vendredi 30 décembre 2011

" La laïcité à la française " une analyse de Mgr Jean-Louis Bruguès

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Analyses et interrogations sur un élément central dans la vie du pays



Jean-Louis Bruguès (*)
Osservatore Romano, 26/12/2012
(source: observatore romano)


         Les Français aiment à croire que le monde entier a les yeux fixés sur eux. Leur histoire, leur caractère, leur culture ont leurs racines dans la conviction d'avoir reçu une sorte de mission de lumière auprès de l'humanité, évoquant pêle-mêle l'élégance de leur style, la magnificence de leurs monuments, les prodiges de leur technique et la mise à jour d'une théorie des droits humains perçue comme universelle.


           Ils sont convaincus qu'ils ont développé, souvent au prix de larmes et de sang, mais aussi avec des initiatives d'une générosité incontestable, un art de vivre ensemble, une philosophie sociale que les autres nations devraient admirer, pour ne pas dire copier. La laïcité ferait partie de cette richesse que les Français voudraient partager avec le plus grand nombre possible. 

Ayant dû participer à des rencontres européennes et internationales sur le thème de l'éducation, j'ai pu constater que les délégations françaises promeuvent à chaque occasion la nécessité de faire de la laïcité, comme nous l'entendons ici, un principe constitutif de la mission éducative universelle. 


         Seront-elles finalement entendues?
Est-il vrai que la conception française de la laïcité est enviée par d'autres pays et qu'elle finira par s'imposer demain?


         La laïcité occupe une place centrale dans l'équilibre des institutions et, par conséquent, dans la vie politique du pays. 

Lors des célébrations pour le centenaire de la loi de 1905, le Premier ministre d'alors a écrit quelque chose que je crois très juste: «La laïcité est un élément structurel de la société française. Cela ne signifie pas, bien sûr, que la religion doive être exclue. La laïcité est la grammaire avec laquelle les religions doivent conjuguer les valeurs républicaines. Elle nous appelle tous à faire nôtres, clairement, le rôle et les valeurs de l'identité républicaine de la France »(Jean-Pierre Raffarin).
Et il ajoutait un peu plus loin que la loi du 9 Décembre 1905 représentait un fondement du pacte social.


         La philosophie générale du texte est condensée dans ses deux premiers articles, mais il est bon de rappeler 'en passant' (en français dans le texte) que c'est l'article 4, face à la décision sur l'attribution des biens de l'Eglise, qui suscita la controverse la plus animée.
Relisons ces articles. 


Article 1: «La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-dessous dans l'intérêt de l'ordre public ».
Article 2: «La République ne reconnaît, ne rétribue ni ne subventionne aucun culte». 

           Ainsi, la philosophie de la loi fait référence à trois mots clés: liberté de conscience, liberté du culte, séparation de l'Église et l'État.


           En ce qui concerne la liberté de conscience, le chrétien est en quelque sorte chez lui. En effet, la liberté de conscience est née avec la Bible. Ses fondements théologiques ont été exprimés, pour la première fois dans l'histoire, par Saint-Paul. On a souvent écrit qu'après saint Paul, la doctrine de la conscience n'a pas accompli de progrès significatifs.
Heureusement, cette liberté n'est pas une île. Au cours du siècle passé, et encore de nos jours, elle a fini par s'imposer, au moins intellectuellement, sinon dans la pratique, dans les cultures qui ont germé sur la mémoire chrétienne. En revanche, les autres religions sont moins sensibles à cette question, quand elles ne l'ignorent pas: pensons en général à ce qui se passe en Asie.


           Quant à la liberté de culte, ce concept est en bon accord avec la tradition libérale qui a été développée patiemment tout au long du XIXe siècle et qui caractérise l'évolution de la mentalité occidentale.
La France a tenu un rôle majeur dans ce processus. Les rédacteurs de la loi expliquent bien que l'Eglise catholique - parce qu'à l'époque, cette question ne concerne que cette dernière - jouit de la pleine liberté de s'organiser, de vivre, de se développer selon ses propres règles et ses propres moyens, sans autre restriction que le respect des lois et de l'ordre public. De fait, au moment des célébrations du centenaire, les catholiques ont en très grande majorité reconnu que cette loi avait finalement concédé à leur Eglise une liberté qu'elle n'avait pas connu ni sous le régime précédent du Concordat, ni avant lui. Le philosophe Alain ne renonça pas à le regretter: «L'État, en cessant de payer le prêtre, a perdu le droit de lui imposer un uniforme».


          Aujourd'hui, de nombreux nuages s'accumulent sur la liberté de culte dans les sociétés dites postchrétienne. 
En effet, à partir du moment où le «politiquement correct» fait de la philosophie des droits de l'homme une sorte de substitut à la religion, devant éliminer toutes les formes de distinction entre les personnes, dénoncées comme des discriminations, l'opposition avec le catholicisme devient inévitable. La France, cependant, adopte des positions plus modérées que celles des pays anglo-saxons, bien que, 
pour des raisons inexpliquées, le ministère de l'Éducation vient de rendre pratiquement obligatoire l'enseignement de la «théorie du genre». 
           Sous la pression de groupes de plus en plus influents, l'Eglise australienne pourrait encourir des sanctions légales pour refuser d'enregistrer les mariages entre personnes du même sexe, tandis que l'application que la loi anglaise sur la discrimination pourrait conduire purement et simplement à rendre la Bible illégale. Quant à la BBC, toujours par souci d'égalité sociale entre les religions, elle a tout simplement décidé de ne plus faire référence à Jésus-Christ dans le calcul des millénaires: l'expression «après le Christ» est remplacée par «nouvelle ère».

           Enfin, la séparation de l'Église et l'État. Le mot «séparation» en lui-même n'apparaît pas dans le texte de la loi, mais il en résume bien la philosophie.


           Comme l'a expliqué l'ancien président du conseil, Henri Brisson (1835-1912) , «La séparation n'est plus une théorie, c'est un fait; elle vit, elle avance, on la voit. Et le monde regarde attentivement la France, qui accomplit ce grand acte. Heureux les jeunes! Ils verront le développement de la lutte que nous menons; car elle n'est pas un commencement, mais une fin».
Cette citation mérite notre attention. Elle confirme la conviction mentionnée plus haut, qui voudrait que le monde ait les yeux fixés sur les français, prêt à les imiter. Elle insiste sur le fait que la question de la séparation va devenir une priorité dans les sociétés modernes. En ce sens, en effet, la France a joué un rôle d'avant garde. Nous avons affaire ici à une sorte de loi sociologique: une société qui se sécularise est toujours une société qui commence par demander la séparation des autorités. En fait, tous les États modernes d'Europe et d'Amérique - mais peut-être n'en sera-t-il pas ainsi dans les pays où l'islam est la religion dominante - ont fini par reconnaître la nécessité d'une telle séparation par rapport aux Églises, même si elle n'est pas vécue de la même manière dans chacun d'eux. 

           Alors que les dirigeants américains continuent de prêter serment sur la Bible et d'échanger des billets de banque portant l'inscription «In God We Trust», alors que la télévision italienne insère quelque nouvelle sur l'Eglise catholique dans chacun de ses journaux quotidiens, que le chef de l'État britannique est toujours le chef de l'Église nationale et qu'une bonne vingtaine d'évêques sont toujours membres de la Chambre des Lords, qu'un concordat régit les relations entre l'Église catholique et les Lands allemands, que les nouvelles démocraties d'Europe de l'Est restituent à l'Eglise une partie des biens confisqués par les régimes communistes et leur demandent de remplir ce que nous devrions appeler un service public dans les écoles et les hôpitaux, les Français sont en train de développer, ces derniers temps, une logique de privatisation des croyances religieuses qui, en tant que telle, a peu à voir avec la laïcité prévue par la loi.


           L'Eglise n'a aucune difficulté à accepter cette séparation. 
L'encyclique Deus caritas est , publiée en Décembre 2005, rappelle:

« La distinction entre ce qui est à César et ce qui est à Dieu (cf. Mt 22, 21), à savoir la distinction entre État et Église ou, comme le dit le Concile Vatican II, l’autonomie des réalités terrestres, appartient à la structure fondamentale du christianisme. L’État ne peut imposer la religion, mais il doit en garantir la liberté, ainsi que la paix entre les fidèles des différentes religions. De son côté, l’Église comme expression sociale de la foi chrétienne a son indépendance et, en se fondant sur sa foi, elle vit sa forme communautaire, que l’État doit respecter. Les deux sphères sont distinctes, mais toujours en relation de réciprocité » (n ° 28).


          La citation d'Henri Brisson révèle, cependant, que cette même séparation peut être ressentie de différentes manières, et même agressive. C'était la conviction de base de la plupart des rédacteurs de la loi de 1905: la séparation inaugurait, à leurs yeux, une ère nouvelle dans laquelle les religions finiraient par s'épuiser jusqu'à former des restes sociaux de peu d'importance. Cette croyance remontait, en fait, au siècle des Lumières, pour lequel l'avènement de la modernité entraînerait nécessairement un déclin des religions, une «sortie de scène des religions», comme l'aurait dit Marcel Gauchet (1946-), les confinant dans l'espace de la vie privée et de la conscience individuelle. 

Après avoir prétendu contrôler les habitudes et les esprits pendant un millénaire et demi, le christianisme serait devenu une simple question de vie personnelle. 
Mais la réalité nous dit tout autre chose.


(*)  Jean-Louis Bruguès, né le 22 novembre 1943 à Bagnères de Bigorre, est un religieux dominicain français, évêque émérite d'Angers et actuel secrétaire de la congrégation pour l'éducation catholique depuis 2008.


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Original en italien ci dessous - page 6




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jeudi 29 décembre 2011

"Des « poissons roses »... en eaux troubles" par Philippe Oswald

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Bien sympathiques et d’une édifiante générosité, ces fondateurs des « poissons roses »


                      Entendus sur Radio Notre-Dame (émission Le Grand Témoin du 13/12/11 à écouter ci dessous ). Philippe de Roux, ex-UMP, « poisson pilote »,  et Nestor Dosso, conseiller municipal PS, « poisson copilote », veulent agir chrétiennement en politique : « Nous sommes des chrétiens, impatients de libérer notre parole et d’être des artisans de justice et de paix. Nous voulons rassembler toutes les personnes de bonne volonté, croyantes ou non, car le message de l’Evangile est universel», déclarent-ils sur leur site. Engagés tous deux dans l’action sociale et humanitaire, ils veulent légitimement aller plus loin : « Nous souhaitons que ce désir de changement ne se limite pas au champ de l’initiative associative mais qu’il soit à la source des décisions politiques de notre pays. » Leur ennemi, c’est « l’idéologie libérale » définie comme « un système instaurant la prédominance des intérêts économiques sur les intérêts humains et la réduction de la valeur des êtres et des choses à une valeur marchande. Les conséquences de cette pensée dominante touchent à la fois le fonctionnement de l’économie, l’équilibre de notre planète et les rapports les plus intimes entre les personnes. »
         Bien vu. Le libéralisme érige en effet la liberté en principe premier et absolu devant lequel tout le reste doit plier, au point, expliquait Jean-Paul II dans l’encyclique Evangelium vitae, que « la vie en société en est profondément altérée ». En effet, expliquait le pape, une telle liberté « ne reconnaît plus et ne respecte plus son lien constitutif avec la vérité… Ainsi disparaît toute référence à des valeurs communes et à une vérité absolue pour tous: la vie sociale s’aventure dans les sables mouvants d’un relativisme absolu. Alors, tout est matière à convention, tout est négociablemême le premier des droits fondamentaux, le droit à la vie.» [E.V.n°19 et 20.]
        C’est sur la base d’une semblable constatation que nos « poissons roses » ont décidé de faire un acte de « naïveté lucide », comme a dit l’un d’eux sur Radio Notre-Dame. Ils sont « sortis du bocal » des initiatives privées et nous invitent à les imiter pour plonger avec eux… dans le bocal du PS ! « Le Parti Socialiste, nourri par ses divers courants, qui met au centre de son programme la nécessité de la lutte contre les inégalités, nous semble davantage capable de faire évoluer le modèle dominant et de relever les défis du 21ème siècle » lit-on encore sur leur site. Voilà qui est surprenant. L’image du PS n’est pas précisément celle d’un parti en état de relever quelque défi que ce soit, à commencer par celui de ses propres divisions… Mais passons, puisque Philippe et Nestor concèdent que « le PS a besoin de renouveler son programme et son langage, parfois prisonnier d’une vision obsolète ». 
       
         La lucidité de nos deux poissons semble plus gravement en cause lorsqu’ils présentent le PS comme « l’un des partis modérés » dans lequel un chrétien pourrait s’engager en toute bonne conscience. Modéré, un parti dont le programme, faute de réussir à se démarquer réellement  de son frère ennemi libéral sur le plan économique, se présente en fer de lance du libéralisme moral le plus débridé au point de condamner l’UMP à un pitoyable suivisme ? Du « droit » à l’avortement à celui de l’euthanasie en passant par le « mariage » homosexuel et par l’expérimentation sur l’embryon, le PS n’épargne aucun des principes définis comme « non négociables » par le magistère de l’Eglise (cf la Note doctrinale de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi à propos de questions sur l’engagement et le comportement des catholiques dans la vie politique, 24 novembre 2002). Ce qui est en cause, expliquait le cardinal Ratzinger dans cette note devenue célèbre, c’est « une juste conception de la personne », principe sur lequel « l’engagement des catholiques ne peut céder à aucun compromis. Sinon c’est le témoignage de la foi chrétienne dans le monde qui serait atteint, ainsi que l’unité et la cohérence intérieure des fidèles eux-mêmes.»
     
        C’est en effet sur la cohérence de leur démarche que devraient s’interroger nos « poissons roses ». Les discussions qu’ils affirment vouloir instaurer au sein du PS sur les questions éthiques en invitant les catholiques et tous les hommes de bonne volonté à les rejoindre, n’ont aucune chance d’aboutir sauf à remettre en cause le « bocal » lui-même. La vision de l’homme, de sa nature et de sa destinée, dont s’inspire le socialisme réputé « modéré » reste celle du matérialisme athée. Son inspiration antichrétienne est même plus radicale que jamais, puisqu’elle joint à l’utopie du paradis sur terre par l’organisation sociale étatique, l’utopie de l’individu roi, maître du bien et du mal, chargé de s’auto-créer en se livrant à toutes les « avancées » du libertarisme à la remorque de la techno-science .
          Suggérons donc fraternellement aux « poissons roses » de ne pas réitérer avec ce socialisme libertaire la calamiteuse expérience de ces chrétiens des années soixante qu’une générosité mal inspirée poussa à devenir les  « compagnons de route » du communisme triomphant. Libéral ou socialiste, le matérialisme consumériste du XXIe siècle n’est pas moins redoutable pour l’humanité que les totalitarismes ennemis du XXe.

           Chers « poissons roses » n’espérez pas nager à contre-courant en marinant dans ces eaux-là !


Voir l' article"La révolte des masses"- d' Ortega Y Gasset "





                                    







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mardi 27 décembre 2011

dimanche 25 décembre 2011

"Noël a un goût d'ébranlement" avec Mgr André XXIII sur Europe1

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Retrouvez aussi l' intervention de Mgr André XXIII dans l' émission "C à dire" sur France5


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Media:
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2012 - Avis de gros temps politique pour les religions (blog.lefigaro.fr)

Élections 2012 : un vote pour quelle société ? avec Mgr André XXIII

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Durant les prochains mois, notre attention sera largement sollicitée par la préparation des élections présidentielles et législatives.




Ces temps que nous traversons sont des temps de crise. Une crise globale touche tous les pays occidentaux depuis plusieurs dizaines d'années. Ce n'est pas une particularité française. Les effets de la crise financière mondiale qui s'est accélérée en septembre 2008 sont loin d'être épuisés. Ce déséquilibre s'est ajouté aux difficultés sociales et politiques qui sont les conséquences de la transformation profonde et rapide de nos sociétés et de toutes les structures qui organisent notre vie sociale. 


De nombreux facteurs de transformation se conjuguent. 
Trois d'entre eux méritent, selon nous, de retenir l'attention de tous : 

- Tout d'abord, nous pensons au formidable développement des techniques scientifiques. Celui-ci ne cesse de se poursuivre. Il incite à projeter ou même à mettre à exécution des idées qui étaient restées jusque-là au stade des rêves ou des cauchemars. Ainsi le perfectionnement de la connaissance et de la compréhension du vivant suscitent des désirs que rien ne paraît pouvoir limiter. Il est donc urgent et indispensable que l'homme puisse mieux définir qui il est, et déterminer les conditions de son propre respect. Faute d'une appréhension précise de sa dignité, il se laisse inexorablement fasciner par son pouvoir scientifique, dont il est tenté d'attendre la solution à tous ses problèmes, en oubliant de voir ce qui risque de se retourner contre lui. 

- Un deuxième facteur de transformation est la fin d'une certaine homogénéité culturelle de nos sociétés. Bien avant que la réalité de la mondialisation soit appréhendée et commentée, nos pays d'Europe occidentale ont connu - et connaissent encore - des vagues d'immigration diverses. Ainsi coexistent aujourd'hui, à égalité de droits, des personnes ayant des origines ethniques et des références culturelles et religieuses les plus variées. Pour des citoyens de plus ou moins vieille souche, ceci peut engendrer un sentiment d'instabilité très délicat à vivre. Pour beaucoup de nouveaux arrivés, cela se traduit par le fait de se sentir mal accueillis et de ne pas pouvoir trouver une place dans une société qu'ils ne peuvent pourtant plus quitter. 

- Enfin, dans nos sociétés, chacun revendique toujours plus ses droits sans beaucoup s'inquiéter de ses devoirs. Dans ce domaine, nous assistons sans doute à un mouvement amorcé depuis longtemps. Les libertés individuelles ont contribué à augmenter le sens de la responsabilité personnelle. Mais l'individualisme finit par dissoudre la vie sociale, dès lors que chacun juge toute chose en fonction de son intérêt propre. Le bien commun de tous risque d'être confondu avec la somme des avantages particuliers. 

Ces transformations interrogent la conception que l'on se fait de l'homme, de sa dignité et de sa vocation. Les gouvernants et les législateurs sont confrontés à des questions nouvelles. L'éclatement des références éthiques fait reposer un poids moral toujours plus lourd sur la formulation des lois. Puisqu'elles jouent inévitablement un rôle de référence morale dont il convient de tenir compte, le législateur ne peut se contenter d'enregistrer 'évolution des mœurs.

Dans ce contexte, notre devoir d'évêques est de rappeler la haute importance que l'Église, depuis ses origines, reconnaît à la fonction politique. Dans une démocratie représentative, le vote est la manière par laquelle chacun peut participer à l'exercice du pouvoir. Il est donc essentiel d'y prendre part, de la manière la plus sérieuse possible. Un vote ne peut être simplement dicté par l'habitude, par l'appartenance à une classe sociale ou par la poursuite intérêts particuliers. Il doit prendre en compte les défis qui se présentent et viser ce qui pourra rendre notre pays plus agréable à vivre et plus humain pour tous. 

Comme chrétiens, nous devons être confiants : les crises qui traversent les sociétés humaines peuvent être des occasions de renouveau et des expériences qui réorientent l'avenir. Elles ne doivent pas nous empêcher de viser toujours et en toutes circonstances le respect de la dignité de toute personne humaine, l'attention particulière aux plus faibles, le développement des coopérations avec d'autres pays, et la recherche de la justice et de la paix pour tous les peuples. 

Cependant, nous ne pouvons pas attendre du pouvoir politique plus qu'il ne peut donner. Élire un président de la République et choisir des représentants ne suffira pas à relever les défis qui se présentent à nous aujourd'hui. Les déséquilibres actuels, avec leurs dimensions sociales, culturelles et économiques, nous font mesurer l'apport considérable de la production industrielle et de la société de consommation, mais aussi leurs limites et leurs fragilités. Le mode de vie qui est le nôtre depuis quelques décennies ne pourra pas être celui de tous les pays du monde, ni même se maintenir perpétuellement tel quel chez nous. 

Depuis longtemps, avec d'autres, les papes et les évêques appellent chacun à reconsidérer sa manière de vivre, à privilégier l'être plus que l'avoir, à chercher et promouvoir un « développement intégral » pour tous. Sous des termes variés, c'est la même invitation pressante à un changement de mode de vie. Chrétiens, à bien des égards, nous sommes mieux équipés que beaucoup d'autres pour choisir ce changement plutôt que de le subir seulement. 

À cette lettre, nous joignons un document qui détaille quelques points qui nous semblent importants à prendre en compte en vue de ces élections. À chaque citoyen, à chacun de vous donc, il revient d'examiner comment les programmes et les projets des partis et des candidats traitent ces différents points, et de déterminer si ces approches sont cohérentes ou non avec la société dans laquelle nous voulons vivre. À chacun de vous il reviendra aussi de hiérarchiser ces différents points en vue du vote. D'autres, bien sûr, peuvent y être ajoutés. 

Dans un temps d'hypermédiatisation, il convient d'être prudent devant la surenchère des informations qui seront diffusées, de ne pas se laisser entraîner par des calomnies ou des médisances, de rechercher avec précaution, autant que chacun en est capable, ce qui est vrai et ce qui est juste. 

En vous adressant ce message en amont de l'ouverture de la campagne électorale, nous croyons répondre à l'attente de beaucoup. Prions pour que le désir du bien de tous domine dans nos choix et dans ceux de nos concitoyens. 




Paris, le 3 octobre 2011 
Le Conseil permanent de la Conférence des évêques de France : 




Cardinal ANDRÉ VINGT-TROIS, 

archevêque de Paris 
président de la Conférence des évêques de France 


Mgr HIPPOLYTE SIMON, 

archevêque de Clermont 
vice-président de la Conférence des évêques de France 


Mgr LAURENT ULRICH, 

archevêque de Lille 
vice-président de la Conférence des évêques de France 


Mgr JACQUES BLAQUART, 
évêque d'Orléans 


Mgr JEAN-CLAUDE BOULANGER, 
évêque de Bayeux et Lisieux 


Mgr JEAN-PIERRE GRALLET, 
archevêque de Strasbourg 


Mgr HUBERT HERBRETEAU, 
évêque d'Agen 


Mgr JEAN-PAUL JAEGER, 
évêque d'Arras 


Mgr JEAN-PAUL JAMES, 
évêque de Nantes 





source: "Conférence des évêques de france"







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