mercredi 9 juillet 2014

"Tatouage,Tattoos, piercing : pourquoi ?" (Patrice de Plunkett)




Antoine Griezmann football tatouage

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Attesté partout dans les anciennes sociétés claniques, par exemple en Polynésie [1], le tatouage correspondait à des traditions : il symbolisait des rôles sociaux, des mérites personnels, des armes, des sacrifices humains, des animaux divinisés. Il était opéré par des prêtres, au cours de cérémonies. Imité en Occident par des matelots puis des truands aux XIXe-XXe siècles, le tatouage eut aussi ses codes visuels de « milieu ».

Mais rien de tout cela dans le tatouage en France aujourd'hui. Son iconographie en 2009 se limite au morbide de bazar (esthétique vidéo-gothique), au zéro-sens (papillons, petites étoiles) ou à l'érotomanie. Le comble : les tatouages« tribaux », proposés par les catalogues à des petits-bourgeois français n'appartenant à aucune tribu.

En l'absence de tradition, et vu la laideur du tatouage sur une femme, comment expliquer sa multiplication ? « Le tatouage chez la femme au XXIe siècle symbolise la liberté d'expression », dit un journal québécois [2] ; autant dire qu'il ne symbolise rien, une liberté n'étant pas un contenu. En fait, la ménagère imite les sempiternels people, tatouées mais surtout Américaines (on ne dit plus tatouage mais tattoo).« Manière de s'affirmer », disent les sites commerciaux. L'un d'eux [3] ajoute : « Aujourd'hui tout le monde se fait tatouer, c'est un signe de distinction. »

Se « distinguer » en ressemblant à « tout le monde », c'est-à-dire aux modèles obligatoires ? C'est un réflexe paradoxal. Mais c'est la clé de fonctionnement de la société de consommation.

Piercing « industriel »

Encore plus significatif : le piercing. Le terme anglais est body piercing, « perçage du corps ». Première observation : comme dans le cas du tatouage, le piercing en Occident aujourd'hui n'a pas le sens qu'il avait dans les sociétés anciennes : le labret qui remontait au néolithique, les perforations du nez chez les pharaons, les oreilles percées des esclaves dans la Bible (Exode 21,5), les langues perforées des Mayas et des Aztèques, le bijou dans le nez des castes supérieures indiennes, etc. Voire l'anneau dans l'oreille des matelots de la marine en bois, ou de certains artisans d'autrefois... Rien à voir avec ce qui se passe maintenant en Occident : apparu en 1975 aux USA dans la « culture gay » version sadomasochiste, expliquent les sociologues, le piercing est aujourd'hui répandu partout.

Que veut le percé ? « Se distinguer », affirme la pub. Mais on peut lui faire la même objection qu'au tatouage : on ne se distingue pas en imitant.

Quant aux sociologues, ils pensent que le piercing pourrait être devenu chez les adolescents un « rite de passage à l'âge adulte » : il faudrait donc considérer comme « adulte » (inséré dans la société) ce que véhicule le piercing.

Alors, que véhicule-t-il ?

Un certain type de piercing se compose de deux perçages à l'oreille reliés par une tige de 30 millimètres. Dans le vocabulaire consacré, ce piercing est appelé « l'industriel ». D'ailleurs le matériau de tout piercing évoque l'industrie : acier inoxydable, titane, niobium, teflon, bioplast, plexiglas, acrylique.

Incorporer des matériaux industriels à l'épiderme, c'est forcer son propre corps à « ressembler » à un artefact. Pourquoi ?-

L'homme trahit sa propre cause

Dans son livre L'obsolescence de l'homme [4], Günther Anders, qui fut l'époux de Hannah Arendt, affirme que l'homme moderne fait un complexe d'infériorité devant la perfection des objets techniques. Il a « honte […] de devoir sa propre existence au hasard, à ce processus aveugle, non calculé et ancestral, de la procréation et de la naissance, plutôt qu'à la maîtrise. Ce déshonneur tiendrait déjà au fait qu'il s'agit d'une naissance et non d'une production planifiée et rationnelle... »,d'où aujourd'hui les fantasmes de l'utérus machinique, des humains génétiquement modifiés, et la pratique « bien réelle et déjà programmée du tri des embryons », explique Paul Ariès [5]: « Ce que l'homme moderne considère comme un déshonneur, ce n'est plus d'être "chosifié", mais de ne pas l'être.... L'homme moderne non seulement accepte sa propre réification (métro-boulot-MacDo-dodo), mais finit par passer dans le camp des instruments, bref, par trahir sa cause : il accepte la supériorité de la technoscience et des objets, il accepte d'être mis au pas... L'homme va déserter son camp en adoptant le point de vue et les critères des objets... Cette honte prométhéenne serait donc ce qui pousse tant d'humains à pratiquer des sports extrêmes, ou à se livrer à des conditions extrêmes de survie, ou à pratiquer des jeux dangereux, ou encore à ces nouvelles formes d'alcoolisation des jeunes qui seraient autant de formes d'ordalie. »

Voilà comment nous en sommes au fantasme des cyborgs, de l'homme pharmaceutique, et du corps mis en scène comme un artefact : piercings et tattoos qu'il ne faut pas dramatiser pour eux-mêmes, mais qui sont le signe de quelque chose de grave.Il s'agit de « donner au corps la beauté des choses fabriquées ». Il ne s'agit plus d'esthétiser la vie humaine,comme dans les sociétés primitives, mais de la déshumaniserpar complexe d'infériorité devant la Machine. C'est le stade léthal de la société technoïde. Pour changer de société, il faut une révolution. Toute autre voie serait une esquive.

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[1] « Tatouer » vient du polynésien tatau : «faire des marques ». (« Prêtre tatoueur » : tahu'a tatau).

[2] La journaliste québécoise ajoute : « La femme tatouée n'a plus de visage ni de classe sociale. Elle est libre et affranchie. D'ailleurs il n'est pas rare de voir des femmes récemment divorcées se présenter à sa boutique et réclamer leur petit côté «wild». Elles perçoivent le tatouage comme une transition, un passage à une autre étape de leur vie. « ll ne faut jamais sous-estimer l'effet thérapeutique de la coquetterie», commente Jean Gauthier, représentant du service à la clientèle du salon Excentrik à Montréal. Il note que les dessins sont rarement engagés, variant entre la fleur et le papillon.»

[3] Dans un magazine féminin.

[4] L'obsolescence de l'homme : sur l'âme à l'époque de la deuxième révolution industrielle, éd. Encyclopédie des nuisances – Ivrea, 2002.

[5]Les cahiers de l'IEESD,numéro 3, juillet 2009. Plus radicale est la critique (la vraie) de la société capitaliste, plus elle recoupe l'anthropologie catholique (la vraie). [ Ajout 2013 – Ces dernières lignes, écrites en 2009, sont d'autant plus objectives qu'Ariès se pose en véhément bouffeur de cathos ! ].





Autre: "Tatouages, théorie du genre et images du Christ" (Famille Chrétienne)









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- "Tatouage,Tattoos, piercing : pourquoi ?" (Patrice de Plunkett)
"1984" de George Orwell  avec  Raphaël Enthoven dans"Le Gai Savoir
-  Halte au narcissisme du corps   avec  Adèle van Reeth
- "La révolte des masses" - d' Ortega Y Gasset
Les nouvelles technologies vont-elles réinventer l' homme ?

voir aussi:


Chiara Petrillo: "OUI à la VIE"

L' état doit il avoir une éthique ? La loi est elle pédagogique et donc
                    oriente elle vers le bien ?
Démocratie "entre" Loi civil et loi morale 
                    Extrait de l' Evangile de la Vie (Evangelium vitae)
- Loi naturelle et loi civile: 1-"un mariage de raison"
La voix éloquente et claire de la Conscience
- Chronique libre: "De l'ordre moral à l'ordre infernal"


- "Laïcité de l'Etat, laïcité de la société ?" - Conférence du Cardinal Ricard  
- Conscience morale: "Les chrétiens au risque de l'abstention ? "  

- Cardinal André XXIII - Extrait " Vision actuelle sur la Laïcité (KTO) "

( Quelle société voulons nous ? (Cardinal André XXIII ) - Partie I)
( Quelle société voulons nous ? (Cardinal André XXIII ) - Partie II)
( Quelle société voulons nous ? (Cardinal André XXIII ) - Partie III)
( Quelle société voulons nous ? (Cardinal André XXIII ) - Partie IV)

mardi 8 juillet 2014

«Pourquoi il nous faut dire non à la marchandisation des gestations» (Sylviane Agacinski, philosophe) par Jean-Yves Nau



Bonjour

« Refusons le commerce des ventres ». C’est le titre de la tribune que publieLe Monde (daté 29-30 juin). Tribune forte: elle vient rappeler quelques vérités éthiques qui ont tendance à se perdre dans les sables du relativisme contemporain. Tribune opportune au lendemain de la condamnation, par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) de la position solennellement affirmée par la Cour de cassation française.

Cheval de Troie

Cette tribune est signée de Sylviane Agacinski. Mme Agacinski est philosophe et par ailleurs épouse de Lionel Jospin. Elle fait partie de ceux qui, au sein du courant socialiste, s’opposent à la dépénalisation-légalisation de la pratique de la « grossesse pour/par autrui » (GPA). Un courant nettement moins présent, dans les médias généralistes, que la vague opposée.

Mme Agacinski ose écrire tout haut ce que certains hésitent encore à dire, même tout bas : que l’inscription à l’état civil français des enfants nés de mères porteuses à l’étranger était « un cheval de Troie actionné par les partisans de la gestation pour autrui ». Et que ces partisans se réjouissent aujourd’hui de la condamnation, par la Cour européenne des droits de l’homme, de la décision de la Cour de cassation française (voir ici et voir là). Rappelons que la Cour de cassation avait refusé de transcrire à l’état civil les enfants nés de mères porteuses à l’étranger (décisions du 6 avril 2011 et du 13 septembre 2013). Il s’agissait là d’une décision juridique d’une portée éthique essentielle. Une décision sur le point de ne plus compter.

Mmes Rossignol et Taubira

« La France va-t-elle céder sur un sujet aussi fondamental ? Elle n’est nullement obligée de le faire, puisque la Cour européenne des droits de l’homme n’a pas autorité sur le droit français – à la différence de la Cour de justice des communautés européennes » rappelle Mme Agacinski. La secrétaire d’Etat à la famille, Laurence Rossignol, a promis de « tenir » sur le principe « fort » de non-commercialisation du corps humain. Dans le même temps, la ministre de la justice, Christiane Taubira, s’est dite « attentive à la situation des enfants » nés de GPA sur un sol étranger.

« Si cela devait signifier que le gouvernement est prêt à légaliser – par une transcription à l’état civil – une filiation frauduleuse selon notre droit, sous prétexte qu’elle a été établie dans un pays étranger, ce serait une aberration, pour ne pas dire une hypocrisie, souligne Mme Agacinski. En effet, on donnerait d’avance raison à ceux qui contournent la législation en vigueur, puisque le droit devrait ensuite s’incliner devant le fait accompli ! Et l’on irait tout droit vers une légalisation de la pratique des mères porteuses en France. »

Les personnes et les choses

Il faut rappeler pourquoi la France a jusqu’ici interdit l’usage des femmes comme mères porteuses ? Parce que le droit français, comme celui d’autres pays, repose sur la distinction entre les personnes et les choses. Les choses peuvent s’échanger, elles peuvent être données ou vendues : ce n’est pas le cas des personnes. C’est pourquoi la Cour de cassation a toujours refusé l’usage de mères porteuses au nom du respect de la personne humaine et de son corps. Elle a de ce fait exclu la possibilité de faire du corps humain un objet d’échange. On ne peut donc pas légalement « louer le corps d’une femme » pour en faire un « instrument de production d’enfants ». Et l’enfant lui-même, en tant que personne dès sa naissance, ne peut être « ni donné ni vendu ». Serait-il cohérent, alors, de garantir le droit des personnes, sur le sol français, et par ailleurs d’inciter les couples ou les individus à aller exploiter la vie des Indiennes ou des Américaines ? C’est exactement ce que l’on ferait en décidant d’inscrire à l’état civil français les enfants nés de mères porteuses à l’étranger.

« Propagande éhontée »

Sur quoi repose la décision de la Cour européenne des droits de l’homme ? « Elle prétend s’appuyer sur le " droit à l’identité ", lui-même faisant partie du " droit à la vie privée ", et elle se prononce au nom de " l’intérêt supérieur de l’enfant ", estime Mme Agacinski. Tout cela n’a ni fondement clair ni cohérence. Car les enfants nés dans ces conditions ne sont aucunement privés d’identité : ils ont un état civil et des passeports délivrés par le pays où ils sont nés (et pourront acquérir plus tard la nationalité française). Ils sont héritiers des parents indiqués par cet état civil (et dont l’autorité parentale n’est contestée par personne). Ils peuvent donc mener une vie familiale normale, ce dont on doit évidemment se réjouir – sans être dupes de la propagande éhontée qui les présente comme des " fantômes de la République ". » (1)

« Lamentable »

Et pour finir : « Demandons-nous plutôt ce que vaudrait le droit, dans cette République et en Europe, s’il abdiquait devant les marchés du corps humain. Il est lamentable de voir la marchandisation mondiale des bébés et des femmes mise au compte des " droits de l’homme ". »

« Lamentable » ? 

Lamentable est le mot nécessaire. Il n’est pas suffisant. L’affaire est politique. Sur un tel sujet pourquoi la ministre de la Justice Christiane Taubira ne s’explique-t-elle pas ? Ira-t-elle jusqu’à déjuger la Cour de cassation ? Et que dira sur ce sujet le président de la République, lui que l’on dit personnellement opposé à la GPA ?

A demain

(1) Voir par exemple ici l’article de Charlotte Rotman (Libération)



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(Fil d'actualité de Jean-Yves Nau)

«Pourquoi il nous faut dire non à la marchandisation des gestations»
                                (Sylviane Agacinski, philosophe) par Jean-Yves Nau
Jean-Yves Nau:  "José Bové est un néo-chrétien : anti-PMA 
                               et contre toutes les manipulations de l’humain"
« PMA pour tous » : asepsie sexuelle et vice du raisonnement (Jean Yves Nau)


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«Pourquoi il nous faut dire non à la marchandisation des gestations»
                                (Sylviane Agacinski, philosophe) par Jean-Yves Nau
Filiation : vers des "PMA de convenance" ? (Aude Mirkovic)
"La Gestation pour autrui au regard du mariage entre personnes de même sexe "
                                   (ACADÉMIE NATIONALE DE MÉDECINE)
Mariagegay - SAISINE DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL
J’ai 15 ans, monsieur Hollande, et vous m’avez trahie !
L'homoparenté contre l'égalité
                      et environnementale ? CESE 
       ... rien ne bouge, pas une virgule." ! via Koztoujours
                      (LaManifPourTous)
                           mariage et l’adoption par les couples homosexuels
Contre le “mariage” gay : 3 étapes
Discours de Tugdual Derville à la défense le 23 Octobre
Adoption homo : qui a peur du débat ?



dimanche 6 juillet 2014

Veilleurs : «Le refus de la limite nous déshumanise»



Gaultier Bès a 25 ans. Normalien, il est professeur agrégé de Lettres modernes dans un lycée public de la banlieue lyonnaise. Il publie son premier livre, Nos Limites - Pour une écologie intégrale (Le Centurion, 3, 95 euros), cosigné par deux autres initiateurs des Veilleurs, Axel Rokvam et Marianne Durano.

Nos limites - pour une écologie intégrale
Votre livre est un peu le nouveau Traité de savoir vivre à l'usage des jeunes générations. Sauf que là où Raoul Vaneigem appelait à la veille de mai 1968 à «jouir sans entraves», vous appelez au lendemain de la Manif pour tous à «consentir à voir ses désirs circonscrits par la nature ou par la société». Donnez-vous raison à ceux qui qualifient les événements de mai 2013 de «mai 1968 à l'envers»? Est-ce contre cet héritage que vous prétendez lutter?

La comparaison est flatteuse. Il y avait tant de belles aspirations dans le vaste et complexe mouvement de 68. Tant de naïveté aussi! Ou de cynisme. Comment ne pas constater en effet que les rebelles d'hier sont devenus les roitelets d'aujourd'hui? Nous sommes passés de Dany le rouge à Dany vert-de-gris, du petit-bourgeois contestataire au notable médiatique, conformiste en diable, si peu dérangeant, «éco-tartuffe» favorable au travail du dimanche, à la procréation artificielle, au «capitalisme vert», au fédéralisme européen, bref apôtre du système libéral-libertaire fondé sur l'utopie du toujours plus. Quand Vaneigem invitait à «jouir sans entraves», il croyait mettre à bas le capitalisme. Il n'a fait que lui donner un champ d'expression illimité. Loin de renverser

"Les soixante-huitards resteront, malgré leurs beaux rêves d'autogestion et de mise en commun, comme des idiots utiles du marché-roi."

les puissances d'argent, Mai 68 a en effet renforcé leur assise. En dénonçant comme fasciste toute limitation du désir individuel, il leur a ouvert les portes de domaines jusqu'à présent préservés du mercantilisme - à commencer par l'amour et la procréation. Nous en donnons des exemples éloquents dans le livre. Parce qu'ils ont contribué plus que quiconque à débrider l'économie, à la désencastrer de toute norme morale - ou plus simplement de ce qu'Orwell appelait la «décence ordinaire» -, les soixante-huitards resteront, malgré leurs beaux rêves d'autogestion et de mise en commun, comme des idiots utiles du marché-roi.

C'est pourquoi je récuse cette expression de «mai 1968 à l'envers». Je lui préfèrerais celle de «mai 68 abouti» (ou intégral!), au sens où nous voulons réussir là où les soixante-huitards ont échoué: inventer un mode de vie alternatif, durable et universalisable. Il s'agit de combattre non seulement les effets, mais aussi et d'abord les causes de ce refus des limites qui, loin de nous émanciper, nous précarise et nous déshumanise: marketing agressif, déracinement identitaire, décérébrage médiatique, relativisme moral, et ses corollaires, misère spirituelle, fantasme de l'homme autoconstruit…

Comment espérez-vous faire passer votre appel à la limite, dans un monde où l'individualisme consumériste n'a jamais été aussi triomphant? Votre combat n'est-il pas perdu d'avance?

Il n'est que les combats qu'on déserte qui soient perdus d'avance. Nous ne sommes ni des rêveurs, ni des résignés, ni de simples indignés. Promouvoir une écologie intégrale, c'est d'abord veiller à soutenir et à diffuser - à polliniser - toutes les initiatives locales, concrètes, solidaires, qui fleurissent un peu partout. Commençons par agir ici et maintenant, à notre modeste place, pour améliorer ce qui peut l'être en inventant des alternatives durables, accessibles, à cette logique totalitaire du «toujours plus» qui est souvent un «toujours pire». C'est en effet à une simplification générale de nos modes de vies qu'il faut travailler, pour les rendre moins artificiels, moins voraces, plus pérennes. Sans prétendre «sauver la planète» - ce qui serait déjà faire preuve d'une démesure prométhéenne -, ni même «prendre le pouvoir» - car c'est plus souvent le pouvoir qui vous prend... N'oublions pas qu'humanité et humilité ont la même racine: humus, la terre! Je suis plein d'espérance, car la société civile regorge d'idées pour refonder, par la base, une société plus juste et plus pérenne, c'est-à-dire plus respectueuse des personnes et de leur environnement. Coopératives, sites de troc ou de récup', associations pour le maintien d'une agriculture paysanne, systèmes d'échange locaux, «café suspendu», micro-crédit... Beaucoup travaillent depuis longtemps à cette écologie intégrale que nous appelons de nos vœux! C'est cela que nous appelons la courte échelle: une logique d'entraide, de confiance, de partage, qui nous rapproche et nous élève.

Contre le «There is No Alternative» de Margaret Thatcher, qui présentait le modèle capitaliste-libéral comme nécessaire et inéluctable, vous prétendez proposer une alternative, celle de l'écologie intégrale. Qu'entendez-vous par cette expression?

Nous sommes dans un avion que personne ne sait plus faire atterrir, qui n'a d'autre choix qu'accélérer toujours pour ne pas s'écraser. Cette fuite en avant, on voudrait nous faire croire qu'elle est inéluctable, comme s'il n'y avait pas d'alternative au toujours plus. On fantasme un homme parfait, tout-puissant, maître de lui comme de l'univers... Des cultures transgéniques au transhumanisme, rien ne doit arrêter la grande marche du Progrès, rien ne doit borner l'extension du domaine de la lutte contre une nature humaine honnie parce que finie, rien ne doit empêcher la conquête de nouveaux débouchés par une technique idolâtrée! Eugénisme, euthanasie, licenciements boursiers: mort aux canards boiteux, place à l'homme augmenté, rentable, fonctionnel, standardisé! Bienvenue à Gattaca!

"Face aux rêves démiurgiques de l'humanité, l'écologie intégrale propose une éthique de la sobriété choisie, fondée sur la conscience amoureuse de notre finitude. Seule la reconnaissance de notre propre vulnérabilité permet la solidarité : respecter toutes les fragilités, c'est déjà sortir d'une vision marchande de la vie, qui confond rentabilité et dignité."

Face à ce système déshumanisant, l'écologie intégrale propose une alternative radicale: moins mais mieux! Indissolublement humaine et environnementale, éthique et politique, elle considère la personne non pas comme un consommateur ou une machine, mais comme un être relationnel qui ne saurait trouver son épanouissement hors-sol, c'est-à-dire sans vivre harmonieusement avec son milieu, social et naturel. Autrement dit, l'écologie intégrale ne sacralise pas l'humain au détriment de la nature, ni la nature au détriment de l'humain, mais pense leur interaction féconde. Saccager nos écosystèmes ne saurait en effet conduire qu'à notre propre déshumanisation. Les désastres écologiques ont toujours des conséquences sociales terribles, les plus pauvres les subissent de plein fouet. Face aux rêves démiurgiques de l'humanité, l'écologie intégrale propose une éthique de la sobriété choisie, fondée sur la conscience amoureuse de notre finitude. Seule la reconnaissance de notre propre vulnérabilité permet la solidarité: respecter toutes les fragilités, c'est déjà sortir d'une vision marchande de la vie, qui confond rentabilité et dignité. L'écologie intégrale est profondément politique, dans la mesure où elle travaille à la convergence des luttes de tous ceux qui oeuvrent pour un monde à la mesure de l'homme: il faut lire à cet égard les remarquables travaux de Pièces et main d'oeuvre, un groupe anarchiste grenoblois, sur l'artificialisation de la reproduction. Décapant!

Les Veilleurs se sont engagés avant tout contre la loi Taubira. Celle-ci une fois votée, quel sens cela a-t-il de continuer ces manifestations?

Les Veilleurs ne manifestent pas. Ils réfléchissent, ils lisent, ils dialoguent. Ils proposent au cœur de la cité un espace culturel et politique où chacun peut se réapproprier sa responsabilité civique. La loi qui a désinstitutionnalisé le mariage n'a été votée que parce que notre démocratie est sous le joug d'apprentis sorciers plus soucieux d'imposer à tous leurs fantasmes et leurs intérêts que de répondre aux inquiétudes des Français. Face à cette dérive oligarchique, la priorité est d'agir au niveau local pour diffuser un esprit de résistance en actes. Ainsi les Veilleurs cherchent-ils moins à influencer les puissants qu'à reformer ces petites agoras où chaque citoyen puisse venir librement réfléchir et s'interroger sur les conditions de la vie commune. C'est cela l'écologie: la science des conditions d'existence. Nous voulons favoriser des prises de conscience radicales, transversales, susciter de nouvelles synergies, loin des blocages idéologiques, des clivages artificiels qui nous paralysent plus qu'ils ne nous structurent. Ainsi voulons-nous contribuer, à notre mesure, à réintroduire dans un espace public saturé d'indifférence et de bruit un peu de convivialité, de gratuité, d'intelligence et de beauté.

Nous traversons une crise anthropologique profonde dont la loi Taubira est un épisode décisif. La mécanique de marchandisation du corps que nous avions dénoncée s'est immédiatement enclenchée. Ainsi, à Lyon, sous le slogan «Nos corps, nos choix», les revendications de la Gay Pride 2014 ont amalgamé PMA, GPA et prostitution. En instituant un pseudo-droit à l'enfant, on renforce l'emprise de la technique et du commerce sur

"En instituant un pseudo-droit à l'enfant, on renforce l'emprise de la technique et du commerce sur la vie familiale. Echangisme et libre-échange..."

la vie familiale. Echangisme et libre-échange... Débattrons-nous dans un an de la commercialisation des utérus artificiels sous prétexte que ça se fait déjà à l'étranger? A la discrimination des enfants privés de parité parentale, à la précarisation familiale due à la dissolution du lien biologique au profit d'une multi-parentalité sociale, contractuelle donc instable, s'ajoute l'instrumentalisation du vivant via le business des procréations artificielles, comme l'a reconnu récemment José Bové.

La dérégulation économique et la libéralisation des mœurs - dont Jean-Claude Michéa analyse bien la paradoxale mais profonde convergence - procèdent du même refus de toute limite objective: toujours plus de droits individuels, toujours moins de freins institutionnels. Ce qui était gratuit, naturel, mystérieux (donner la vie), le marché s'en empare. Nouveau désir, nouveau négoce! «Laissez faire, laissez aller»! Pour le traité transatlantique comme pour les mères porteuses. Nous déléguons bien au sous-prolétariat indien le recyclage de nos déchets toxiques, pourquoi dès lors ne pas leur déléguer aussi, en externalisant la gestation, la production de nos héritiers? D'autant qu'avec la concurrence de l'Ukraine, il paraît que les prix baissent... Huxley l'avait cauchemardé, nous sommes en train de le réaliser.

Vous citez cette phrase de Camus: «Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu'elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse». Vous définiriez-vous comme des conservateurs?

Non, si cela signifie passéistes ; oui, si cela signifie légataires. Qu'allons-nous faire du monde que nous avons reçu en partage? Je ne veux pas que mes enfants puissent un jour me reprocher d'avoir sacrifié leur avenir à mon confort, de leur avoir laissé un monde irrespirable, par indifférence, aveuglement, égoïsme. Quand les jeunes «écologistes» s'enorgueillissent de faire une «politique sans conservateurs», que croient-ils subvertir? Le système économique actuel, fondé sur le productivisme à tous crins, dilapide nos ressources naturelles, saccage nos écosystèmes, met en concurrence les travailleurs du monde entier: il n'a en effet rien de conservateur. Il prospère sur ses propres ravages. L'abus de pesticides vous a rendu stérile? Qu'importe, nous vous proposons une PMA à des prix défiant toute concurrence! Vous êtes déprimé parce qu'une machine a pris votre travail? Prenez donc des cachetons! Et si ça ne suffit pas, promis, on vous vendra pas cher la corde pour vous pendre...

Face à cette surenchère démente, à quoi sert l'écologie si ce n'est à justement à briser l'idole des faux progrès, à dire stop: où voulons-nous aller? N'y a-t-il d'autre voie que cet impérialisme de l'artificiel qui nous mène tout droit au «meilleur des mondes» d'Huxley?Hélas, nos petits marquis progressistes d'EELV haïssent moins les conservateurs chimiques qui finissent par empêcher nos cadavres de se décomposer (nécessitant en retour un produit dissolvant!), que les consciences critiques qui, refusant d'appeler progrès une nouvelle aliénation, de confondre émancipation et déracinement, s'efforcent d'empêcher que le monde ne se défasse...

Veiller sur l'avenir, ce n'est pas regretter le passé, encore moins l'idéaliser, c'est témoigner de tout ce qui dans

« Ce n'est pas d'un dimanche à la campagne que nous avons besoin, mais d'une vie moins artificielle ».Bernard Charbonneau

l'expérience humaine mérite d'être transmis, vivifié et enrichi par chaque génération. Nous ne sommes pas nés par hasard, par «génération spontanée». La culture dont nous héritons nous façonne et nous oriente. Elle nous éclaire sans nous contraindre. Ainsi, face au cercle vicieux d'une agriculture intensive à base d'engrais et de pesticides qui produit de fort rendements mais épuise les sols, menace la santé humaine et pollue nos écosystèmes, redécouvre-t-on peu à peu les vertus d'une agriculture vivrière traditionnelle fondée entre autres sur la polyculture et la jachère. Conserver le monde, ce n'est pas le mettre en conserve, c'est le préserver pour mieux le partager!

Tout le monde est assez d'accord pour déplorer les effets de la mondialisation, du réchauffement climatique à l'effondrement du Rana Plaza. Certes, contrairement à d'autres, vous déplorez dans votre livre les effets ET les causes. Mais que proposez-vous concrètement pour sortir de ce modèle?


Tant mieux si petit à petit, devant la réalité, certains mirages s'estompent! Mais il y a encore du travail pour «dépolluer» nos imaginaires des slogans publicitaires qui nous vendent un monde sans limites, nous bercent d'illusions en flattant notre ego. Pour bien agir, commençons par arrêter de croire aux solutions miracle ou aux hommes providentiels. C'est de prudence et de patience que nous manquons le plus. Nous avons d'abord besoin de retrouver chacun, personnellement, un rapport plus sain au monde qui nous entoure. Et comme le disait déjà Bernard Charbonneau, «ce n'est pas d'un dimanche à la campagne que nous avons besoin, mais d'une vie moins artificielle». Nous devons réfléchir à nos modes de vie qui, en l'état, ne sont ni durables ni généralisables. C'est une question de bon sens et de justice. Agissons d'abord à notre échelle en privilégiant proximité et qualité, circuits courts, petits commerces, etc. La vraie politique commence là, à travers des engagements quotidiens, familiaux, culturels, associatifs... Reste l'inévitable question des partis. On peut estimer urgent de rénover de l'intérieur les grands partis pour y diffuser ses idées, ou d'en soutenir de nouveaux, issus de la société civile. On peut aussi relire Simone Weil et sa Note sur la suppression générale des partis politiques, et penser que ce sont de vieilles choses, que ce mélange de cynisme électoral, de caporalisme bien-pensant et de manipulation médiatique est dispensable, bref, qu'il faut inventer à long terme une nouvelle manière d'organiser la vie commune. Tout cela n'est d'ailleurs pas inconciliable. Mais je crois qu'il est sage de commencer par travailler au niveau local, humblement, loin des honneurs et des sirènes médiatiques, avant de postuler à quelque responsabilité que ce soit. De cette base solide seule jailliront les élites dévouées dont la France a besoin - et qu'elle mérite.

Source: Le Figaro

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"Les Veilleurs" (20 Avril 2013)

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Veilleurs : «Le refus de la limite nous déshumanise»

" L’écologie humaine : vers une mutation culturelle ?" par Tugdual Derville
Halte au narcissisme du corps  
"La révolte des masses" - d' Ortega Y Gasset
Les nouvelles technologies vont-elles réinventer l' homme ?


"Notre République" par Charles Vaugirard
La Laïcité, 4éme devise de la République pour Mr Olivier Falorni !!!!Lettre de Mgr Aillet (MANIFPOURTOUS , Bioéthique , Gender , Euthanasie Morale Laïcque...)"Tomber la culotte" ET "morale laïque" de Vincent Peillon à l' école Chiara Petrillo: "OUI à la VIE"L' état doit il avoir une éthique ? La loi est elle pédagogique et donc oriente elle vers le bien ?Démocratie "entre" Loi civil et loi morale
Extrait de l' Evangile de la Vie (Evangelium vitae)
Loi naturelle et loi civile: 1-"un mariage de raison"La voix éloquente et claire de la ConscienceChronique libre: "De l'ordre moral à l'ordre infernal"
"Laïcité de l'Etat, laïcité de la société ?" - Conférence du Cardinal Ricard
La voix éloquente et claire de la ConscienceConscience morale: "Les chrétiens au risque de l'abstention ? "
La liberté de conscience et religieuse menacée aux États-Unis
Cardinal André XXIII - Extrait " Vision actuelle sur la Laïcité (KTO) "
( Quelle société voulons nous ? (Cardinal André XXIII ) - Partie I)
( Quelle société voulons nous ? (Cardinal André XXIII ) - Partie II)
( Quelle société voulons nous ? (Cardinal André XXIII ) - Partie III)
( Quelle société voulons nous ? (Cardinal André XXIII ) - Partie IV)
"La laïcité à la française " une analyse de Mgr Jean-Louis Bruguès
La voix éloquente et claire de la ConscienceQuand l' Eglise interpelle les consciences....pour 2012

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