous veut avec lui. C'est pour cela qu'il nous crée : sans aucun motif dû à la raison, mais par pure générosité et gratuité, il veut faire de nous des participants libres de sa vie divine, c'est-à-dire de son Amour éternel. C'est pour cela que la vie humaine est sacrée.

« Dignification » de la souffrance et de la mort, face aux faux critères de la « qualité de la vie » et de « l'autonomie » du patient


    7. Lorsque l'existence est régie par les critères d'une « qualité de la vie » définie principalement par le bien-être subjectif se mesurant seulement en termes matériels et utilitaires, les mots « maladie », « douleur » et « mort » ne peuvent avoir de sens humain. Si l'on ajoute à cela une conception de la liberté comme simple capacité à réaliser ses
désirs propres (sans référence au bien objectif), il n'est pas étonnant que, dans ces circonstances, on en arrive à justifier et même à exalter le suicide comme s'il s'agissait d'un acte humain responsable, voire même héroïque. Ce retour à une légitimation sociale de l'euthanasie, phénomène très commun dans les cultures païennes préchrétiennes, se présente aujourd'hui, avec un criant individualisme antisocial, comme un acte de plus du choix de l'individu sur ce qui lui appartient : dans le cas présent, sur la vie même, lorsque la « qualité » fait défaut. 
    8.  L'Évangile de la vie renforce la raison humaine pour l'amener à comprendre la véritable dignité des personnes et à la respecter. Associées au mystère pascal du Christ, la souffrance et la mort apparaissent éclairées par la lumière de cet Amour originel, l'amour de Dieu, qui, dans la Croix et la Résurrection du Sauveur, se révèle à nous plus fort que le péché et la mort. De cette manière, la foi chrétienne confirme et dépasse ce que pressent le cœur humain : que la vie est capable de dépasser ses conditions temporelles et spatiales précaires, car elle est, en un certain sens, éternelle. Jésus-
Christ ressuscité met devant nos yeux émerveillés le futur que Dieu offre à la vie de tout être humain : la glorification de notre corps mortel.
    9. L'espoir en la résurrection et la vie éternelle nous aide non seulement à percevoir le sens caché de la souffrance et de la mort, mais aussi à comprendre que notre vie ne peut être comparée à aucune de nos possessions. La vie est à nous, nous en sommes responsables, mais en réalité elle ne nous appartient pas en propre. S'il fallait parler d'un « propriétaire » de notre vie, ce serait celui qui nous l'a donnée : le Créateur. Mais lui n'est pas, non plus, propriétaire de qui que ce soit. Il est la Vie et lAmour. C'est-à-dire que notre Seigneur véritable - grâce à Dieu ! - n'est pas notre petit
« moi » fragile et périssable, mais la Vie et l'Amour éternels. Il n'est pas raisonnable que nous désirions devenir propriétaires de nos vies. Notre raison le sait, qui connaît l'existence de biens qui ne nous sont pas accessibles, comme par exemple la liberté, et, à la source de tous les biens, la vie elle-même. La foi éclaire et renforce cette connaissance.

    10. La vie humaine a un sens, qui est au-delà d'elle-même, pour lequel cela vaut la peine qu'on l'abandonne. La souffrance, la faiblesse et la mort ne suffisent pas pour ôter à la vie son sens. Il faut savoir assimiler ces côtés obscurs de l'existence dans le sens intégral de la vie humaine. La souffrance peut déshumaniser celui qui ne parvient pas à cette intégration, mais elle peut aussi constituer la source de la libération et de l'humanisation véritables. Non parce que la souffrance ou la mort seraient bonnes, mais parce que lAmour de Dieu est capable de leur donner un sens. Il ne s'agit pas de choisir la souffrance ou la mort. C'est cela qui précisément les déshumaniserait. Ce qui importe c'est de vivre la souffrance, et la mort elle-même, comme étant des actes d'amour, d'abandon de la vie à celui dont nous l'avons reçue. Là réside le véritable secret de la « dignification » de la souffrance et de la mort.

La mort ne doit pas être provoquée (non à l'euthanasie), mais elle ne doit pas non plus être retardée de manière absurde (non à l'acharnement thérapeutique)


    11. Nous réaffirmons la condamnation explicite de l'euthanasie en tant qu'elle est gravement en contradiction avec le sens de la vie humaine. Nous rejetons l'euthanasie au sens propre, c'est-à-dire « une action ou omission qui, par sa nature et dans son intention, cause la mort, dans le but d'éliminer une souffrance » (5). Par contre, ne sont pas considérées comme participant de l'euthanasie proprement dite, et par conséquent « ne sont pas moralement rejetables, des actions ou omissions qui ne causent pas la mort par leur propre nature et intention. Par exemple, l'administration appropriée de calmants (même si cela a pour conséquence d'écourter la vie) ou le renoncement à des thérapies disproportionnées (ledit « acharnement thérapeutique »), qui retardent la mort de manière forcée aux dépens de la souffrance du mourant et de ses proches. La mort ne doit pas être provoquée, mais elle ne doit pas non plus être retardée de manière absurde » (6).

Il est possible de rédiger un « testament vital »


    12. Répondant aux critères énoncés, la Conférence épiscopale a proposé à son tour un modèle de manifestation anticipée de la volonté, que nous présentons en appendice à cette déclaration, dans une formulation actualisée (voir p. 860). Ceux qui souhaiteraient signer un document de ce type pourraient trouver dans ce « testament vital » un modèle en accord avec la doctrine catholique et avec les droits fondamentaux de la personne, ce qui n'est pas toujours le cas dans
d'autres modèles.

La légalisation expresse ou implicite de l'euthanasie, est en réalité l'ennemie des plus faibles

    13. La légalisation de l'euthanasie est inacceptable, non seulement parce qu'elle supposerait la légitimation d'un mal moral grave, mais aussi parce qu'elle créerait une intolérable pression sociale sur les personnes âgées, les handicapés et tous ceux dont les vies pourraient être considérées comme étant « de qualité inférieure » et comme des fardeaux pour la société ; elle conduirait — comme le montre l'expérience - à de véritables homicides, allant au-delà du consentement supposé des patients, et introduirait dans les familles et les institutions sanitaires la méfiance et la crainte face à la dépréciation et la marchandisation de la vie humaine.

L'objectif de la législation sur la fin de vie doit être de garantir les soins au mourant, et non de recourir à de faux critères de « qualité de la vie » et d'« autonomie » pour, en réalité, mettre en péril sa dignité et son droit à la vie


    14.  La complexité croissante des moyens techniques capables aujourd'hui de prolonger la vie des malades et des personnes âgées crée certainement des situations et des problèmes nouveaux qu'il est nécessaire de savoir bien évaluer, au cas par cas. Mais le plus important, sans doute, est que l'effort considérable que fait notre société pour les soins des malades s'accroisse encore plus pour le respect de la dignité de chaque vie humaine. La qualité des soins ne peut se
réduire à la seule technique, elle doit être à la fois professionnelle et familiale. 
    15.  Dans notre société où la proportion des personnes âgées augmente chaque jour, les institutions gériatriques et sanitaires - en particulier les unités de douleur et de soins palliatifs – se doivent d'être [bien équipées et] en coordination avec les familles, et celles-ci à leur tour, qui constituent l'environnement naturel et originel des personnes âgées et des malades, doivent recevoir l'appui social et économique nécessaire pour que soit rendu ce service inestimable au bien commun. La famille est le lieu naturel de l'origine et de la fin de la vie. Si elle est valorisée et reconnue comme telle, ce n'est pas la fausse compassion qui tue, qui aura le dernier mot, mais l'amour véritable, lui qui veille sur la vie, même au prix de son propre sacrifice.

Dénoncer la possible légalisation implicite de l'euthanasie est un devoir moral et démocratique


    16. Lorsque nous affirmons que la légalisation implicite ou expresse de l'euthanasie est intolérable, nous ne mettons pas en cause l'organisation démocratique de la vie publique, et nous n'essayons pas d'imposer une conception morale privée à l'ensemble de la vie sociale. Nous soutenons simplement que les lois ne sont pas justes du seul fait d'avoir été approuvées par les majorités correspondantes, mais par leur adéquation à la dignité humaine.

    17.  Nous n'identifions pas l'ordre légal à l'ordre moral. Nous sommes donc conscients qu'à l'occasion, les lois, dans l'intérêt du bien commun, se doivent de tolérer et réglementer certaines situations et comportements chaotiques. Mais il ne peut jamais en être ainsi quand ce qui est enjeu est un droit fondamental, tel que le droit à la vie. Les lois qui tolèrent et réglementent les violations du droit à la vie sont dangereusement injustes et on ne doit pas leur obéir. De plus, ces lois mettent en cause la légitimité des pouvoirs publics qui les élaborent et les approuvent. Il est nécessaire de les dénoncer
et de faire en sorte, à l'aide de tous les moyens démocratiques disponibles, qu'elles soient abolies, modifiées ou, le cas échéant, non approuvées.

Le droit à l'objection de conscience


    18.  Sur une question aussi importante, il doit être clair, du point de vue légal encore une fois, que les personnes qui peuvent se voir professionnellement impliquées dans des situations entraînant des atteintes « légales » à la vie humaine, ont droit à l'objection de conscience et à n'être lésées en aucune manière pour l'exercice de ce droit. Face au vide légal existant, la réglementation de ce droit fondamental devient aujourd'hui indispensable.

DEUXIÈME PARTIE

Un projet qui pourrait supposer
une légalisation implicite de pratiques
euthanasiques et qui n'encourage pas
le droit fondamental à la liberté
religieuse

Intention louable : protéger la dignité de la personne en fin de vie sans dépénaliser l'euthanasie

    19.Le texte que nous considérons ici poursuit une fin certes positive : « La présente Loi a pour objet d'assurer la protection de la dignité des personnes en fin de vie » (art. 1), plus précisément, de celles qui se trouvent en phase
terminale ou d'agonie (art. 2).
    20. À cette fin, il se propose de « garantir le plein droit de la libre volonté » (art. 1) des personnes se trouvant dans cette situation, sans altérer pour autant « la classification pénale en vigueur de l'euthanasie ou du suicide assisté »
(Exposé des motifs).

Approche unilatérale : la supposée autonomie absolue du patient

   21. Pourtant, avec une conception de l'autonomie de la personne comme étant pratiquement absolue et avec le poids que l'on accorde à une telle autonomie dans le développement de la Loi, on finit par dénaturer l'intention déclarée et par outrepasser la limite proposée de ne pas admettre l'euthanasie.
    22. En effet, « l'affirmation claire et la préservation de l'autonomie et de la volonté des patients » (Exposé des motifs), à qui est octroyé le « droit à décider librement pour les interventions et les traitements à suivre » (art. 4), conduit à ce que leur soit concédée l'aptitude à refuser les interventions et les traitements proposés par les professionnels, même dans les cas où cette décision pourrait avoir pour effet d'écourter leur vie ou de la mettre en danger imminent » (art. 6.1).
    23. Cette perspective constituant l'épine dorsale  de  l'argumentation de  l'avant-projet, certaines distinctions et limitations, fondamentales pour assurer la protection effective de la dignité de la personne et son droit à la vie, sont inévitablement négligées. De plus, le concept même de dignité humaine se trouve également négativement affecté, puisque, implicitement, on semble soutenir qu'une vie humaine pourrait être dépourvue de toute dignité, du moment que la partie intéressée elle-même, voire éventuellement un tiers, en déciderait ainsi (7).

Définition réductrice du concept d'euthanasie


    24. Parmi les questions manquant de précision suffisante se trouve le concept même d'euthanasie ou suicide assisté, conçu comme « l'acte de causer ou contribuer activement, par des actions délibérées et directes, la mort d'autrui » (Exposé des motifs, selon le Code pénal), à la demande d'une personne atteinte d'une maladie mortelle ou de souffrances graves et permanentes. Avec cette définition réductrice centrée uniquement sur les actions directes, on laisse la porte ouverte aux omissions volontaires pouvant causer la mort ou cherchant directement son accélération. Cela est confirmé par d'autres dispositions précises, destinées à légaliser de telles omissions. 

Attitudes euthanasiques qui bénéficieraient d'une couverture légale


    25. Parmi les comportements euthanasiques qui seraient légalisés avec cette Loi, il y a, en premier lieu, la possible sédation inadaptée. L'avant-projet établit que les personnes en fin de vie ont le droit « de recevoir, lorsqu'elles en ont
besoin, une sédation palliative, même si cela conduit à écourter la vie » (art. 11.2c). Plus loin, dans l'art. 17.2, la sédation est soumise à des critères de proportionnalité. Cependant, le fait que l'administration de la sédation soit adaptée ou non
dépend du jugement médical et non de la volonté du patient, ce qui n'apparaît pas clairement dans ce texte qui présente le traitement spécifique de la sédation comme un « droit » de ce dernier. De plus, la manière selon laquelle la proportion doit être appliquée à la sédation, condition nécessaire pour qu'elle ne soit pas utilisée, de fait, comme un moyen de causer la mort, n'apparaît pas clairement.

    26. En deuxième lieu, si ce Projet devait se transformer en loi, l'abandon thérapeutique ou l'omission des soins nécessaires pourraient aussi bénéficier d'une couverture légale. L'obligation morale de ne pas interrompre les soins normaux dûs au malade n'est pas affirmée dans le texte. Celui-ci se contente d'établir les « actions sanitaires qui garantissent sa protection et son bien-être » (art. 17, 2), en tant que limite ambiguë du droit des patients à refuser les traitements et de l'obligation corrélative pour les professionnels de la santé de réduire l'effort thérapeutique. Parmi les aspects qui doivent être inclus dans les « soins nécessaires » figurent toujours l'alimentation et l'hydratation. Mais le texte n'envisage pas non plus ces soins nécessaires, laissant ainsi la porte ouverte à des comportements euthanasiques par omission des soins nécessaires. Lorsque l'avant-projet stipule qu'il est nécessaire d'éviter « l'adoption ou le maintien d'interventions et de mesures de soutien vital dépourvues d'utilité clinique » (art. 17.2), il se tient dans une ambiguïté aux graves conséquences morales et juridiques, en ne précisant pas ce en quoi consistent ces « mesures de soutien vital » qui peuvent être - ou ne pas être - adaptées.

Les professionnels de la santé réduits à n'être que des exécutants de la volonté des patients, et à qui n'est même pas reconnu le droit à l'objection de conscience

    27. Dans sa détermination excessive à encourager l'autonomie des patients, le Projet transforme les médecins et autres professionnels de la santé pratiquement en de simples exécutants des décisions des patients : « Les professionnels de la santé doivent respecter la volonté manifestée par le patient concernant les soins et le traitement d'assistance qu'il souhaite recevoir à la fin de sa vie, selon les termes établis dans cette loi » (art. 16. 1). Il semble que ces professionnels n'ont que des obligations et pas de droits, dont il n'est jamais question. Mais les professionnels de la santé ont aussi le droit à ce que leurs opinions et leurs actes soient respectés lorsque, en accord avec ce qu'est une bonne pratique médicale, ils cherchent le meilleur traitement pour le patient en vue de promouvoir sa santé et ses soins. Ils ont le droit à ce que ne leur soient pas imposés des critères ou des actions contraires à la finalité essentielle de l'acte médical, qui est la protection du malade. Un bon texte de loi en la matière se doit de concilier les droits des patients avec ceux des médecins. Chacun a sa part de responsabilité dans l'alliance thérapeutique qui doit être établie entre eux, si l'on veut obtenir une relation appropriée entre le malade et le médecin. Il ne peut être question que celui-ci soit exonéré de toute responsabilité morale et légale, comme cela semble être le cas (art. 15.3)
et que celui-là soit habilité à prendre pratiquement n'importe quelle décision. Il est très significatif, sur ce dernier point, que la première disposition additionnelle de ce Projet, en exigeant une nouvelle rédaction de l'article 11 de la loi de 2002 sur l'autonomie du patient, supprime le paragraphe établissant que « ne seront pas appliquées les instructions antérieures [concernant le patient] contraires à l'ordre juridique, à la lex artis, ni celles qui ne concordent pas avec celui-ci dans le cas où l'intéressé aurait prévu de les faire valoir à un moment donné ». Le critère de la lex artis - ou bonne pratique médicale - disparaît ainsi, en tant que limitation de l'autonomie absolue du patient en phase terminale.

    28. Le Projet ne fait allusion à aucun moment
au droit à l'objection de conscience, qui devrait être
reconnu et garanti pour le personnel sanitaire aussi
amplement que possible. Devrait aussi apparaître
le fait que l'idéal catholique d'un centre sanitaire
sera dûment respecté.

Le droit de l'homme à la liberté religieuse malmené


    29.  Lors de graves maladies et plus encore quand la mort approche, les personnes se trouvent en général particulièrement démunies et désireuses de recevoir une assistance religieuse. C'est un fait qui est en cohérence avec la nature religieuse de l'être humain, dont on trouve un reflet dans les constatations sociologiques correspondantes.

30.  Pourtant, le Projet actuel ne mentionne même pas le droit fondamental à la liberté religieuse, tel qu'il est reconnu par la Constitution dans l'article 16. 1. Cela attire l'attention car la nature même des situations qu'il régule est chargée - comme nous venons de le souligner - de profondes significations religieuses qui exigeraient d'être traitées dans un cadre légal explicitant et encourageant positivement ce droit fondamental. Mais, de plus, l'absence mentionnée est encore moins explicable si l'on se rappelle que la perspective adoptée par le texte est celle du développement maximum des droits fondamentaux de la personne se trouvant dans les circonstances citées (8).

    31. Par contre, le texte de loi en projet formule un nouveau droit qu'il nomme « droit à l'accompagnement » (art. 12), qui inclut une « assistance spirituelle ou religieuse », dont il est dit que les patients « auront le droit de la recevoir », s'ils « se la procurent », en accord avec leurs convictions et leurs croyances, et « pour autant que cela soit compatible avec l'ensemble des soins nécessaires pour qu'ils soient de qualité ».
    32.  Le droit à la liberté religieuse, en tant que droit humain fondamental et primordial, ne peut être tronqué par une Loi qui ne fait que tolérer la pratique religieuse, comme c'est le cas ici, qui la soumet en plus de manière absolue à des conditionnements juridiques indéterminés et la place dans les mains de tiers (la compatibilité avec « l'ensemble des mesures sanitaires »). Une Loi juste et en accord avec la Constitution sur ce point doit prévoir la reconnaissance du droit à la liberté religieuse de manière explicite et positive. Que les patients aient le droit à l'exercice de leurs convictions religieuses suppose que l'État, de son côté, garantisse et favorise l'exercice de ce droit fondamental, sans préjudice de sa juste laïcité.
   33. À ce propos, on doit faire mention des accords internationaux ou des conventions de coopération avec les différentes confessions religieuses, dans le droit transitoire, spécifiant que l'assistance religieuse sera effective dans le cadre de ces instruments juridiques. Dans le cas particulier de l'Église catholique, c'est l'article 4 de lAccord sur les questions juridiques qui est ici pertinent.
Autres carences du projet

    34. D'autres questions qui ne sont pas sans importance manquent de clarté dans ce texte. Nous nous contentons de les énumérer. La signification de « dégradation extrême » (Exposé des motifs) ne semble pas adaptée pour qualifier toutes les phases terminales. L'information à laquelle on a droit doit être « claire et compréhensible », dit l'article 5.1, mais on devrait ajouter qu'elle doit être continuellement actualisée et vérifiée, pour que sa compréhension soit effective. On accorde aux mineurs émancipés ou âgés de moins de 16 ans la même habilitation qu'aux adultes à décider quant à
leurs traitements, au détriment de la responsabilité des parents (cf. art. 7). Larticle 16 protège peu le malade contre les possibles intérêts injustes que pourraient avoir des membres de sa famille ou des professionnels, à l'heure où doit être établie son incapacité de fait. Dans l'article 20, il est dit que les comités d'éthique pour l'assistance « pourront accorder des protocoles d'action afin de garantir l'application effective de ce qui est prévu dans cette Loi », étant entendu que, statutairement, lesdits comités ont seulement un caractère consultatif.

CONCLUSIONS

    35. Nous synthétisons comme suit notre point de vue du Projet de loi qui fait l'objet de cette Déclaration :
  • Le Projet prétend proposer une nouvelle approche légale qui dépasserait celle de l'assistanat et ouvrirait la voie à une autre approche, basée sur la reconnaissance des droits de l'individu dans le contexte des situations créées par les avancées de la médecine. Mais il n'y parvient pas.
  • Il ne parvient pas à garantir, comme il le souhaite, la dignité et les droits des personnes dans le processus de leur fin de vie temporelle, mais laisse la porte ouverte à la légalisation de comportements euthanasiques, qui porteraient gravement atteinte aux droits de la personne de voir sa dignité et sa vie respectées.
  • Le traitement impropre du droit fondamental à la liberté religieuse constitue un recul par rapport à la législation en vigueur.
  • Il n'est même pas fait allusion au droit à l'objection de conscience, qui doit être reconnu et garanti aux personnels de la santé.
  • L' imprécision et l'ambiguïté des propositions grèvent le projet dans son ensemble, de sorte que, s'il était approuvé, il conduirait à une situation où les droits de la personne dans le domaine en question seraient moins préservés qu'avec la législation actuelle. Par cette déclaration, nous souhaitons contribuer à une coexistence plus humaine dans notre société, qui ne peut être effective que si les lois reconnaissent les droits fondamentaux et inaliénables de la personne humaine, et qu'elles encouragent la mise en pratique effective de ces droits.


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(1)        Commission épiscopale pour la Doctrine de la Foi,
Sur
l'euthanasie (15 avril 1986); Comité épiscopal pour la défense de
la vie, L'euthanasie. Cent questions et réponses (14 février 1993);
Commission permanente, Déclaration:
L'euthanasie est immorale
et antisociale (18 février 1998). Dans: L. M. Vives Soto (Éd.),  
La vie
humaine, don précieux de Dieu. Documents de la Conférence épisco­
pale espagnole sur la vie, 1974-2006, Edice, Madrid 2006,235-340;
aussi sur www.conferenciaepiscopal.es/(section Documentas).

(2)        LXXVP Assemblée plénière de la Conférence épiscopale
espagnole, Instr. Past.
La famille, sanctuaire de la vie et espoir
de la société (27 avril 2001), spéc. chapitre 3, « L'Évangile de la
vie humaine». In
Bulletin officiel de la Conférence épiscopale
espagnole 16 (2001) 12-60; aussi dans: L. M. Vives Soto (Ed.),
idem, p. 45-63; aussi sur www.conferenciaepiscopal.es/ (section
Documentas).

(3) II existe déjà des normes émanant de corps législatifs autono­
mes sur lesquelles, en leur temps, les évêques concernés se sont
prononcés. Ainsi, les évêques d'Andalousie ont publié une Notice,
le 22 février 2010, sur le « Projet de Loi sur les droits et garanties
pour la dignité de la personne dans le processus de la mort »,
de l'Assemblée d'Andalousie. Les évêques d'Aragon ont publié
une Charte pastorale le 24 avril 2011 sur la « Loi sur les droits
et garanties pour la dignité de la personne en processus de fin de
vie », du Parlement d'Aragon.

(4) Tout au long de cette première partie, nous suivons pres­que toujours littéralement le troisième chapitre de l'Instruction pastorale de la LXXVP Assemblée plénière de la Conférence épiscopale espagnole, La famille, sanctuaire de la vie et espoir de la société (27 avril 2001), numéros 101 à 128.

(5)Jean-Paul II, Evangelium vitae, 65 

(6)   Commission permanente de la Conférence épiscopale espa­
gnole, Déclaration « L'euthanasie est immorale et antisociale », 6.

(7) Dans l'Exposé des motifs, il est dit de manière explicite que « le processus de la fin de vie, conçu en tant que fin proche et irré­versible, éventuellement douloureux » serait aussi « préjudiciable à la dignité de celui qui le subit », une affirmation qui se révèle non seulement anthropologiquement inacceptable, mais aussi probablement contraire à la Constitution.

(8) L'Exposé des motifs du Projet se réfère à la Constitution espagnole, là où elle reconnaît plusieurs droits fondamentaux comme la dignité (art. 10), la vie et l'intégrité physique (art. 15) ou l'intimité (art. 18.1) et aussi la santé (art. 43), qui, selon le principe constitutionnel, ne constitue pas un droit fondamental, mais un principe directeur de la politique sociale et économique



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