dimanche 31 janvier 2016

I - Abroger, revenir sur la Loi Taubira (La genèse d'une loi et ses conséquences)







Avant-Propos:


"Si vous avez 1 Père et une Mère, vous avez une énumération complète, mais si vousdîtes: "une mère et une mère",on ne voit pas bien pourquoi on s'arrêterait la ... l' énumération pourrait alors s'ouvrir indéfiniment... les revendications homophile reconnaissent donc la primauté de la relation Homme/Femme qui est féconde"                                                                                                                  (Fabrice Hadjadj - Audio ci dessous)



(Toute (forme) de reconnaissance d'un autre modèle que le couple Homme/Femme ouvre automatiquement à la reconnaissance du "trouple" et à la "multi-parentalité", avec comme corélaire, la ruine plus ou moins rapide de la Famille, du couple, du mariage et de la protection de l'enfant)


Sommaire:

"Conduire un peuple" par Thibaud Collin - LiberTpol ()

* Pour comprendre: (1) la "genèse" d'une loi ....

"L'archaïsme du mariage libertaire" par Roland Hureaux - LiberTpol ()

"Une exigence sémantique: rétablir les sens des mots"
                                                    par Geoffroy de Vries - IF&R ()

"L'urgente exigence d'une reconnaissance du principe
 de subsidiarité en droit communautaire matrimonial"
                                     par André Bonnet (pseudonyme) - IF&R ()

* Pour comprendre: (2) les conséquences d'une loi ....

"L'enfant et les parents" par Anne Morineaux-de Martel - IF&R ()


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Sommaire général:

I - Abroger ! La genèse d'une loi et ses conséquences ... (

"Conduire un peuple" par Thibaud Collin - LiberTpol ()
Roland Hureaux - LiberTpol ()
Geoffroy de Vries - IF&R ()
André Bonnet (pseudonyme) - IF&R ()
Anne Morineaux-de Martel - IF&R ()

II - Abroger ! Pourquoi ()? Comment ?()

Michel Pinton - LiberTpol ()
Joël Hautebert - IF&R ()
Guillaume Drago - LiberTpol ()
Grégor Puppinck et Claire de la Hougue - IF&R ()
Anne-Marie Le Pourhiet - IF&R ()

III - Protéger le mariage, l'enfant , la Famille et Interdire la GPA () 
Clothilde Brunetti-Pons - IF&R ()
Aude Mirkovic - IF&R ()
Grégor Puppinck et Claire de La Hougue - IF&R ()

IV - Refonder la politique familiale et la reconnaissance du Mariage religieux () 
Dominique Marcilhacy - IF&R ()
Audio Fabrice Hadjadj ()
Claude de Martel & Anne Morinneaux de Martel - IF&R ()

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"Conduire un peuple" par Thibaud Collin



TROIS ANS APRES LE VOTE DE LA LOI TAUBIRA ouvrant le mariage civil à deux personnes de même sexe, il convient d'envisager dans toute sa radicalité mais aussi dans toute sa complexité le problème pratique : comment se libérer de cette loi injuste et mortifère ?

La question est malheureusement fort différente de celle qui était posée avant le vote de la loi. L'agir politique ne se déploie que dans la réalité des circonstances et ignorer leur force contraignante condamne à l'impuissance ou aux plus cruelles désillusions. La politique ne consiste pas à appliquer automatiquement des idées vraies à un matériau passif et docile. La politique est un art et une prudence consistant à conduire un peuple vers le bien commun.
Cette conduite exige de susciter ou de rejoindre un consentement suffisant pour que les libertés s'ordonnent à ce bien. Tel est le rôle des lois que de prescrire à la raison pratique le bien à faire ; encore faut-il que ce bien apparaisse comme tel, c'est-à-dire attirant, désirable.

La loi Taubira a été votée car elle est apparue à beaucoup de nos compatriotes comme le fruit mûr d'une évolution des mœurs à la fois inéluctable et bonne. Ses opposants ont été certes nombreux dans la rue mais la mobilisation s'est levée en aval de la bascule culturelle et mentale. Dès lors, seul un investissement culturel profond et durable, seule une réforme intellectuelle et morale consciente de la radicalité des enjeux pourra inverser la spirale nihiliste et libertaire dans laquelle notre peuple est aspiré et dont la loi Taubira n'est qu'un élément parmi d'autres.

Est-ce à dire que tout engagement politique est à proscrire ? Qu'il ne faut pas travailler aux différents scenarii d'abrogation de la loi Taubira ? Non certes, car la politique est une des activités essentielles du combat culturel et non la moindre. Il y a une causalité propre du politique sur les mentalités et les comportements. L'agir politique peut manier des leviers d'une autre nature et susciter ainsi des mouvements qui, à terme, auront des effets politiques. Bref, le champ politique est en prise avec le champ métapolitique et réciproquement. Le président Poutine, quoiqu'on pense de sa personne et de sa politique, est aujourd'hui à la face du monde un exemple éloquent de cet enveloppement réciproque des champs.

Il convient dès lors que chacun joue, selon sa vocation propre, sa partition sans prétendre qu'elle disqualifie toutes les autres. Il s'agit pour chacun de garder la conscience qu'il participe à un mouvement de reconstruction civilisationnelle dont les dimensions le dépassent et que les efforts qu'il fait dans son domaine de prédilection peuvent renforcer les efforts que font d'autres dans des domaines à première vue fort éloignés du sien.

Cette approche à la fois totale et locale n'est-elle pas finalement celle que Dieu exerce dans sa Providence envers l'histoire des hommes et qu'il nous invite à imiter ?

Thibaud Collin

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"L'archaïsme du mariage libertaire" par roland Hureaux

* Essayiste, ancien élève de l'ENS, agrégé d'histoire. Dernier ouvrage paru: La Grande Démolition, la France cassée par les réformes (Buchet-Chastel, 2012). 



LES TROIS MODÈLES FAMILIAUX 


IL EST DE BON TON DE DIRE aujourd'hui que les modèles familiaux sont innombrables, que chaque époque invente les siens (on dit cela en particulier pour justifier le « mariage entre personnes du même sexe ») et qu'en définitive tout est relatif en matière d'organisation familiale.

Nous ne le pensons pas: quand on examine l'histoire de l'Europe depuis trois ou quatre millénaires - et même en jetant un coup d'œil, nécessairement rapide, sur les civilisations extra-européennes, trois modèles de famille se dégagent, lesquels sont loin d'être équivalents.

Dans ce recensement, nous mettrons pour le moment entre parenthèses certains critères auxquels les travaux d'Emmanuel Todd font souvent référence : cohabitation ou non des générations, égalité ou inégalité des enfants devant l'héritage et même endogamie ou exogamie, pour nous centrer sur un socle familial encore plus fondamental : qui a des relations sexuelles avec qui ?

Le modèle libertaire et matriarcal

Du premier modèle que nous appellerons libertaire et matriarcal, nous n'avons que des échos très lointains dans l'histoire de l'Europe qui l'a très tôt refusé; c'est le modèle, autant qu'on puisse le connaître, des sociétés agraires primitives de la périphérie méditerranéenne : les Sicanes en Sicile, les Pélasges en Grèce, les Cananéens en Palestine, peut-être les Étrusques. Ces sociétés ont été en général détruites par des envahisseurs de type familial différent: Juifs, Grecs, Latins, Arabes. Nous les connaîtrions mal si nous ne retrouvions aujourd'hui des modèles analogues dans une partie de l'Afrique noire ou chez certaines peuplades primitives d'Océanie et d'Amérique.

Ce modèle n'exclut pas le mariage monogame ou polygame assorti d'une obligation de fidélité et de stabilité, mais cette obligation est mal respectée sans qu'il y ait de véritable sanction.

Si l'infidélité des hommes n'est pas propre à ce modèle, celle des femmes y est plus spécifique, non pas qu'elles y soient plus portées vers le plaisir sexuel mais, semble-t-il, du fait qu'elles ne sont pas éduquées à dire non aux sollicitations d'un homme, pour peu qu'il se fasse insistant ou ait quelque prestige. « Marie, couche-toi là » est un impératif auquel elles ne savent guère objecter. La promiscuité relative qui en résulte fait que les enfants sont souvent incertains de l'identité de leur père et que leur réfèrent principal est donc la mère. C'est en ce sens que l'on peut parler de sociétés matriarcales, même si en définitive l'homme commande à la femme, et si l'autorité est souvent exercée par le frère de la mère plutôt que par la mère elle-même. Le climat de vagabondage sexuel et l'absence d'autorité directe sur des enfants pas toujours reconnus encourage une certaine irresponsabilité des hommes jeunes et moins jeunes. Irresponsabilité accusée, selon la logique freudienne, par le brouillage de l'image du père et la dépendance quasi-exclusive à l'égard de la mère qui non seulement est mieux reconnue mais qui, le plus souvent, pourvoit à tout : agriculture, élevage, soins domestiques et éducation des enfants (tandis que les hommes sont à la guerre, à la chasse ou en palabres). L'instabilité des rapports sexuels favorise la rivalité des jeunes mâles, ferment de discorde et de fragilité de ces sociétés, caractérisées semble-t-il, par une forte violence interne.

L'adultère (notion largement dédramatisée) y est particulièrement le fait des jeunes hommes non encore mariés et des jeunes épouses des vieux chefs ou autres notables qui s'appuient sur leur pouvoir politique ou économique pour ajouter aux femmes de leur jeunesse des épouses plus jeunes.

Ce modèle familial est généralement associé par les historiens anciens et modernes à la pratique de l'agriculture et à la sédentarité. Dépendance de la récolte, sexualité facile et importance de la mère, ce type familial est également associé au culte des déesses-mères et de la Terre et aux rituels de fécondité, parfois orgiaques. Ces sociétés sont le lieu d'élection des cultes dits chthoniens. Dans le monde grec, ces cultes, tout en cessant d'être exclusifs, ont laissé des traces dans le Panthéon : Démêler, déesse des récoltes, Artémis aux multiples seins, les mystères d'Eleusis. Dans le monde juif et arabe après la venue de l'islam, ces cultes sont farouchement combattus comme la tentation, toujours rémanente, de l'idolâtrie, laquelle se manifeste en particulier par des symboles phalliques comme les pierres dressées, associés à un rituel chtonien.

Dans l'Afrique subsaharienne, ce modèle subsiste largement, malgré l'expansion de l'islam et du christianisme : la promiscuité relative qui l'accompagne suffit à expliquer que le Sida y soit beaucoup plus répandu que partout ailleurs dans le monde et qu'il y soit transmis principalement par les relations hétérosexuelles.

Le modèle patriarcal

Le second modèle familial, que nous appellerons patriarcal, trouve son expression accomplie dans le monde juif vétérotestamentaire et dans le monde arabo-musulman. La Grèce et la Rome antique en offrent une expression atténuée.

Il se distingue du premier modèle par l'affirmation de l'autorité des hommes (au moins de certains), par l'extension de la polygamie et le « bouclage » des femmes, désormais contraintes, sous menace de mort, généralement par lapidation, à une fidélité stricte. Les puissants, qui disposent d'un harem, les mettent même sous la garde d'eunuques aussi athlétiques qu'inopérants pour empêcher les intrusions des jeunes hommes sans attaches.

Ce qui ne change pas par rapport au modèle précédent, ce sont les facilités qu'il offre aux hommes les plus à même de s'attacher plusieurs épouses.

Ne change pas non plus l'éthique de référence des femmes dont on ne suppose pas qu'elles seront des jeunes filles chastes ou des épouses fidèles volontairement.

Ce qui change : les hommes, et particulièrement les chefs de clan, se préoccupent de contrôler leurs épouses. Comme on ne les considère pas comme naturellement vertueuses, et surtout qu'elles se trouvent toujours dans une culture de la soumission à l'homme quel qu'il soit, le seul moyen pour le mâle dominant de les garder pour lui seul est de leur éviter toute tentation, et donc de les « boucler », en vivant recluses et en sortant voilées. La question de la préservation de la vertu des jeunes filles est, quant à clic, réglée par le mariage pubertaire, voire pré-pubertaire.

Le paterfamilias hébreu ou arabe est plus sûr de ses épouses que ne l'est le chef africain (et sans doute que ne l'était le chef pré-indo-européen), non pas parce qu'elles seraient plus vertueuses, mais parce qu'un arsenal répressif, public et privé, particulièrement féroce, a été mis en place.

Aujourd'hui, le Sida se répand peu dans ce type de société.

La situation est moins confortable pour les jeunes gens non mariés (d'autant plus nombreux que la polygamie et donc l'inégalité sexuelle sont répandues). Ils sont eux aussi sévèrement punis en cas d'adultère. L'homosexualité, tolérée, au moins dans l'islam, mais non reconnue, a pu être dans certains cas un exutoire.

Cohérente avec cette affirmation de l'autorité du père sur ses femmes, est l'affirmation de l'autorité du père sur ses enfants, tenus en minorité par le chef de clan, mariés de force avec une proche cousine et gardés jusqu'à un âge avancé sous dépendance.

L'équilibre ainsi instauré étant fragile, l'endogamie permet de limiter les risques de dissolution, le contre-exemple biblique du roi Salomon montrant ce qui peut advenir à qui ne se méfie pas assez des femmes étrangères.

Comme dans la société du premier type, la femme est d'abord un objet de plaisir, voire, dans le peuple, une bête de somme. Le maintien tardif de la femme en situation de minorité et l'habitude de ne pas la respecter en tant que personne (à l'exception de la mère) maintient aussi une grande partie des hommes en situation d'immaturité affective.

C'est ce qui permet à des femmes ayant eu de nombreux enfants de s'imposer peu à peu et de trouver au fil des ans, comme dans les sociétés du premier type, une certaine autorité sociale, toute relative au demeurant.

Les sociétés du second type, ordonnées sur \le paterfamilias tout puissant et la relégation des femmes, se prêtent aux cultes dits ouraniens, fondés sur la primauté des divinités célestes et mâles, éventuellement un Père tout-puissant « qui est au ciel », allant dans le cas du peuple juif et des Arabes islamisés jusqu'au culte du Dieu unique.

Le type patriarcal convient mieux aux sociétés nomades, pratiquant l'élevage ou le commerce, même si ces sociétés gardent largement leurs pratiques familiales et leurs cultes une fois sédentarisées.

Puisque les sociétés du premier type ont disparu à l'aube de l'histoire et que les secondes existent encore, comment est-on passé des premières aux secondes? En d'autres termes, comment les hommes (ou certains hommes) ont-ils pris le pouvoir, un pouvoir quasi-absolu, qu'ils n'avaient pas dans les sociétés matriarcales et libertaires plus originaires? Il est difficile de le dire. Il est peu probable que la même société soit passée du premier au second type. Le plus probable est que les deux types de sociétés ayant coexisté en des temps anciens, les secondes se sont révélées mieux armées que les premières dans la struggle for life : plus hiérarchisées, plus ordonnées, elles ont exterminé ou réduit en servitude les secondes, à la fois dissolues et plus divisées; ainsi les Grecs ont éliminé des Pélasges, puis les Sicanes, les Juifs les Cananéens, etc.


Si Juifs et Arabes offrent les prototypes des sociétés du second type, on en trouve aussi certains caractères dans les sociétés indo-européennes dans leurs phases primitives, du moins là où elles sont les mieux connues, en Grèce et à Rome.

La situation de la femme est cependant meilleure, ne serait-ce que parce que la monogamie y est en principe la règle. Cette monogamie n'exclut pas les facilités sexuelles des hommes, soit dans les lieux de plaisir, soit grâce aux esclaves, même mâles, facilités qui sont généralement interdites aux femmes, au moins autant que la fortune politique n'a pas entraîné l'émancipation des mœurs. La femme athénienne est cloîtrée dans le gynécée, tandis que l'homme vaque aux affaires publiques sur l'agora. Dans les premiers temps de la Rome républicaine, l'autorité du pater familias n'a rien à envier à celle du patriarche hébreu1. L'adultère féminin est sévèrement puni.

Ces contraintes se relâchent au fur et à mesure que la puissance, la richesse entraînent une dissolution des mœurs, qui se manifeste par exemple par l'extension de l'homosexualité dans l'élite athénienne ou lu licence, désormais impunie, de certaines femmes de l'aristocratie romaine, au Ier siècle après Jésus-Christ.

Les autres sociétés indo-européennes à leur stade primitif sont moins connues. La monogamie y semble la règle au moins théorique. Mais chez 1rs Gaulois, le divorce - ou à tout le moins la répudiation - est relativement facile.

Compte tenu de leur panthéon, qui mélange les divinités ouraniennes et chtoniennes, et de leur type familial mixte, on peut sans doute dire que les sociétés indo-européennes (comme avant elles la société égyptienne du temps des pharaons) sont un intermédiaire entre le premier et le second type familial. Ce syncrétisme fit peut-être leur force.

Le modèle chrétien

La famille du troisième type est la famille chrétienne, au moins dans ce qu'elle a d'idéal.

À la différence du premier type, elle pose un idéal de fidélité strict, tant pour l'homme que pour la femme (même si l'adultère masculin y a largement perduré) et on peut dire, d'une façon générale, que la vie sexuelle, surtout celle des femmes, y est, comme dans la famille patriarcale, strictement réglée.

Deux différences importantes distinguent le type chrétien du second type, patriarcal: d'abord une monogamie stricte, assortie d'une indissolubilité du lien matrimonial. Surtout le fait que la fidélité de la femme ne repose plus d'abord sur la crainte du châtiment et l'enfermement, mais sur une contrainte librement acceptée.

La famille du troisième type, à la différence du second type, fait confiance à la femme: non seulement, elle n'est plus cloîtrée, mais elle peut sortir à visage découvert.

Ce n'est pas d'abord à sa vertu supposée qu'on fait confiance, mais à sa capacité à dire non au solliciteur importun. Pas seulement par chasteté mais par un sens nouveau de l'« honneur » féminin et parce qu'elle est socialement fondée à refuser les avances d'un homme, même si elles prennent la forme de l'ordre d'un supérieur. Le droit pour une femme d'administrer une paire de claques au solliciteur importun est un des fondements de la culture occidentale !

Les grandes initiatrices de ce nouveau statut de la femme sont les « vierge et martyres », au moins celles qui ont préféré se faire tuer que sacrifier leur virginité ou leur vertu. Elles sont nombreuses au calendrier des saints de l'Église catholique, principalement aux premiers siècles, et c'est assez logique compte tenu de ce qui fut leur fonction anthropologique.

On aurait tort cependant de fixer au christianisme l'apparition de ce nouveau type de femme. Inconnue du monde musulman et même grec, la femme qui protège sa vertu au risque de sa vie est présente dans l'histoire romaine (Lucrèce) et dans l'histoire juive tardive : le plus bel exemple en est l'histoire de Suzanne dont les vieillards lubriques qui la convoitent n'obtiennent pas quelle abandonne sa vertu, même en la menaçant de l'accuser faussement, ce qui devait la conduire à la mort. Bien avant elle, le patriarche Joseph avait également refusé de céder à la femme de Putiphar qui exerçait sur lui un chantage analogue. Mais Joseph était un homme, Suzanne est une femme. La figure éminemment moderne de Suzanne n'apparaît que dans un écrit tardif absent de la Bible juive ou protestante, quoi qu'authentique.

Mais c'est le christianisme qui a fait de ce type de femme - et par là du type de famille qu' elle instaure - une réalité normative.

Sans doute la femme chrétienne n'est-elle pas l'égale de homme, au moins si l'on suit saint Paul pour qui l'homme est « le chef de la femme » mais qui ajoute immédiatement que l'homme doit l'aimer et prendre soin d'elle « autant que Christ aime son Église » (c'est-à-dire infiniment). Cependant la femme lui est égale en dignité (« il n'y a plus ni juif ni grec, ni homme ni femme »), l'inégalité n'étant que fonctionnelle. Contrairement aux allégations absurdes de certaines doctrinaires féministes, que la


femme ait une âme n'a jamais été remis en cause dans l'Occident chrétien : le culte, relativement précoce, de la Vierge Marie, suffit à l'attester. On alléguera que sa sexualité ne semble pas reconnue, mais quel progrès par rapport aux sociétés des premier et second type où elle n'était reconnue que comme objet de jouissance de l'homme ! Au demeurant, saint Paul ordonne aux conjoints de « ne pas se refuser l'un à l'autre », sans distinguer l'homme de la femme. L'impossibilité de la répudiation, passée dans le droit positif au ive siècle, constitue une autre avancée.

Le nouveau modèle familial fondé sur l'ouverture à un autre qui est un partenaire ne craint pas l'exogamie. Le mariage consanguin au-dessous du cinquième degré de parenté fut même interdit par l'Église à partir du VIe siècle. La bataille n'était pas gagnée d'avance: jusque tard dans le Moyen-âge, l'Église s'opposa sur ce sujet à la noblesse, marquée par les coutumes germaniques endogamiques et qui, pour des raisons dynastiques ou patrimoniales, préférait se marier entre soi. La Bible ne se prononce pas clairement sur ce sujet: tantôt imposant l'endogamie entre juifs, si possible de la même tribu, tantôt condamnant une endogamie excessive. Mais un texte de saint Augustin préconise l'exogamie comme marque de l'ouverture à l'autre, de la charité et de l'universalité de l'Église ; ce texte prit assez vite force de loi. Comme le dit Emmanuel Todd : l'Europe est le seul continent où le choix du conjoint demeure relativement ouvert. Presque partout ailleurs la préférence endogame le restreint a minima.

Lié au mariage du troisième type est la dot versée, on le rappelle, en terre de chrétienté par la famille de l'épouse à celle de l'époux. Trop de gens la confondent encore avec le tribut qui, dans les sociétés patriarcales du second type et peut-être les sociétés archaïques du premier type, est versé à la famille de la femme par celle de l'homme. Ce tribut est un véritable paiement pour acquisition d'une sorte d'esclave domestique, alors que la dot est exactement l'inverse : elle est supposée permettre à l'épouse une certaine autonomie matérielle au sein de sa nouvelle famille, en tous les cas d'y recevoir une reconnaissance économique.

De l'exogamie au libre choix du conjoint, et donc au mariage d'amour, il y a un pas. Inconnu de la famille du deuxième type, il n'apparaît que peu à peu dans la famille du troisième type. Dans l'aristocratie, mais aussi dans une partie du peuple, les mariages sont depuis les origines arrangés en fonction des intérêts patrimoniaux, politiques ou de lignage. Ils n'excluent pas l'amour au vu de nombreux témoignages que nous en avons, mais l'amour vient après le mariage, non avant. Certes la théologie chrétienne du sacrement de mariage a toujours reposé sur le libre consentement des conjoints exprimé publiquement le jour de la cérémonie.

La contradiction entre cette théorie et la pratique sociologique n'est apparue que peu à peu. Elle éclate au XVIe siècle quand l'Église catholique revendique le droit de marier des fiancés majeurs consentants, même sans l'accord de leurs parents. Cette pratique heurte les lois du royaume de France (et des autres) : les rois soucieux d'ordre requièrent l'accord des parents quel que soit l'âge des conjoints. Il heurte aussi des personnalités comme Luther, Calvin ou Rabelais, prompts à épouser les intérêts des pouvoirs en place. Plus tard Fénelon fulmine contre les mariages arrangés spécialement entre vieillards riches et jeunes filles, qu'il tient, non sans raison, pour un encouragement à l'adultère, une théorie que reprend Balzac dans sa Physiologie du mariage. Le mariage moderne fondé sur le libre choix des époux et donc l'amour ne se généralise que dans le courant du XXe siècle. Il n'existe encore que dans les sociétés chrétiennes ou post chrétiennes. Curieusement, il est contemporain d'un affaiblissement sans précédent du lien matrimonial.

De même que le principe du libre consentement n'entra dans les faits que très tardivement, le nouveau statut de la femme instauré par le christianisme ne se concrétisa que très progressivement. Ce statut est certes ambigu: égalité de dignité, monogamie, relation de confiance, répudiation impossible mais autorité, au moins fonctionnelle de l'homme, avec il est vrai l'obligation pour celui-ci de chérir sa femme « comme son propre corps » : il marque de toutes les façons un progrès considérable par rapport aux deux autres modèles familiaux, même celui que nous avons qualifié de matriarcal. Le retour du modèle patriarcal, sous sa forme la plus dure, à partir de la conquête musulmane (vie siècle) entraîna partout une forte régression du statut de la femme.

En terre de chrétienté traditionnelle, l'adultère féminin est généralement puni plus sévèrement que le masculin; même si, en souvenir de la femme adultère sauvée par Jésus, ce châtiment n'est jamais la mort, il est au minimum le déshonneur. L'adultère masculin, non seulement n'est guère puni (sauf si l'époux est plus puissant que l'amant), mais il est, dans certains milieux aristocratiques, source de gloriole : « Les hommes mettent un point d'honneur à déshonorer les femmes » (Marguerite de Navarre). Dans les familles régnantes, la vigilance sur la fidélité de la femme est particulièrement étroite: chez les Capétiens, les cas de reine adultère sont rares : Marguerite de Bourgogne, femme de Louis X le Hutin surprise à la tour de Nesle, mourut de froid en prison (mais son amant fut encore plus sévèrement châtié!), Isabeau de Bavière, épouse d'un roi fou, Charles VI, resta, elle, impunie. On ne connaît guère d'autre cas d'adultère avéré parmi les reines de France, alors que les rois fidèles se comptent sur les doigts d'une main. Moins que par une inégalité métaphysique, cette surveillance plus stricte de la vertu des femmes résulte, dans une société


politique où l'hérédité joue un rôle fondamental, de la plus grande difficulté d'attester le lien du sang du côté du père que du côté de la mère.

L'infériorité du rôle de la femme ne l'empêcha pas, sauf en France, de régner, au moins à partir du second millénaire, dès lors que les conditions étaient réunies: absence d'héritier mâle en ligne directe ou, même en France, d'exercer la régence. Cela n'était jamais arrivé dans le monde grec (à la seule exception de la reine Cléopâtre), romain et byzantin (à l'exception de l'impératrice Irène) ni naturellement en pays musulman.

Au sein du bloc qu'offre la chrétienté fondée sur la monogamie stable et l'exogamie, la typologie introduite par Emmanuel Todd, après Frédéric le Play, autour de deux principaux critères : coexistence de plusieurs générations ou famille nucléaire, égalité ou inégalité des enfants, n'amène, au sein de la famille du troisième type que des nuances, porteuses néanmoins de signification.

Rappelons cette typologie :



( ces variantes ne sont pas neutres. Notre hypothèse est que la famille communautaire, laquelle, à la polygamie près, se rapproche de la famille du second type, conserve un caractère archaïque. La famille autoritaire aussi mais avec une plus grande facilité d'évolution : d'abord parce que la force du lien hiérarchique lui garantit une plus grande efficacité, ensuite parce qu'elle aboutit à l'expulsion des cadets, obligés d'aller chercher

fortune ailleurs : on connaît le rôle des Basques dans la colonisation de l'Amérique latine. Ce modèle de famille autoritaire et inégalitaire n'est pas seulement lié à certaines régions; il est celui de la plupart des aristocraties européennes jusqu'à l'époque moderne.

Entre la famille nucléaire égalitaire et la famille nucléaire inégalitaire, il est plus difficile de déterminer quelle est la plus avancée, si tant est que la question ait un sens. La famille nucléaire combinée à l'inégalité des enfants (soit par l'exercice du droit d'aînesse, soit par la pouvoir discrétionnaire du de cujus) a jeté, selon Emmanuel Todd, les fondements de l'individualisme anglo-saxon dont on connaît la brillante destinée, au travers de l'essor du capitalisme. Mais le droit d'aînesse y est un héritage ancien dont la raison d'être dans l'aristocratie anglaise, comme dans toutes les aristocraties européennes, était le maintien des lignages.

On ne saurait en dire autant de la famille nucléaire égalitaire dont le terreau d'élection fut la moitié nord de la France. Le sort des patrimoines lignagers lui importe peu. L'égalité non seulement formelle mais réelle des hommes lui parait plus importante. Son expression emblématique fut la Révolution française, triomphe, au moins sur le plan des principes, à la fois de l'individualisme et de l'égalité.

Mais avant de déboucher sur le phénomène révolutionnaire, la famille nucléaire égalitaire avait été sans doute l'aboutissement le plus achevé de l'idéal catholique :

I Famille nucléaire: « Tu quitteras ton père et ta père » est un des premiers commandements de la Bible. Il favorise le libre choix des conjoints préconisé par l'Église (à moins que la famille nucléaire n'en soit la conséquence) ;

I Famille égalitaire: l'égalité de dignité des enfants - et même des époux - prime toute considération lignagère. Ce modèle assure la meilleure place à la femme, égale dans l'héritage et donc dans le couple.

Les guerres de religion ont opposé en France au XVIe siècle un parti huguenot dont le terreau principal était la noblesse du Midi, très attachée au modèle de la famille autoritaire, et un parti catholique autour de la ville de Paris et dans la France du Nord ayant depuis longtemps adopté le modèle individualiste égalitaire. Par un paradoxe qui n'est peut-être qu'apparent, cette France, moderne par les structures familiales, soutint le parti de la Ligue férocement attaché au catholicisme. Sa victoire finale (concrétisée par la soumission d'Henri IV à Rome) garantit le maintien, non seulement de la France mais de la majorité de l'Europe dans le camp du catholicisme romain. Si ce parti avait perdu, l'Église catholique serait sans doute devenue marginale.


L'islam

Les trois modèles familiaux que nous avons décrits ne se sont pas strictement succédé dans le temps, puisque l'expansion de l'islam a fait revenir le modèle patriarcal polygame dans des régions où il avait disparu (Egypte, Maghreb, Asie mineure).

Mais des structures différentes peuvent aussi coexister dans la même société. La famille du premier type, caractérisée par la promiscuité et une forme de matriarcat, présente à l'aube de l'histoire, demeure, mais en situation subordonnée, dans une partie des sociétés antiques et même modernes.

Il est probable que la moitié de la société romaine tenue par le joug de l'esclavage ne connaissait pas d'autre forme de famille, non seulement parce que la condition propre de l'esclave - acheté, vendu, pouvant être impitoyablement séparé de ses parents, de ses frères et sœurs ou de ses enfants - ne favorisait pas la stabilité familiale, mais aussi parce que la discipline sexuelle (qui implique des lieux adaptés, suffisamment spacieux) était d'abord le propre des classes dirigeantes, organisées en lignages; elle était plus stricte là où les intérêts patrimoniaux (et la transmission de titres essentiels comme celui de citoyen romain ou de sénateur) étaient les plus importants. La promiscuité de l'ergastule conduisait sans doute à des unions de rencontre où les liens de filiation demeuraient incertains. I )'a il leurs, dans le monde romain, seuls les citoyens pouvaient se marier en bonne et due forme et porter un nom de famille.

Il en est sans doute de même pendant une partie du Moyen Âge.

D'abord parce que la rudesse des conditions de vie a, à la fin l'Antiquité, réduit au servage (une forme d'esclavage à peine tempérée par l'éthique chrétienne) la majorité des hommes libres; ensuite parce que la christianisation est longtemps restée de surface. Ce fut vrai au niveau de prêtres, dont le célibat consacré, qui devait donner aux masses baptisées I exemple de la discipline sexuelle et donc pousser à la chasteté conjugale (ce que l'Église catholique appelle la chasteté conjugale n'est nullement la continence mais la fidélité et la stabilité), quoique précoce, était peu respecté. Les conciles du Moyen Âge ne cessent de dénoncer le « nicolaïsme» dans le clergé, une expression savante qui recouvre tout simplement le concubinage et parfois le mariage non canonique.

Il est probable qu'une grande promiscuité sexuelle a longtemps continué de régner dans l'Europe chrétienne au niveau des masses populaires, lesquelles vivaient, sur le plan matériel, dans la plus grande déréliction. La précarité des conditions de vie, où la plupart des familles, voire plusieurs familles, étaient entassées dans une masure à une seule pièce, ne permettait guère de garder les distances requises. L'Église, dans ce contexte, se faisait le témoin compréhensif de l'immense miséricorde de Dieu, à condition que les masses lui reconnaissant à travers les rites et le paiement de la dîme une autorité théorique. Même l'Inquisition, apparue au XIIIe siècle pour garantir la rigueur doctrinale, n'a jamais prétendu inculquer la vertu.

Le peuple chrétien du Moyen Âge ressemblait à ces populations africaines ou polynésiennes d'aujourd'hui dont la licence sexuelle demeure grande (comme en atteste par exemple la propagation du Sida), mais qui accueillent le pape avec un enthousiasme délirant. Dans cette mentalité d évangélisation récente, la religion et la morale sexuelle ne sont pas perçues, à la différence de chez nous, comme liées.

Tout change à la Renaissance: la réforme protestante d'abord, la réforme catholique ensuite (dite tridentine car l'impulsion en fut donnée au Concile de Trente), avec une efficacité démultipliée par la création d'ordres nouveaux soucieux d'efficacité, comme les jésuites, ont eu l'ambition, non seulement de répandre l'Évangile, mais aussi de réformer en profondeur les mœurs, d'abord celles des clercs, ensuite celles de l'ensemble du peuple chrétien. Un premier changement, propre à cette époque, ne nous concernerait pas s'il n'avait entraîné les autres : ce fut, permise par l'imprimerie, l'alphabétisation populaire, dont la courbe partie au plus bas vers 1500 monte sans discontinuité jusque vers 1900, et dont le but premier fut l'apprentissage par tous, au travers du catéchisme, des bases de la doctrine chrétienne. Mais au-delà, c'est l'ensemble des comportements que les réformateurs ont voulu rectifier. Un instrument puissant de cet effort de moralisation fut la peur de l'enfer (déjà répandue au Moyen Âge mais avec moins d'effet qu'à l'époque moderne).

De la fin du XVIe siècle à la fin du XVIIIe siècle, l'Église catholique, en parallèle avec les Églises réformées, accomplit ce qui ne s'était jamais fait auparavant dans l'histoire : un immense effort pour élever au forceps le niveau moral de l'ensemble de la population, spécialement en matière sexuelle. Les résultats vinrent au bout de quelques années : en France, où cet effort, soutenu par la monarchie, fut mené avec une rigueur particulière, d'après les registres paroissiaux de la fin du XVIIe siècle (l'inscription des naissances, des mariages et des sépultures sur des registres fait partie de cette mise en ordre, qui fut non seulement morale mais administrative), on ne trouve dans certaines régions pas plus de 1 à 2 % de conceptions antérieures au mariage, résultat d'autant plus méritoire que le mariage est tardif et l'avortement quasi-inconnu. Malgré l'expansion des Lumières dans l'aristocratie, l'élan donné à cette œuvre se poursuit, au niveau du peuple, tout au long du XVIIIe siècle: jamais l'assistance à la messe dominicale n'avait été aussi élevée que dans la France de 1789 !

Le monde protestant est à l'avenant: ayant commencé le premier, il ne dispose certes pas, comme le monde catholique, d'ordres religieux dynamiques spécialement dédiés à l'évangélisation en profondeur -jésuites mais aussi oratoriens, sulpiciens, carmes, lassaliens, sans compter des ordres plus anciens, récemment réformés comme les dominicains et les franciscains. Mais l'apparition en son sein de sectes dissidentes en Angleterre au XVIIe siècle (puritains, baptistes, quakers, méthodistes), largement répandues aux États-Unis ensuite, permet un effort parallèle de diffusion de la discipline chrétienne dans les profondeurs de la population. Au moins officiellement, les Églises ne se préoccupent pas de rationaliser la société, mais seulement de sauver les âmes de l'enfer. Si cet effort rencontre des résistances (dont l'essor de la sorcellerie aux XVIe et XVIIe siècles pourrait témoigner), on aurait tort d'y voir une nouvelle forme d'oppression populaire par les classes dirigeantes, comme l'y a vu, de manière tout à fait erronée, la gauche internationale à partir du XIXe siècle.

Un pôle de liberté politique


Bien au contraire, ce qu'accomplit alors l'Église (les Églises), c'est une vaste tentative de démocratisation de ce qui avait été jusque-là l'apanage des seuls grands de ce monde (à tout le moins de leurs femmes) : une vie familiale régulière, fondée sur un idéal élevé de fidélité et d'amour réciproque et exclusif de l'homme et de la femme, moyen d'assurer une éducation des enfants, passant notamment par une bonne instruction.

Élever le niveau moral de la population, ce n'est pas seulement répandre le moralisme dans sa sécheresse, c'est diffuser des vertus qui jusque-là n'étaient guère exigées du peuple: la stabilité, la sobriété, la sagesse et, pour les femmes, l'honneur.

Ce faisant, la réforme des mœurs répand aussi dans le peuple ce qui avait jusque-là le privilège des castes dirigeantes : appartenir à une maison (nouveau nom de la gens romaine), avoir une généalogie, transmettre un héritage, sinon de biens (mais en Europe, toute famille bien née tend à en avoir au moins un peu), du moins de bonne éducation, de respectabilité etc.; par-là, la majorité de la population se trouve avoir des racines: un lieu d'origine, un père et une mère identifiables, une culture (principalement chrétienne) transmise de père en fils. Si un homme cultivé est « un homme qui se situe », grâce à l'effort gigantesque de la Réforme tridentine et des réformes protestantes, une partie importante du peuple, désormais, se situe, et par là accède à un minimum de culture.

L'esclavage moderne, fondé sur la traite des Nègres, s'est sans doute traduit, à ses débuts, par une grande promiscuité, d'abord parce que les peuples déportés vivaient, au départ, sous le régime du premier type, ensuite parce que, tant le transport que la vie à la plantation ne se prêtait guère à la constitution de familles stables; le clergé a cependant entrepris très tôt de régulariser les mœurs de cette population et, ainsi, d'élever sa conscience de soi et de sa propre dignité.

Si le mouvement de réforme des mœurs est aussi ardent en pays catholique qu'en pays protestant, le monde orthodoxe, lui, y échappe en partie : la Sainte Russie est plus sensible à l'insondable miséricorde de Dieu pour les pécheurs qu'à l'obligation de ne pas pécher, d'autant que la croyance à l'apocatastase la tient à l'écart de la terrifiante mais stimulante « peur de l'Occident ».

Dans l'ensemble l'effort de normalisation des mœurs est resté, qui s'en étonnerait? inachevé. La société européenne d'Ancien régime ne comprend pas seulement la noblesse, le clergé, la bourgeoisie et une paysannerie libre (toutes catégories qui bénéficient désormais des progrès de l'instruction et de la formation morale qui en résulte): une moitié de la population vit encore dans des conditions très précaires: paysans sans terre, journaliers, colporteurs, mendiants. Ce sont là les plus touchés par les dernières grandes famines des XVIIe, XVIIIe et même (au moins en Irlande) XIXe siècles. Même si l'Église les a baptisés, souvent mariés, leur christianisation demeure sommaire. Autour des grandes fermes du Bassin parisien, tenues par des familles paysannes stables et parfois riches, soucieuses de respectabilité, gravite une population d'ouvriers saisonniers, dormant dans les granges ou en plein air. La promiscuité des sociétés primitives ou des esclaves de l'Antiquité se perpétue chez eux. Les naissances hors mariage, les abandons d'enfants, y sont importants. C'est cette population qui fournit les premières vagues de l'exode rural et vient constituer, dans les villes du XIXe siècle, la nouvelle classe ouvrière. Germinal n'est pas loin.

La démocratisation d'un modèle familial au départ élitiste avait eu son pendant dans le monde arabe (et aussi perse, turc, etc.) au travers de l'expansion de l'islam. Religion universelle, l'islam s'était évertué de répandre dans toutes les couches de la société le modèle de famille stable qui lui était propre: des hommes libres mais pauvres avaient les mêmes droits sur leurs femmes que les plus riches, les esclaves s'y trouvaient encadrés dans des ensembles patriarcaux où ils avaient leur rôle. Mais cette démocratisation s'était faite dans un modèle familial plus proche de la société traditionnelle, notamment par la polygamie. Si les mœurs des femmes (et même des hommes) s'en trouvaient mieux réglées, c'était au prix d'un recul, si on la compare à celle de l'Antiquité tardive et des débuts du christianisme, de la condition de la femme, tenue à une fidélité plus forcée que volontaire. Mahomet a d'une certaine manière rationalisé, systématisé et durci le cadre familial offert par les sociétés archaïques de type patriarcal. Ce durcissement a rendu très difficile l'évolution - même si la monogamie tend aujourd'hui à se répandre dans le monde musulman.


Loin d'être un regain d'oppression, l'extension du modèle familial chrétien à partir de la Renaissance a offert aux peuples d'Europe occidentale - et singulièrement à celui qui a profité du modèle le plus avancé, celui du Bassin parisien, véritable épicentre de l'Europe nouvelle, un cadre structurant qui a, en dépit de son origine chrétienne, été le creuset du citoyen moderne, tel qu'il s'est exprimé lors de la Révolution française.

Un homme ou une femme à qui des parents clairement identifiés ont transmis des valeurs et des traditions fortes, a de quoi préserver son autonomie intellectuelle face aux pouvoirs quels qu'ils soient, même ecclésiastique. C'est par la transmission familiale que les huguenots purent survivre, en France, à un siècle de persécution - et, en Angleterre, les catholiques à des persécutions non moins sévères. C'est parce qu'ils avaient déjà appris à devenir des hommes libres à partir de familles charpentées, que les descendants des Ligueurs devinrent des sans-culottes, pas de liberté sans point d'appui en dehors du pouvoir: comme la barre fixe est nécessaire à l'artiste qui veut effectuer les mouvements les plus variés, des axes de coordonnées forts sont nécessaires au citoyen qui veut (aire valoir son droit de « résistance à l'oppression » ou à tout le moins jouer son rôle avec esprit citrique.

Que, paradoxalement, l'impulsion donnée par le concile de Trente ait atteint son effet maximum, en tous les cas dans le peuple, en 1789, permet de comprendre comment, au rebours de toutes les idées reçues, la Révolution française est héritière de la réforme tridentine. En donnant une structure familiale forte au peuple ou à tout le moins à une partie significative de ce peuple: gros paysans, artisans, commerçants, la réforme tridentine faisait des citoyens.

De manière très étonnante, c'est au moment où s'épanouit la famille du troisième type, issue du christianisme dans sa version qui est sans doute la plus achevée, le type parisien, que ce dernier commence à être remis en cause.

La déconstruction

La Révolution française laïcise 1'état-civil sans changer son contenu. Elle institue provisoirement le divorce; abrogé en 1816, il est rétabli en 1884. Mais le modèle de famille qu'elle établit reste globalement stable jusqu'au troisième tiers du XXe siècle : il faut en effet attendre jusque-là pour qu'explosé la vague libérale libertaire que nous connaissons et qui se traduit par une remise en cause des structures familiales de l'Europe jamais vue auparavant. Le modèle familial, jugé traditionnel, en fait pas si traditionnel que cela comme on l'a vu, est vivement critiqué parce qu'il apparaît oppressif, spécialement pour la femme (on sait qu'il était beaucoup moins que les autres), lié au fascisme, ce qui est absurde, et qu'il serait un obstacle à la jouissance sans entraves qui est désormais instaurée en norme.

La conséquence est, à partir des années soixante, l'explosion du nombre de divorces, puis la multiplication des couples de fait, plus ou moins stables, corollaire du discrédit du mariage, religieux d'abord, puis civil, et la réduction générale du nombre d'enfants qui pose à la vieille Europe un grave problème de survie de sa population.

Les racines de cette remise en cause sont complexes. Elles sont liées au succès même de la famille du troisième type. Alors même que ce modèle s'épanouit dans le peuple comme jamais auparavant, la tradition chrétienne qui constituait sa base fait l'objet d'une critique radicale par la philosophie des Lumières. S'opère alors une sorte de renversement. Alors que la régularité des mœurs, la constitution de lignages stables avaient été le propre de l'aristocratie et que le peuple vivait au contraire dans une relative anomie, après deux siècles de réforme tridentine, la situation se trouve inversée. Le modèle aristocratique du lignage stable a, grâce à la discipline de l'Église, pénétré profondément une partie importante du peuple tandis que les classes dirigeantes commencent à le remettre en cause. Mise en cause très théorique pendant longtemps: le moralisme d'inspiration chrétienne, un moment ébranlé par les Lumières, revient au premier plan avec la Restauration et n'est jamais désavoué par la société bourgeoise, y compris dans son versant républicain et laïque, jusqu'à l'orée du XXIe siècle. Le Code Napoléon renforce même l'autorité de l'homme sur la femme. Les mœurs populaires gardent un socle tridentin solide et ce n'est pas avant deux siècles de travail de sape qu'elles commencent à être ébranlées.

Le point de départ des nouvelles tendances, qui s'en prennent d'abord plus à l'héritage chrétien qu'au modèle familial qu'il a porté, est naturellement Paris, la ville des révolutions, celle d'où partent les tendances nouvelles.

Face au Paris émancipé, la religion catholique a trouvé, pendant les deux siècles qui suivent la Révolution, de manière paradoxale, ses bases de repli dans les régions de famille autoritaire à forte structure, les mêmes qui avaient au XVIe siècle soutenu la Réforme contre un Paris catholique et ligueur. Le Pays basque, le Béarn, l'Aveyron, la Savoie, la Basse-Bretagne sont jusque vers 1970 terres de pratique religieuse et de vocations, plus que le reste de la France, beaucoup plus que les plaines du Bassin parisien. Exception : la Vendée, très catholique elle aussi, mais dont le particularisme vient plus d'une histoire tragique que de son modèle familial, le même que celui du Bassin parisien.

l'ourlant l'histoire avance, inexorable, avec le progrès de l'industrialisation cl de- l'urbanisation. File voit s'effacer les différences cuire les modèles familiaux en France et en Europe. La cohabitation des générations, rendue difficile par la vie urbaine, cesse; les principes d'égalité progressent; se répand le modèle nucléaire égalitaire de type parisien, mais qui perd, surtout à partir du troisième tiers du XXe siècle, sa stabilité en raison de l'effacement des freins religieux qui faisaient obstacle au divorce. Le divorce lui-même, tend à se démocratiser. Apanage des classes les plus aisées au XIXe siècle (du moins après qu'il eut été autorisé), il se répand dans les classe populaires à partir de 1960 au point d'y être aujourd'hui plus fréquent. Tout se passe comme si les élites, qui avaient, sous les auspices de l'Église tridentine, répandu dans le peuple le modèle de la famille structurée et stable, y avaient trois siècles après diffusé le venin de l'instabilité familiale, se réservant au contraire le privilège d'une stabilité relative.

Loin d'être la conséquence directe de la Révolution française, l'instabilité familiale n'apparaît vraiment qu'après la Seconde Guerre mondiale cl même à la fin du baby-boom, au moment de l'exode rural massif. Les modèles de l'instabilité issus des hautes classes se sont d'autant plus vite répandus que, grâce à l'essor des mass média, ils ont été amplifiés et mis en valeur par la presse dite « people » donnant le maximum d'audience, au point de les rendre normatives, aux aventures sentimentales des familles royales et des artistes de la scène. Ces derniers, cantonnés aux marges de la société au temps de Molière, qui était celui de la Contre-réforme, car on craignant que leur exemple ait un effet dissolvant, sont devenus aujourd'hui, pour ce qui est des modèles familiaux (ou de désagrégation familiale), la référence principale des masses populaires.

La revendication d'un mariage homosexuel qui aurait paru incongrue sous tous les régimes que nous avons passés en revue, est absente des folles années de la libération sexuelle, soixante et soixante-dix. Elle n' apparaît que dans les années quatre-vingt. Ce n'est pas un hasard : c'est à ce moment que sont remis en cause les idéaux sociaux de la gauche traditionnelle et que s'impose un peu partout, à la place, la philosophie libérale libertaire. Pour l'esprit du temps, les barrières douanières ou celles de la circulation des capitaux, reposant sur la distinction des nations, sont dans la même ligne de mire que la distinction des sexes.

Loin de former une association de circonstance, la philosophie libérale et la philosophie libertaire sont consubstantielles
. La liberté sexuelle délivre, sur le plan privé, le fort de l'obligation de fidélité et de protection à l'égard du faible; elle remet en cause la stabilité au bénéfice d'une société atomisée, composée de « particules élémentaires », selon l'expression de Michel Houellebecq, s'associant librement, de manière précaire, pour constituer des molécules instables. Les relations entre hommes et femmes, puis entre hommes et entre femmes, apparaissent comme un marché. De la loi du marché, on passe vite à la loi du plus fort, à la lutte pour la vie où les mieux armés et les moins scrupuleux sont gagnants, les faibles perdants. Comme, à ce jeu, les faibles sont souvent (pas toujours) les femmes, la condition féminine, exaltée en théorie, est loin d'y trouver son compte en pratique, comme en témoignent par exemple le nombre bien supérieur de femmes seules après cinquante ans ou l'essor des violences familiales libérées des interdits chrétiens.

Inspirés par une vision caricaturale de la famille du troisième type, chrétienne et bourgeoise, qui pourtant garantissait aux femmes le meilleur statut quelles aient jamais eu dans l'histoire, les mouvements féministes ont généralement associé leur cause à celle de la libération des mœurs. Comme toutes les démarches idéologiques, cette position aboutit à l'effet inverse du but recherché : au lieu d'une promotion de la femme, une sensible dégradation de sa condition : l'univers libéral libertaire transforme la société en terrain de chasse sexuel où, quoi qu'on prétende, la plupart d'entre elles constitue le gibier.

Mais nul n'ignore que ceux qui revendiquent l'instauration d'un mariage homosexuel ne le conçoivent que comme une première étape avant la subversion complète du mariage. Ultérieurement, c'est l'obligation de fidélité et celle de résidence partagée qui doivent, selon eux, être abrogés. En travestissant le mariage de toujours au travers d'une institution, le prétendu mariage homosexuel, sans aucun précédent dans l'histoire - et qui, n'importe comment, ne concerne qu'un nombre très limité de personnes, c'est son abolition que l'on vise. Une abolition qui est d'ailleurs déjà effective pour une portion importante de la population qui n'éprouve pas le besoin d'un rituel ou d'un engagement pour cohabiter.

Les institutions peuvent favoriser ce modèle de société : ainsi la générosité de certains États pour les mères de familles isolées tend à forcer l'instabilité des ménages, économiquement plus avantageuse. Les mères ont ainsi le plus souvent la charge exclusive de l'éducation des enfants. C'est le cas par exemple dans la communauté noire aux États-Unis, ou dans les milieux sociaux les plus défavorisés en France.

Pour autant, ce qu'il est convenu d'appeler la révolution sexuelle représente-t-il l'irruption d'un nouveau modèle de famille ? Pas vraiment.

À certains égards, on pourrait y voir le retour au modèle de premier type, celui qui prévalait dans les sociétés agraires protohistoriques méditerranéennes, dans le milieu des esclaves antiques et modernes, et prévaut encore dans les parties les plus pauvres de la population et une partie de l'Afrique sub-saharienne : une institution du mariage (ou de l'accouplement) peu rigoureuse, ouverte à l'infidélité, instable, sans que ces comportements entraînent des sanctions sociales lourdes, une identification par la mère et donc un caractère matriarcal, la déresponsabilisation des pères et le développement de l'agressivité des jeunes mâles.

Même si le contexte économique et social dans lequel s'effectue ce retour à la famille du premier type est évidemment très différent dans l'Europe urbaine du début du XXIe siècle après Jésus-Christ de ce qu'il était dans les sociétés agraires du Xe siècle avant J.-C., les analogies ne sont pas négligeables.

Mais il ne faut pas pousser trop loin le parallèle. Une instabilité croissante des couples est une chose, la promiscuité généralisée en est une autre. Même si les divorces ou les séparations sont plus fréquents, le mariage formel plus rare, l'héritage de la famille stable du troisième type est loin d'être épuisé. En témoigne par exemple le fait que la propagation du Sida par la voie hétérosexuelle est aujourd'hui beaucoup plus faible en Europe et en Amérique du Nord qu'en Afrique subsaharienne. Cette faible conductivité de nos sociétés aux maladies sexuellement transmissibles montre que l'empreinte du mariage chrétien est toujours là.

*

La Modernité n'ébranle d'ailleurs pas seulement ce dernier. L'immigration arabo-musulmane a amené en Europe la famille du deuxième type, patriarcale. Ce modèle s'y trouve en apparence renforcé du fait notamment que le mode de distribution des prestations familiales facilite le retour à la polygamie, devenue économiquement difficile dans les pays d'origine. Mais l'instabilité frappe tout autant le modèle patriarcal où les familles sans père se multiplient avec des effets encore plus délétères que dans les familles monogames. La tentation islamiste, qui vise le retour au modèle patriarcal pur et dur, exprime la crainte de beaucoup d'immigrés, m arqués par l'effacement du père, de sombrer dans une promiscuité du premier type et leur incompréhension du modèle chrétien, lui-même en

Si la révolution sexuelle qui a marqué le troisième tiers du XXe siècle a eu des effets profondément déstabilisants, elle n'a pas complètement remis en cause les modèles de base. Au moins pour le moment. Il reste que le retour à une forme de lien familial que l'on croit moderne, mais qui est en réalité archaïque, confirme que, loin d'être illimités, les modèles familiaux entre lesquels peut évoluer l'espèce humaine sont en nombre restreint et que le prétendu progrès ne porte au mieux que la possibilité d'un changement de case dans une sorte de tableau de Mendeléieff des modèles familiaux


Roland Hureaux


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"Une éxigence sémantique: rétablir les sens des mots"

                      par Geoffroy de Vries

Résumé

La modification du sens d'un mot peut avoir pour effet de modifier la substance d'une loi ou d'une convention internationale, ce qui est une source d'insécurité juridique. En redéfinissant le mariage en son article V, la loi du 17 mai 2013 en a imposé une définition erronée non seulement à la communauté nationale, malgré les usages et les textes, mais aussi à la communauté internationale et, plus exactement, aux États ayant conclu avec la France une convention portant, directement ou indirectement, sur le mariage ou ses effets et ce, malgré es règles de droit international. Il importe d'en revenir à une qualification stricte du concept de •mariage, universellement entendu, et de rétablir la vérité des mots et des concepts, aux niveaux juridique et philosophique.

l'occasion des débats ayant secoué l'opinion autour du mariage entre personnes de même sexe, on a pu noter un grand nombre de confusions sémantiques volontairement entretenues.


La valorisation médiatique du « mariage pour tous » a consisté à présenter celui-ci comme une évidence au regard des valeurs fondatrices de la République, la liberté et l'égalité. On a ainsi pu entendre responsables politiques, journalistes et activistes revendiquer le mariage et l'adoption pour les « couples » de personnes de même sexe comme un progrès de la liberté individuelle ainsi qu'une avancée dans la reconnaissance légitime des droits d'une minorité sexuelle. Dans le même temps, des sociologues, historiens, juristes et même psychanalystes ont insisté sur la forme historique et relative de l'organisation familiale et sociale, et sur la nécessité pour chaque société d'évoluer pour atteindre la forme d'organisation qui correspond le mieux aux aspirations de ses membres. Tous ces discours convergent dans le sens de la sacralisation du désir individuel et de la nécessité d'entériner au niveau législatif les évolutions de la société, qu'elles soient réelles ou souhaitées par leurs thuriféraires.

L'importance du sens donné aux mots

Face à la confusion savamment entretenue par ceux qui ont intérêt à ne pas débattre sur les sujets de fond, il est nécessaire d'aborder les questions avec une rigueur accrue. Il importe d'être bien conscient des enjeux inhérents à l'utilisation politique de la sémantique.

« Car le mot, qu'on le sache, est un être vivant. La main du songeur vibre et tremble en l'écrivant », affirmait Victor Hugo dans Les Contemplations. Pour le poète Frédéric Mistral, un peuple qui tient sa langue tient la clef qui le délivrera de ses chaînes. Avant lui, Confucius avait prévenu que lorsque les mots perdent leur sens, les hommes perdent leur liberté.

Le mot n'est pas neutre et contient en lui nombre de significations et de connotations. Et celles-ci sont l'objet d'appropriations idéologiques plus ou moins conscientes. Il est

essentiel, en toutes circonstances, de choisir le mot approprié, et de s'assurer qu'il sera bien compris par son destinataire. Malgré l'inévitable arbitraire de ses mots, le langage est une convention indispensable, et nul ne saurait se départir de sa rigueur et de sa précision, a fortiori dans le domaine juridique.

Cette exigence est sans cesse rappelée par les instances officielles. Le Guide de légistique publié par Légifrance' a vocation à présenter les « règles, principes et méthodes qui doivent être observés dans la préparation des textes normatifs » ; dans sa partie dédiée au choix des termes et des locutions juridiques, ce guide précise que « les termes utilisés doivent être appropriés et exacts techniquement et juridiquement ».

Aux termes de l'article 2 de la Constitution, la langue de la République est le français. En outre, d'après ses statuts (ayant valeur de lois et règlements), l'Académie française est assimilée aux cours supérieures, comme instance suprême en matière de langue. Dans leur déclaration du 21 mars 2002 de l'Académie française sur la « Féminisation des noms de métiers, fonctions, grades et titres », les Immortels établissent clairement que le Gouvernement n'a nul droit « de modifier de sa seule autorité le vocabulaire et la grammaire du français ». La langue ne se décrète pas, et elle ne saurait faire l'objet des velléités réformatrices du pouvoir. L'omnipotence du législateur a toujours été limitée par certaines règles fondamentales. Au siècle dernier, l'on disait ainsi du Parlement britannique qu'il pouvait « tour faire sauf changer un homme en femme » (Jean-Louis de Lolme).

Nous devons hélas constater que la signification des mots varie au gré des définitions que certains veulent leur donner pour mieux imposer leurs idées voire leur idéologie, et tel est le cas de mots comme vie, mort, famille, genre et bien sûr mariage. On assiste ainsi à une déconstruction du langage qui dénature à jamais le sens des mots. Et cette déconstruction du langage entraîne, en particulier, une déconstruction du droit, tel que le droit à la vie, le droit à la mort, le droit de la famille et le droit au mariage.

Une dénaturation du sens du mot « mariage » par le législateur

Dans la dernière édition de son dictionnaire, l'Académie française définit le mariage comme l'« union légitime d'un homme et d'une femme, formée par l'échange des consentements que recueille publiquement le représentant de l'autorité civile ». En redéfinissant le mariage en son article 1er, la loi du 17 mai 2013 en a imposé à la communauté nationale une définition erronée, au mépris des usages et des textes.

La signification même du mariage, ainsi que le sens qu'il a acquis dans la conscience collective, se trouvent ainsi dénaturés par une simple procédure législative, ce qui n'a pas échappé à des parlementaires, et non des moindres, qui ont saisi l'Académie française2. Lors de la séance du 8 avril 2013 au Sénat, Jean-Pierre Raffarin le faisait justement remarquer aux partisans du « mariage homosexuel » : « Vous transformez d'abord les mots sur le plan sémantique. Plusieurs d'entre nous ont d'ailleurs saisi l'Académie française puisqu'elle est le garant du bon usage des mots. L'article 2 de notre Constitution précise en outre que le français est la langue de la République. Or, dans notre langue, aujourd'hui, selon l'Académie française, le mariage est l'union légitime d'un homme et d'une femme. »

L'utilisation du terme de « mariage » est bel et bien inappropriée pour l'union entre deux personnes du même sexe, car il a toujours signifié, de tout temps et en tout lieu, l'acte (juridique, public, civil et/ou religieux) ou l'union par lequel un homme et une femme se placent dans une situation juridique durable afin d'organiser leur vie commune et, éventuellement, de préparer la création d'une famille avec la venue d'enfants. Le mot français matrimonial garde d'ailleurs la trace du mariage latin, le matrimonium, qui a pour but de rendre une femme mère (mater). Cette utilisation constitue alors un « abus de mot » tel que dénoncé par John Locke3, voire même un « vol » des mots et des symboles pour les attribuer à deux personnes qui sont en dehors de la logique conjugale. Car la « conjugalité homosexuelle » au sens strict n'existe pas.

D'un point de vue linguistique, il ne semble pas non plus adapté de parler de « couple homosexuel » car la notion de couple ne s'applique qu'à un homme et une femme, qui seuls peuvent ensemble « copuler », ou d'« homoparentalité » qui est un néologisme et qui laisse entendre que l'on pourrait être parent à partir d'un seul sexe, ou encore de « famille homoparentale » qui n'existe pas car l'enfant n'a qu'un père et qu'une mère.

Sur un autre registre, les militants du « mariage homosexuel » viennent à parler de « parentalité » plutôt que de « parenté », privilégiant ainsi l'idée de filiation sociale (un enfant est élevé par une ou plusieurs personnes qui toutes doivent avoir des « droits » à son égard et être ainsi considérées comme « parent ») au détriment de la filiation biologique (un enfant est né de ses deux parents, homme et femme, qui lui donnent une lignée, ce qui assure une succession des générations lisible dans l'histoire). En outre, le terme même de « mariage pour tous », bien utile pour les revendications militantes et les promesses politiciennes, procède par son simplisme à une manipulation des consciences. Cette appellation laisse entendre que certaines personnes étaient exclues du mariage jusqu'à la loi du 17 mai 2013, et que celle-ci était venue mettre fin à cette profonde injustice. Or, il va de soi que cette soi-disant « ouverture » du mariage pose toujours certaines conditions à la liberté de contracter mariage. Qui osera prétendre que, en dépit de son « ouverture » aux « couples homosexuels », le mariage est réellement ouvert à « tous » ? Qu'en est-il de l'interdit fondamental, du « tabou » de l'inceste ? Qu'en est-il de l'âge minimum requis par la loi ? Qu'en est-il de l'impossibilité d'épouser une personne déjà mariée ? Derrière un slogan ouvert et généreux, on assiste encore à une manipulation des esprits, à une tromperie langagière qui ne dupe personne. Pourtant, cette expression semble désormais inscrite dans le langage courant, et l'on doit reconnaître aux communicants de la majorité parlementaire et des lobbies qui l'entourent un habile tour de passe-passe qui aura su montrer son efficacité pragmatique.

Cette expression prend naissance dans le cadre de la campagne présidentielle de François Hollande, dès lors que celui-ci eût affirmé son projet d'ouvrir « le droit du mariage pour tous les couples ». Il est ensuite constamment utilisé par le Gouvernement, avant de se déployer dans les médias et dans le débat public.

George Orwell décrit cette utilisation par le langage politique d'« expressions toutes faites » imprégnant l'esprit du public : « elles construiront des phrases pour vous - elles penseront même à votre place, dans une certaine mesure - et au besoin elles vous rendront un grand service en dissimulant partiellement, y compris à vous-même, ce que vous voulez dire. C'est ici qu'apparaît clairement le lien qui existe entre la politique et l'avilissement de la langue. »

Plus généralement, on peut aussi constater l'évolution linguistique ayant eu cours au sein de la communauté homosexuelle. Alors que celle-ci réclamait constamment (dans le cadre notamment des débats portant sur le Pacte civil de solidarité) un « droit à la différence », elle se range désormais derrière des concepts nettement plus rassurants, tels que le mariage ou la famille, plus aptes à convaincre une opinion publique par trop réticente. Cette entreprise de normalisation n'est pas anodine. Elle s'inscrit dans un agenda politique consciencieusement préparé afin de façonner les mentalités et de permettre ainsi une meilleure réception du projet de loi, phase ultime d'une séquence entamée depuis longtemps.

Une dénaturation imposée à la communauté internationale

En outre, la loi du 17 mai 2013 a également pour effet d'imposer une telle définition erronée du mariage à la communauté internationale et, plus exactement, aux États ayant conclu avec la France une convention portant, directement ou indirectement, sur le mariage ou ses effets et ce, au mépris des règles de droit international.

La redéfinition du terme « mariage » impacte de nombreux accords internationaux (plusieurs dizaines) conclus et ratifiés par la France qui traitent du mariage, en utilisent le terme ou se réfèrent à ses effets, notamment les enfants, sans compter les nombreux instruments internationaux de la Commission internationale de l'état civil (CIEC). Il s'agit tout d'abord d'accords bilatéraux unissant la France à des États tiers qui renferment des stipulations relatives aux régimes matrimoniaux, à la filiation, à l'adoption, au mariage ou à l'acquisition de la nationalité par mariage, et dont les effets peuvent être, selon l'objet de chaque accord concerné, de nature fiscale, civile, sociale ou autre. C'est le cas notamment d'accords conclus avec la Pologne, le Maroc, le Viêt Nam ou l'Algérie. Il s'agit ensuite d'accords multilatéraux, tels que la Convention (signée sous l'égide de l'ONU) sur le consentement au mariage, l'âge minimum du mariage et l'enregistrement des mariages (1962), de multiples conventions conclues dans le cadre de la Conférence de La Haye de droit international privé (HCCH) et portant, par exemple, sur les obligations alimentaires envers les enfants, la loi applicable aux régimes matrimoniaux, ou encore de conventions conclues dans le cadre du Conseil de l'Europe. Il s'agit enfin des instruments de la CIEC, essentiels à l'échange international entre les officiers d'état civil, dont la compréhension mutuelle commande de s'entendre dans chaque langue d'état civil sur les expressions « mariage », « époux ou mari », « épouse ou femme », « conjoint ». On se bornera à mentionner la convention n° 26 concernant l'échange international d'informations en matière d'état civil, signée à Neuchâtel le 12 septembre 1997, qui traduit en dix langues d'États signataires les équivalences des énonciations d'acte de mariage. Or, parmi les règles de droit international applicables à la France5 figurent la règle Pacta suntservanda qui implique que tout traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté par elles de bonne foi, la règle d'interprétation des traités de bonne foi selon leur sens originel en fonction du contexte existant au moment de leur négociation (en vertu de l'article 31 de la Convention de Vienne de 19696), ainsi que des coutumes de droit international relatives aux droits des personnes. 

Il appartient ainsi aux divers organes de l'État - et notamment au Parlement - de veiller dans le cadre de leurs compétences respectives à l'application des conventions internationales dès lors que celles-ci restent en vigueur et ont une valeur supérieure aux lois, en vertu de l'article 55 de la Constitution.

En l'espèce, la définition du « mariage » résultant de la loi du 17 mai 2013 viole la règle Pacta suntservanda qui a valeur supérieure aux lois. Comme l'étude d'impact du projet de loi en a fait implicitement l'aveu pour un nombre partiellement énuméré d'accords et ainsi que l'a manifesté l'affaire dite du « mariage franco-marocain » (malgré la décision « militante » et fort critiquable de la Cour de cassation), l'autorisation du « mariage » en France entre personnes de même sexe dont l'un au moins sera ressortissant d'un État ne reconnaissant pas la validité d'une union entre « personnes de même sexe », n'est pas compatible avec les engagements de la France.

Car tous ces accords internationaux, bilatéraux ou multilatéraux, conclus par la France l'ont été à un moment où les États signataires, y compris la France, concevaient le mariage comme l'« union d'un homme et d'une femme » (et nul n'imaginait le concevoir autrement).

Par ailleurs, s'agissant de la Convention internationale des droits de l'enfant du 20 novembre 1989, son article 7-1, directement applicable en droit français, stipule que « L'enfant est enregistré aussitôt sa naissance et a dès celle-ci le droit à un nom, le droit d'acquérir une nationalité et, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d'être élevé par eux ». Le terme « parents » visé par cet article ne peut être interprété « suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes » (selon les règles coutumières d'interprétation des traités internationaux et en vertu de la Convention de Vienne de 1969), que comme renvoyant au père et à la mère de l'enfant, c'est-à-dire à ses parents qui lui ont donné la vie, dit parents biologiques. Or, l'adoption plénière de l'enfant par le « conjoint » de même sexe de son parent biologique aura pour effet de rompre le lien de filiation biologique de l'enfant avec son père ou sa mère, selon le cas, par l'effet de transcription de la décision d'adoption...

La loi du 17 mai 2013, en redéfinissant le terme de « mariage », en impose le nouveau sens aux États signataires, quelle que soit la position de ces États sur le « mariage homosexuel ». S'il est certain que le mariage et, plus exactement, ses dimensions (formation, effets, dissolution) peuvent être différemment considérés selon les États, les cultures et les religions, il a toujours été compris comme étant l'union d'un homme et d'une femme, et l'émergence du mariage entre personnes de même sexe fait naître une fracture considérable dans la perception de l'institution et menace gravement l'interprétation qui sera faite de nos conventions internationales et nos relations avec les États concernés.

Cette redéfinition du terme de « mariage » par la loi du 17 mai 2013 est ainsi de nature à engendrer de multiples contentieux internationaux et, plus globalement, une insécurité juridique très préoccupante pour les justiciables.

En brisant un consensus culturel et éthique portant sur le sens du « mariage », les professionnels de la sémantique et de la politique ont mené une opération de ré-signification qui s'apparente à un véritable cheval de Troie. Comme le souligne le Pr Michel Schooyans7, « l'avantage de la manipulation sémantique est évident : le piège tendu est imparable. La société entière va être investie, et un nouveau langage va lui être transfusé. Cette manipulation du langage est l'instrument indolore d'un retournement psychologique quasiment imperceptible. Elle est aussi le passage obligé vers une reprogrammation, au terme de laquelle les gens continueront de penser et de vouloir, mais d'une pensée et d'un vouloir étrangers à eux-mêmes. »

Sur le plan juridique, il importe d'en revenir à une qualification stricte du concept de mariage, universellement entendu, de rétablir la vérité des mots et des concepts, aux niveaux juridique et philosophique, et de dépasser par la clarté et la rigueur la mauvaise foi de certains partisans de la loi. Si le mariage doit rester mariage, il est en revanche loisible au législateur de créer des figures ou catégories juridiques nouvelles pour exprimer des concepts nouveaux. Ce qu'il a pu faire dans le passé, par exemple en créant en 1919 la « convention collective », terme imaginé pour signifier un contrat collectif entre les organisations représentant les employeurs et les organisations représentant les salariés et qui n'est rien d'autre qu'un contrat.

Et sans doute faut-il commencer par rappeler cette vérité première : le mariage est le lieu de la rencontre de l'homme et de la femme ; il est basé sur la vérité anthropologique que l'homme et la femme sont différents et complémentaires, la vérité biologique que la reproduction humaine nécessite l'union d'un homme et d'une femme et la réalité sociale selon laquelle un enfant mérite une mère et un père. Si d'autres formes d'unions peuvent exister, elles n'ont pas vocation à s'appeler mariage et encore moins à fonder un quelconque droit à l'enfant.

Geoffroy de Vries

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"L'urgente éxigence d'une reconnaissance du principe

 de subsidiarité en droit communautaire matrimonial"
                        par André Bonnet (pseudonyme)



Résumé

C'est dans la plus grande discrétion, et sans aucun respect des procédures démocratiques, qu'a été adoptée la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, désormais partie intégrante destraitésetdontlavaleurestsupraconstitutionnelle.Orcetexteposed'embléeladissociationentre mariage et altérité des sexes, en faisant du respect de « l'orien ta t ion sexuelle » un critère déterminant de la politique des États en matière matrimoniale. Rapprochée de diverses dispositions des deux traités actuels issus de celui de Lisbonne, cette nouvelle approche juridique enferme en réalité d'ores et déjà l'Europe dans une logique d'adoption à terme du « mariage homosexuel » par l'ensemble de ceux des États membres liés par la Charte (dont la France), sous couvert de « valeurs universelles » totalement déconnectées du droit naturel et marquées par un relativisme absolu. Revenir sur la loi du 17mai2013 imposera donc une renégociation de cette Charte parfaitement illégitime, ainsi que l'affirmation, pour le moins, d'un véritable principe de subsidiarité en la matière, au profit des États.



Le présent article entend montrer - autant que faire se peut en quelques pages - que l'idée même d'un statu quo sur la du loi 17 mai 2013 est du domaine du rêve ou du déni de réalité. Un tel statu quo (on laisse les choses en l'état, avec les restrictions en matière d'adoption et de filiation que comporte officiellement la loi) est en effet inconciliable avec le contenu du Traité de Lisbonne, l'entrée en vigueur de ce texte ayant rendu quasi illusoire à la fois tout retour en arrière - tout du moins au plan européen car, on l'a vu par ailleurs, rien ne s'oppose véritablement en droit interne à l'abrogation de la loi du 17 mai 2013 - et toute idée de compromis temporaire sur des positions intermédiaires.

Le comble est que cette situation est largement imputable à l'adoption, en même temps que du Traité lui-même, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne qui verrouille désormais le système. Pourquoi un « comble » ? Parce que, comme il va être démontré, l'adoption de cette Charte s'est faite dans des conditions qu'on ne parviendrait pas même à imaginer si le processus n'en avait pas été décrit par l'un de ses principaux protagonistes. Et parce que sa légitimité est dès lors nulle, quelles que puissent être les écrans de fumée dont sa création a pu être entourée...

On commencera donc par la description de ce processus - que le lecteur se prépare à se frotter les yeux d'incrédulité - avant d'examiner en quoi leTraité lui-même, par ailleurs, compte tenu de l'adoption de la Charte, enferme désormais l'Europe dans une logique d'indifférentisme sexuel, au centre de laquelle se trouve bel et bien le mariage des personnes de même sexe.


Une Charte adoptée de manière adémocratique

Dans l'ensemble des démonstrations qui vont suivre, nous ne ferons appel qu'à deux textes. Le premier de ces textes est celui du Traité et de la Charte eux-mêmes, dont les lecteurs retrouveront toute la substance, le plus souvent au mot près, dans le fascicule bleu électoral qui leur avait été diffusé en 2005 et qui contenait le projet de la Constitution européenne. Le fascicule sera désigné ci-après par la mention « PC » (Projet de Constitution). Il convient aussi de noter que la numérotation des articles est parfois légèrement décalée par rapport à celle du traité final. Nous renverrons le plus souvent à ce fascicule, pour des raisons de commodité, en indiquant simplement en même temps l'endroit du nouveau Traité où se retrouvent recyclées les dispositions en cause. On évitera ainsi la principale difficulté, tenant au caractère éclaté du Traité modificatif, qui se présente comme une immense suite de modifications ponctuelles apportées aux deux traités préexistants, et qu'il est par suite absolument impossible de lire indépendamment de ces deux traités.

Le second de ces textes, en ce qui concerne plus particulièrement la Charte des droits fondamentaux, est un ouvrage paru en 2001, dans la collection « Points-Essais » des Éditions du Seuil, intitulé La Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, sous la signature de M. Guy Braibant (ci-après « La Charte des droits », avec le n° de page citée).

Ce dernier, ancien président de section au Conseil d'État, co-auteur d'un manuel de jurisprudence administrative sur lequel travaillent encore tous les étudiants en droit, était en effet le négociateur de la France pour l'adoption de cette Charte, et il a livré des indications du plus grand intérêt sur la manière dont ce texte a été adopté. L'avantage de ce livre est qu'il est incontestable dans son contenu quant à la manière dont les choses se sont véritablement passées. Il livre également des éléments essentiels quant à l'esprit dans lequel s'est faite cette adoption.

Rappelons ici que la Charte était déjà la partie II du projet de Constitution, dans lequel elle avait ainsi été intégrée, et dont elle est encore aujourd'hui constamment présentée comme l'apport essentiel sur le plan des droits. Le mandat de la conférence intergouvernementale (CIG) de 2007 était d'ailleurs clair, quant à l'intégration de ce texte dans le nouveau Traité : « L'article sur les droits fondamentaux (du titre I de l'actuel traité (JE) contiendra une mention de la Charte des droits fondamentaux, telle qu'agréée par la CIG de 2004, à laquelle il conférera une valeur juridiquement contraignante et dont il définira le champ d'application » (on sait que la Grande Bretagne et la Pologne ont obtenu que ce texte ne s'applique pas à elles, d'où cette dernière mention). Le mandat comportait une annexe encore plus explicite : « L'Union reconnaît les droits et libertés et les principes énoncés dans la Charte des droits fondamentaux - telle qu'adaptée pour figurer au projet de constitution de 2004 - laquelle a la même valeur juridique que les traités».

Ces directives précises ont été suivies à la lettre - il faut préciser d'emblée que c'est toujours le cas dans le nouveau texte : le § 8 de l'article 1er du nouveau Traité modifie ainsi l'article 6 du Traité préexistant sur l'Union européenne, en posant que « l'Union reconnaît les droits, les libertés et les principes énoncés dans la Charte des droits fondamentaux du 7 décembre 2000 (...), laquelle a la même valeur juridique que les traités » (article 6.1 du Traité sur l'Union européenne-TUE).

C'est donc bien clair : la Charte, pour être moins visible, et ne pas effaroucher les citoyens

européens, a été retirée du texte même des traités. Mais elle a la même valeur contraignante qu'eux, ce qui revient rigoureusement au même ! Or, le contenu de cette charte, comme on va le voir, est loin d'aller de soi et constitue même un grave danger pour l'Europe !

La Charte : une convergence totale, à l'époque, entre MM. Chirac et Jospin

Un véritable jeu démocratique suppose généralement un débat contradictoire. Compte tenu de la cohabitation en vigueur lors des travaux d'élaboration de la Charte des droits fondamentaux (1999-2000), les Français étaient donc en droit d'attendre, en matière de détermination des droits fondamentaux, un débat nourri à la tête de l'État. D'autant que les rédacteurs de ce document l'indiquent eux-mêmes : des droits nouveaux ont été retenus, par rapport à ceux initialement envisagés.

Or, tout au long des travaux, c'est un accord total qui s'est exprimé entre MM. Chirac et Jospin, respectivement alors président de la République et Premier ministre. « Ma situation personnelle, écrit ainsi M. Braibant, aurait pu être particulièrement délicate, car je représentais, en période de cohabitation, non pas une autorité mais deux : le président de la République et le Premier ministre; heureusement, ils étaient entièrement d'accord sur toutes les questions relatives à la Charte et m'ont constamment et fermement soutenu » (« La Charte des droits », p. 20).

Un tel accord total était loin d'aller de soi, pourtant : car la Charte des droits portait sur des points délicats, comme en ont attesté, entre autres contestations, celles de personnalités de gauche opposées au Traité constitutionnel, qui ne sont pas parvenues à comprendre comment M. Jospin, de formation trotskyste, et ancien Premier secrétaire du parti socialiste, avait pu admettre la substitution d'un « droit de travailler » à un « droit au travail », lequel faisait tout de même référence au devoir de la société de faire son possible pour proposer un travail à ses citoyens (PC 11-75-1, Charte article 15)1. Et de même pour le droit des employeurs de fermer leur entreprise à leurs ouvriers (lock-out en anglais), introduit pour la première fois dans un texte constitutionnel (PC 11-88, Charte article 28), au grand dam des tenants de la lutte des classes.

De même, on peine à comprendre, au moins dans une certaine mesure, comment M. Chirac a pu admettre d'abandonner, sans discuter, une bonne partie de la liberté d'enseignement telle que conçue en France, en autorisant la restriction de la liberté de création de nouveaux établissements confessionnels, ou comment il a pu accepter de dissocier désormais radicalement la notion de famille à la fois de celle de mariage et de celle d'une union entre personnes de sexe différent (PC 11-69, Charte article 9).

Sur le fait religieux, cette convergence a été encore plus spectaculaire : dès que la proposition d'une référence à « l'héritage religieux » (chrétien) a été faite, la France s'y est en effet immédiatement opposée d'une manière brutale : « Dès que le texte de l'amendement a été lu au praesidium, écrit Guy Braibant, j'ai réagi en indiquant que la France ne pourrait l'accepter (sic), comme contraire au caractère laïque de la Constitution » (« La Charte des droits », p. 73) - alors même d'ailleurs que la France révise constamment sa Constitution pour permettre la ratification de traités européens en totale contradiction avec elle ! Réaction imputable à M. Jospin ? Certes pas, car Guy Braibant poursuit : « Ceffe attribution de paternité de l'opposition au Premier ministre était inexacte puisque les deux autorités qui conduisaient la politique européenne de la France étaient, sur ce point, comme, au demeurant, sur tous les autres, entièrement d'accord entre elles, qu'elles l'ont fait savoir dans les mêmes termes, et qu'elles sont intervenues avec la même énergie » (« La Charte des droits », p. 80).

On peut certes se réjouir d'une unanimité sur des questions fondamentales. Mais que la position du président de la République, en 2000, ait été en tous points celle de son Premier ministre d'alors, qu'il s'agisse de liberté d'enseignement, de reconnaissance du fait religieux, du droit de la famille, du droit du travail, de la bioéthique, c'est pour le moins surprenant ! Et si tel était le cas, ces notions étant sujettes à de larges débats en France, la moindre des choses n'eût-elle pas été que la contradiction fût organisée au sein même des institutions françaises représentées à Bruxelles ou à Strasbourg ? La conclusion tombe en fait d'elle-même : les Français ont été privés de tout débat véritablement contradictoire lors de l'adoption des « droits » censés s'imposer à eux de manière définitive.

Des travaux manipulés

La façon dont a été préparée la Charte des droits est également plus que contestable.

Initialement, il s'agissait de convoquer une simple « enceinte », destinée à collecter et organiser les droits déjà reconnus en Europe (Conseil européen de Cologne, 3 et 4 juin 1999). Très vite, « l'enceinte » est devenue « Convention », et s'est donné une mission plus large, au prix d'un « coup d'État » dont se félicite Guy Braibant : « Bien que juristes en majorité, et attachés de ce fait à la hiérarchie des normes, et démocrates, donc respectueux de l'autorité légitime, nous avons passé outre et procédé ainsi, dès la première séance, à un petit coup d'État, qui a augmenté notre prestige sans diminuer notre légitimité » (« La Charte des droits », p. 20). On pense à la phrase d'Alexandre Adler, indiquant à propos de la guerre illégale du Kosovo, en 1999, qu'il fallait parfois violer le droit pour le faire évoluer...

Plus grave, la manière dont se sont déroulés les travaux : très vite en effet, un « praesidium » (sans jeu de mots sur un précédent soviétique) est en effet constitué, composé de cinq personnes seulement, avec leurs collaborateurs : le président, M. Herzog - souvent malade et absent - trois vice-présidents, dont Guy Braibant, et le président de la Commission européenne. Ces quelques privilégiés organisent et préparent les travaux de la « Convention », avec rapidement une inégalité frappante entre eux et les autres membres de la convention : « Les membres du praesidium, indique Guy Braibant, avaient l'initiative des travaux et la maîtrise du calendrier; en outre, ils étaient informés avant les autres membres de la Convention qui, en raison de la rigueur des délais, ne pouvaient parfois prendre connaissance des projets qu'en arrivant en séance (sic) » (« La Charte des droits », p. 25). Pire encore, les débats du praesidium n'étaient pas traduits dans toutes les langues : seulement en allemand, anglais et français : les membres de la Convention qui ne maîtrisaient pas l'une ou l'autre de ces langues devaient donc se contenter des résumés qu'on leur faisait ! (p. 28). On imagine dans ces conditions la liberté factice dont bénéficiaient ces membres, toujours en retard d'un texte, d'un amendement, d'une traduction, d'une proposition. On est ici aux antipodes d'une démarche véritablement démocratique.

Dira-t-on que la société civile, quant à elle, a été largement consultée ? On se bornera sur ce point à citer à nouveau M. Braibant : « Toutes les organisations de niveau européen qui le souhaitaient ont été entendues, en une journée qui leur a été spécialement consacrée au mois

de mars ; malheureusement, elles étaient si nombreuses - soixante-dix environ - que chacune d'entre elles n'a pu disposer que de peu de temps ; mais cette brièveté doit être relativisée pour deux raisons : d'une part, avec une certaine expérience, on peut faire passer un message fort en quelques minutes ; d'autre part, les organisations entendues ont pu s'exprimer à travers d'autres canaux, notamment des contributions écrites, des motions, des communiqués. Plus grave est le fait que la présence des membres de la Convention à cette réunion a été particulièrement faible; il n'y en avait qu'une dizaine sur soixante» (« La Charte des droits», p. 30). Ainsi, sur un sujet comme celui de la Charte des droits fondamentaux, les organisations de niveau européen auront disposé, en tout et pour tout, de quatre minutes pour exposer oralement leur point de vue et rencontrer les membres de la Convention...

Et ce n'est pas tout : car le vote était exclu sur les sujets débattus comme sur les textes à adopter ! « II a été décidé dès le début, écrit encore Guy Braibant, sur proposition du président Herzog, de ne pas voter (...). L'inconvénient de ne pas voter tenait évidemment à la difficulté de dégager le sens du consensus ou l'opinion de la majorité. C'est le praesidium qui en était chargé. Mais il était parfois divisé lui-même sur l'interprétation des conclusions et débats. C'est ainsi que, vers le mois de mars, un certain nombre de droits sociaux ont été considérés comme écartés, alors que, personnellement, je les avais crus adoptés, peut-être en prenant mes désirs pour des réalités » (« La Charte des droits », p. 27).

On croit véritablement rêver : de telles méthodes de travail permettent évidemment toutes les erreurs et manipulations, d'autant qu'on connaît la force de groupes de pression de toutes sortes à Bruxelles, et que ces groupes de pression n'étaient évidemment pas inactifs.

On dira peut-être que, au moment de l'adoption finale, tous les contrôles ont été enfin rendus possibles, les chefs de gouvernement pouvant toujours opposer leur veto à une adoption en l'état. Mais là encore, il faut déchanter : « La dernière séance de débats a eu lieu le 26 septembre, explique encore M. Braibant, d'une manière particulièrement claire. Il avait été entendu que ce serait, en quelque sorte, une réunion « d'explication de vote sans vote » : il n'était pas question de déroger in extremis à la règle de l'absence de vote qui, surtout à ce moment crucial, aurait pu avoir des effets dévastateurs en raison des clivages politiques » (« La Charte des droits», p.51).

Ce qui appelle tout de même une observation immédiate : comment justifier l'absence de vote par le risque d'un échec ? Agir de la sorte, n'est-ce pas remettre en cause et violer les règles les plus fondamentales d'un débat censé être un débat démocratique ? Soit le consensus existe, en effet, et le vote est sans danger, soit il n'existe pas, et c'est violer tous les principes proclamés officiellement que de ne pas y procéder !

Mais il y a plus. Car M. Braibant, à qui avait échu entre-temps l'honneur de présenter la Charte « achevée » devant les chefs de gouvernement, au sommet de Biarritz, en octobre 2000, fournit d'ultimes précisions qu'on ne peut passer sous silence : « // eût fallu que mon intervention fût bien maladroite pour rouvrir des débats ou susciter des réserves. En effet, comme on dit d'ordinaire dans le Casino où nous nous étions réunis, "les jeux étaient faits" grâce aux travaux de la Convention et aux négociations diplomatiques officieuses qui les avaient accompagnées. Ayant quitté la salle juste après mon intervention, j'ai appris, par la suite, que quelques membres du Conseil avaient tenté de présenter des observations mais qu'il leur avait été rappelé par la présidence que le temps des discussions était terminé » (« La Charte des droits », p. 53).

On a bien lu ! Sur une question aussi importante que la rédaction de la Charte des droits fondamentaux, aujourd'hui incorporée auTraité constitutionnel, les chefs de gouvernements et chefs d'État qui ont « tenté de présenter des observations », se sont vu rappeler à l'ordre, et intimer celui de se taire, alors que c'était la première fois qu'ils se réunissaient pour examiner un projet précis ! Là encore, on est saisi d'une immense stupéfaction quant au procédé. On ne peut par ailleurs s'empêcher de s'interroger sur une telle mansuétude de leur part, car, a priori, aucun d'entre eux ne paraît s'être rebellé devant ce forcing. Comme si leur volonté propre était annihilée en la matière par une autre volonté, mal identifiée, mais réelle. L'épisode montre bien de quelle manière le fonctionnement même des institutions européennes peut aboutir à la négation des volontés nationales, au profit d'une ligne commune dont on finit par ne plus savoir qui la définit vraiment !

Observons, pour terminer, que l'affaire de « l'héritage religieux » est, à elle seule, particulièrement révélatrice de la rupture de la Convention avec tout véritable processus démocratique. Car la revendication ne venait pas d'une petite minorité : Guy Braibant précise lui-même (p. 50) « qu'il émanait d'une majorité des représentants du Parlement européen, qui voulaient l'introduire en échange de l'introduction de plusieurs nouveaux droits sociaux ».

On sait ce qu'il en advint.

On pourrait, à ce stade, tenter de se rassurer en se disant que la Charte ne saurait l'emporter sur les Constitutions nationales.

Ce serait, cependant, faire fausse route.

En effet, la proclamation de la primauté du droit européen sur tous les droits nationaux, y compris les Constitutions nationales, est tout aussi claire dans le nouveau traité qu'en 2005 : le mandat 2007 précisait en effet que, « en ce qui concerne la primauté du droit de l'UE, la CIG adoptera une déclaration rappelant la jurisprudence de la Cour de Justice de l'UE ».

Or, cette même Cour de justice des communautés européennes (CJCE) a jugé solennellement que les Constitutions nationales devaient s'effacer devant les actes communautaires (arrêt « Internationale Handelsgesellshaft », 17 décembre 1970, n° 11770). Citons ici le texte de cet arrêt : « L'invocation d'atteintes portées soit aux droits fondamentaux tels qu'ils sont formulés par la Constitution d'un État membre, soit aux principes d'une structure constitutionnelle nationale ne saurait affecter la validité d'un acte de la Communauté, ou son effet sur le territoire de cet État ».

Dira-t-on alors que le nouveau Traité ne reprend pas la mention explicite de cette primauté prévue au projet de Constitution de 2005 ? Ce serait négliger la déclaration n° 17 annexée au nouveau Traité, ainsi rédigée : « Déclaration relative à la primauté : La Conférence rappelle que, selon une jurisprudence constante de la Cour de justice de l'UE, les traités et le droit adopté par l'Union sur la base des traités priment le droit des États membres, dans les conditions définies par ladite jurisprudence. En outre, la Conférence a décidé d'annexer au présent Acte final l'avis du Service juridique du Conseil sur la primauté tel qu'il figure au document 11197/07 (JUR 260) : "Avis du Service juridique du Conseil du 22 juin 2007 : II découle de la jurisprudence de la Cour de justice que la primauté du droit communautaire est un principe fondamental dudit droit. Selon la Cour, ce principe est inhérent à la nature particulière de la Communauté européenne. À l'époque du premier arrêt de cette jurisprudence constante (arrêt du 15 juillet 1964 rendu dans l'affaire 6/64, Costa contre ENEL), la primauté n'était pas mentionnée

dans le traité. Tel est toujours le cas actuellement. Le fait que le principe de primauté ne soit pas inscrit dans le futur traité ne modifiera en rien l'existence de ce principe ni la jurisprudence en vigueur de la Cour de justice (...). Il [en] résulte (...) qu'issu d'une source autonome, le droit né du traité ne pourrait donc, en raison de sa nature spécifique originale, se voir judiciairement opposer un texte interne quel qu'il soit, sans perdre son caractère communautaire et sans que soit mise en cause la base juridique de la Communauté elle-même."»

L'essentiel est donc acquis : les Constitutions nationales devront désormais systématiquement s'effacer devant le droit communautaire. Les effets de la Charte, à l'instar de l'ensemble des actes juridiques communautaires, se développeront donc sans garde-fous nationaux, envers et contre la volonté des gouvernements et des citoyens des États membres.

Le Traité de Lisbonne et le « mariage » des personnes de même sexe

La question de l'héritage chrétien : une opposition lourde de conséquences

On a dit comment l'amendement présenté par les représentants du Parlement européen avait été écarté d'emblée par le négociateur français à la convention sur la Charte des droits fondamentaux, au motif qu'il était contraire au caractère laïque de la Constitution française.

L'argument ne tient pas une seconde, dans la mesure où cette Constitution n'a cessé d'être révisée pour rendre possible l'adoption des textes européens successifs, et où rien ne s'opposait à ce qu'elle le fût une nouvelle fois, sur ce point. En outre, et surtout, la mention d'un héritage religieux de l'Europe, qui relève d'une pure constatation de fait, ne pouvait en rien être opposée au « principe de laïcité ». La laïcité ne consiste pas à nier en effet le fait religieux - cela, c'est du laïcisme - mais à distinguer les sphères du spirituel et du temporel, ce qui est tout à fait différent.
En réalité, il semble que la raison de fond de cette opposition était de ne donner à l'Union européenne aucune connotation chrétienne, notamment en vue d'une adhésion ultérieure de la Turquie.

On peut, pour s'en convaincre, se reporter une nouvelle fois aux « travaux préparatoires » de la Charte. Dans son ouvrage précité, Guy Braibant expose en effet qu'à la question qu'il avait posée aux tenants de la mention contestée de savoir de quelles religions il s'agissait, il ne lui avait été apporté aucune réponse satisfaisante. « J'ai demandé si l'islam, qui a joué un grand rôle dans l'histoire de l'Espagne et qui est aujourd'hui la deuxième religion de France, et la religion majoritaire d'un des pays candidats à l'adhésion à l'Union européenne, la Turquie, était compris dans l'héritage ; à cette question précise, les réponses ont été diverses » (« La Charte des droits », p. 78).

Pourtant, il était facile de répondre que l'islam avait été repoussé hors d'Espagne depuis de longs siècles, et qu'il ne restait que des traces secondaires et très anciennes de sa présence dans ce pays, construite depuis sur les principes chrétiens et non musulmans ! Quant au fait

que certains pays candidats seraient à majorité musulmane, et que cela pourrait créer des difficultés à cet égard, il est évident que poser ainsi le problème revient à inverser l'ordre des facteurs : si l'Europe est profondément marquée par le christianisme, et si sa culture en est inséparable, ce que nul ne peut contester, c'est alors aux candidats de se plier à ce fait, et non à elle d'effacer ce qu'elle est pour les accueillir !

C'est là le point central du débat, d'ailleurs. « Un enjeu, qui revêt un caractère plus philosophique, mérite qu'on s'y arrête, poursuit en effet Guy Braibant, /'/ s'agit du principe fondamental de l'universalisme des droits de l'homme avec, comme il est dit dans le deuxième alinéa du préambule, les 'Valeurs indivisibles et universelles de dignité humaine, de liberté, d'égalité et de solidarité". Comment pourrait-on dans le même temps se référer à un héritage religieux, qui ne peut être universel, par définition ? ». Et d'ajouter que la Commission, qui avait bien vu l'enjeu, avait tenu à rappeler que « la référence à un héritage notamment religieux, propre à l'Europe, risquait d'apparaître comme une marque de rejet et un facteur de discrimination allant ainsi à /'encontre d'un projet fondé sur des valeurs qui sont le patrimoine commun de l'humanité » (« La Charte des droits », pp. 78-79).

Ceci est capital : le caractère propre de l'héritage religieux - chrétien - de l'Europe n'est pas nié. Mais, dans le même temps, il est rejeté comme susceptible de s'opposer à un projet universaliste, au profit de valeurs censées être supérieures. Il en découle que le projet de Traité sur l'Union européenne se veut d'emblée comme... non européen. Il a des visées universelles, et doit pouvoir accueillir tout État qui le souhaiterait, même si cet État n'est pas géographiquement situé en Europe, et même si sa culture n'a pas de trait commun avec la culture européenne. Seule compte une convergence de valeurs qualifiées d'universelles, indépendamment de la spécificité des peuples, des histoires, des traditions, des religions !

On comprend dès lors la rédaction étrange de l'article 1-1-2 du projet de Traité de 2005, dont ne s'écarte à aucun moment celle du nouveau Traité, qui se refuse à définir les frontières géographiques de l'Europe, alors que M. Sarkozy avait, au moins sur ce point, relevé une telle nécessité : « L'Union est ouverte à tous les États européens qui respectent ses valeurs et qui s'engagent à les promouvoir en commun », sans qu'à aucun moment ne soit définie la notion même d'États européens, ni que soient arrêtées des frontières matérielles. Il n'est en effet pas question que l'Europe s'arrête... à l'Europe. Elle a une vocation, sinon mondiale, du moins régionale, ce qui signifie qu'elle pourrait bien s'ouvrir plus tard, le moment venu, y compris aux pays du Maghreb. Et le mandat de la CIG 2007 prévoyait, de même, une rédaction de ce type : « Tout État européen qui respecte les valeurs visées à l'article 2 et qui s'engage à les promouvoir peut demander à devenir membre de l'Union ». Et de fait, cette disposition est reprise littéralement dans le nouveau Traité (§ 56, article 1er, modifiant l'article 49 du Traité sur l'Union européenne - article 49 du TUE, paragraphe 1 ).

Il faut donc bien comprendre que ce n'est pas seulement un héritage chrétien qui a été ainsi récusé, et qui le demeure avec la même force aujourd'hui, mais l'idée même d'une identité européenne autre que celle fondée sur des valeurs abstraites et générales. Les électeurs de 2005 ont ainsi été égarés quant à la portée de leur vote : ceux qui pensaient, en votant « oui », ériger une Europe au sens courant du terme, étaient loin de se douter qu'ils participaient en fait à l'érection d'un concept purement politique, déconnecté de la géographie comme de l'histoire !

Le relativisme des « valeurs européennes universelles »

Ce qui précède permet d'ailleurs de mieux comprendre la formulation du préambule de la Charte, selon laquelle la protection des principes fondamentaux doit être renforcée « à la lumière de l'évolution de la société, du progrès social et des développements scientifiques et technologiques » (« préambule » de la Charte des droits fondamentaux, paragraphe 4). Ces principes sont en effet considérés logiquement comme évolutifs, et donc insusceptibles d'être rattachés à une nature humaine intangible. « L'Union opte ainsi pour une conception évolutive et dynamique des droits fondamentaux, écrit à ce propos Guy Braibant, et elle exprime ainsi la modernité de la Charte et le souci de ses auteurs d'y inclure des droits nouveaux tels que ceux qui se rattachent à la bioéthique, à l'informatique, à la protection de l'environnement et des consommateurs » (« La Charte des droits », p. 81).

C'est ainsi un relativisme actif qui est inscrit dans le marbre même du nouveau Traité, y compris pour les droits les plus fondamentaux, censés être toujours susceptibles d'évoluer avec la science et les techniques. Là encore, soit dit en passant, on ne parvient pas à comprendre comment les églises chrétiennes ont pu s'accommoder de cette position de principe, qui va à rencontre, de manière frontale, de leur propre doctrine ! On comprend en revanche que les organisations issues de la franc-maçonnerie, dites philosophiques par la Charte, se soient félicitées de cette « avancée ».

Le nouveau Traité, d'ailleurs, les reconnaît officiellement en tant que telles, et leur donne même un statut équivalent à celui des églises, comme on peut le lire à l'article 15 ter qui sera inséré dans le Traité de Rome, ainsi libellé:* 1. L'Union respecte et ne préjuge pas du statut dont bénéficient, en vertu du droit national, les églises et les associations ou communautés religieuses dans les États membres. 2. L'Union respecte également le statut dont bénéficient, en vertu du droit national, les organisations philosophiques et non confessionnelles. 3. Reconnaissant leur identité et leur contribution spécifique, l'Union maintient un dialogue ouvert, transparent et régulier avec ces églises et organisations » (PC 1-52, article 17 du Traité sur le fonctionnement del'UE-TFUE).

Les conséquences de ce relativisme, il faut le relever, sont immédiates : la Charte admet ainsi la licéité du clonage « thérapeutique » et n'exclut que les pratiques eugéniques et le clonage reproductif (PC 11-63 d, Charte article 3). Alors que, s'agissant du clonage, la différence concerne seulement l'objectif poursuivi, mais non pas l'opération de reproduction elle-même des cellules d'un être humain vivant. « Le clonage, indique ainsi le Conseil d'État dans un rapport daté de 1999, consacré aux lois de bioéthique, peut être défini comme une technique consistant à reproduire des organismes vivants génétiquement identiques. Il peut s'appliquer à de simples cellules ou à des êtres vivants. Il peut avoir une finalité thérapeutique ou reproductive » (« Les lois de bioéthique : 5 ans après », Documentation française p. 14).

De même, en ce qui concerne les personnes âgées, le Traité se refusée leur conférer un droit à une mort naturelle. L'article 25 de la Charte se borne à exposer que « l'Union reconnaît et respecte le droit des personnes âgées à mener une vie digne et indépendante et à participer à la vie sociale et culturelle », ce qui va de soi (PC 11-85). En revanche, indique à nouveau Guy Braibant, « si plusieurs personnes ont présenté des amendements tendant à préciser que toute personne a droit à la vie jusqu'à sa mort naturelle, cette formule n'a pas été retenue, car certains États, comme les Pays-Bas, s'orientent vers une reconnaissance partielle et progressive du droit à une mort digne » (« La Charte des droits », p. 92).

L'indifférentisme sexuel

Le nouveau Traité fait également un grand pas en avant dans le sens de la reconnaissance institutionnelle, et à égalité avec la famille issue du mariage entre personnes de sexe différent, de « familles homosexuelles ».

Tout d'abord, en dissociant explicitement la notion de mariage de celle de famille (« Le droit de se marier / et le droit de fonder une famille sont garantis selon les lois nationales qui en régissent l'exercice » - « La Charte des droits », article 9, PC 11-69). Alors que la Déclaration universelle des droits de l'homme, adoptée en 1948 par l'ONU - mais qui n'a toujours pas été rendue applicable en France ! - définit la famille comme l'union d'un homme et d'une femme, et en fait l'élément naturel et fondamental de la société (article 16 de la Déclaration), le nouveau Traité promeut un modèle neutre à la fois du mariage et de la famille en ce qui concerne le sexe des « conjoints ». Dans « l'explication » officielle de cet article, d'ailleurs, on trouve le développement suivant : « La rédaction de ce droit a été modernisée afin de recouvrir les cas dans lesquels les législations nationales reconnaissent d'autres voies que le mariage pour fonder une famille. Cet article n'interdit ni n'impose l'octroi du statut du mariage à des unions de personnes de même sexe. Ce droit est donc semblable à celui prévu par la Convention européenne des droits de l'homme, mais sa portée peut être étendue lorsque la législation nationale le prévoit» (« La Charte des droits », p. 144).

La porte est donc largement ouverte à une reconnaissance officielle des mariages ou familles homosexuelles. Elle l'est d'autant plus que le nouveau Traité comporte plusieurs dispositions interdisant toute discrimination à raison de l'orientation sexuelle et encourageant au contraire des discriminations positives.

On citera tout d'abord l'article 21 de la Charte (PCII-81) : « Est interdite toute discrimination fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur (...) ou l'orientation sexuelle ». Puis l'article 52 (PC II-112) : « Toute limitation de l'exercice des droits et libertés reconnus par la présente Charte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel des dits droits et libertés. Dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d'intérêt général reconnus par l'Union ou au besoin de protection des droits et libertés d'autrui ». Un retour en arrière en la matière sera donc quasiment impossible : jamais la réservation du mariage et de la fondation d'une famille aux seuls couples hétérosexuels ne sera considérée comme « nécessaire et répondant à des objectifs d'intérêt général reconnus par l'Union », les institutions européennes étant déjà acquises à une large extension au profit de la « communauté homosexuelle ».

On citera également l'article 10 nouveau du Traité sur le fonctionnement de l'UE, tel qu'il résulte du § 23 du nouveau Traité, article 2 : « Dans la définition et la mise en œuvre de ses politiques et actions, l'Union cherche à combattre toute discrimination fondée sur le sexe, la race ou l'origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l'âge, ou l'orientation sexuelle ».

On retrouve là, d'ailleurs, une orientation fixée déjà dans l'ancien article 111-124-1 du projet pour 2005, lequel, après avoir à nouveau posé le principe de la non-discrimination à raison de l'orientation sexuelle, ajoutait dans son § 2 que « la loi ou la loi-cadre européenne peut établir les principes de base des mesures d'encouragement de l'Union et définir de telles mesures pour appuyer les actions des États membres entreprises pour contribuer à la réalisation des objectifs visés au § 1, à l'exclusion de toute harmonisation de leurs dispositions législatives et réglementaires » (dispositions reprises à l'article 19 du TFUE).

Tout ceci signifie nécessairement que des mesures seront prises pour assurer l'égalité des « couples homosexuels » devant le mariage et la famille, par rapport aux couples hétérosexuels. D'ailleurs, le préambule du protocole n° 12 à la Convention européenne des droits de l'homme et de sauvegarde des libertés fondamentales prévoit lui-même que « le principe de non-discrimination n'empêche pas les États parties de prendre des mesures afin de promouvoir une égalité pleine et effective, à la condition qu'elles répondent à une justification objective et raisonnable »...

Là encore, on peut citer utilement le négociateur français de la Charte : « L'interdiction des discriminations négatives ne s'étend pas aux discriminations positives, c'est-à-dire celles qui ont pour objet de rétablir une égalité rompue de fait. La circonstance que ces dernières ont été expressément prévues à propos de l'égalité entre les sexes à l'article 23 n'empêche pas que le même principe s'applique dans d'autres matières. Il faut noter que, selon le préambule du protocole 12 à la Convention européenne des droits de l'homme, "le principe de non-discrimination n'empêche pas les États parties de prendre des mesures afin de promouvoir une égalité pleine et effective, à la condition qu'elles répondent à une situation objective et raisonnable" » (« La Charte des droits », p. 156).

Les choses sont donc claires ! Une fois proclamée l'égalité absolue entre la relation homosexuelle et la relation hétérosexuelle, y compris sur le plan naturel et social - ce que fait la Charte - le reste suivra : toute discrimination positive destinée à forcer cette égalité de traitement, y compris en ce qui concerne le mariage et l'adoption, sera non seulement bienvenue mais devra être regardée comme la simple mise en œuvre de stipulations en fait obligatoires du droit européen.
On ne s'étonnera pas, dans ces conditions, de la campagne active des mouvements homosexuels en faveur du « oui », en 2005. Y compris en collaboration directe avec les grands partis politiques français : dans un communiqué commun du 16 mai, l'UMP et Gay-lib, « mouvement associé à l'UMP chargé d'évoquer les problématiques sociales et politiques liées à l'homosexualité » avaient co-signé le texte suivant : « L'Europe est porteuse des valeurs de respect de l'individu. Pour la première fois en Europe, un texte de valeur constitutionnelle impose le principe de non-discrimination en raison, notamment, de l'orientation sexuelle (Art. 11-81 et III-124). Pour cette raison nous appelons à voter "oui" à la constitution européenne. Ce texte apporte une garantie précieuse que les Gays attendaient depuis longtemps. Voter "oui" à la constitution, c'est nous donner les moyens constitutionnels de renforcer considérablement la lutte contre l'homophobie dans les 25 pays membres. C'est aussi faire de l'Europe un exemple pour le reste du monde en matière de respect des droits des gays et des lesbiennes ».

Conclusion

La Charte et le Traité de Lisbonne constituent, on vient de le voir, un corpus à la fois contraignant et anti-démocratique en faveur - entre autres valeurs relativistes - du mariage des personnes de même sexe.

L'idée même d'un statu quo en l'état - et a fortiori d'un retour au contenu naturel du mariage -, s'agissant de la loi du 17 mai 2013, si elle ne pose pas de véritable problème en droit interne français, suppose donc que soit résolue de manière nette la question de la légitimité des textes actuels de droit communautaire, que les tenants de la loi ne manqueront pas d'opposer au législateur français, devant le juge, le moment venu.

La conviction de l'auteur de ces lignes est ainsi que toute véritable action à long terme en faveur de la restauration de l'union homme-femme dans le cadre du mariage passe nécessairement par une renégociation de ces deux textes, et par une réflexion sur le contenu de valeurs européennes qui doivent nécessairement, pour exister, être fondées sur la nature de l'être humain (esprit et corps).

Entre le gender et l'être humain, l'Europe doit choisir !

André Bonnet (Pseudonyme)


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"L'enfant et les parents" par Anne Morineaux-de Martel - IF&R



Résumé

En France, on assiste à une accumulation des lois destinées à régir les relations entre les enfants mineurs et leurs parents - spécialement lorsque ces derniers sont en conflit. Deux situations sont particulièrement visées : les conflits survenant à la naissance de l'enfant, c'est-à-dire, en général, à un moment où le couple parental n'est pas encore établi dans la durée ; la séparation ou le divorce des parents, après une période plus ou moins longue de vie commune. L'étude conduit à s'interroger sur la pertinence de cet acharnement législatif; d'un côté le législateur cherche à gérer d'une manière de plus en plus précise et autoritaire les mésententes entre les parents, de l'autre il abandonne l'objectif qui devrait être prioritaire : favoriser la stabilité des couples nécessaire à l'épanouissement de l'enfant.




Les quarante dernières années ont vu paraître des lois très importantes visant à uniformiser les statuts des enfants dans le sens de l'égalité : il n'y a plus d'enfants « légitimes » ou « naturels », plus d'enfants « adultérins » ; les seuls enfants encore soumis à un régime particulier sont les enfants incestueux, dont la révélation de la filiation complète est interdite, et surtout les enfants adoptés, dont le statut reste complexe.

Après le « mariage pour tous » ayant permis le « mariage homosexuel », le rapport Théry-Leroyer, commandé le 4 octobre 2013 par Mme Bertinotti, ministre déléguée chargée de la Famille, et déposé en février 20141, va plus loin dans la volonté d'égalité des enfants, en préconisant l'alignement de tous les types de filiation sur un modèle de référence, qui serait celui de la filiation adoptive, elle-même uniformisée.

Ainsi, la filiation dite charnelle ou biologique ne se distinguerait plus de la filiation adoptive que d'une manière accessoire. En effet, une des conclusions majeures du groupe de travail est que la parenté est fondée essentiellement sur la volonté encadrée par la loi. Des textes préparatoires, par exemple le projet de statut des beaux-parents, amorcent la réforme.

Outre le caractère révolutionnaire de l'approche ainsi retenue (jusqu'à présent, c'est la filiation adoptive qui était supposée « copier » la filiation charnelle), ses conséquences théoriques et pratiques sautent aux yeux. Puisque le statut juridique des enfants serait désormais unique, et déconnecté de la situation des parents, des adultes inscrits dans des postures juridiques nouvelles pourraient accéder au statut de parents, prétendument sans aucun dommage pour les enfants, et même pour leur plus grand intérêt. Après la figure particulière du « couple homosexuel », c'est la figure plus générale des « parents d'intention » qui serait reconnue.

Elle est d'ores et déjà présentée comme la figure du « couple responsable », pour faire contraste avec les couples « mal-aimants », jugés seuls coupables du malheur résiduel dont peuvent encore souffrir des enfants, malgré les efforts d'un législateur toujours persuadé d'avoir agi pour le plus grand bonheur des citoyens, du premier au dernier jour de leur vie.

Nous voulons nous interroger ici sur la pertinence de ce projet, en le replaçant dans son contexte concret. Car ses promoteurs paraissent considérer que des « parents d'intention » seront, en moyenne, plus aimants que des parents actuels, charnels ou adoptifs. Mais ils n'apportent aucun élément de preuve à l'appui de ce postulat ; sauf le soupçon que l'on peut avoir d'une trop grande proximité, dans leur esprit, entre l'aisance matérielle et la capacité à procurer le bonheur.

Les lois votées depuis quarante ans ont-elles efficacement protégé les enfants contre les désaccords entre adultes, contre la séparation des adultes ? Le rapport Théry-Leroyer ne s'attarde pas véritablement sur cette question, pressé qu'il est d'exposer sa problématique réformiste.

Et pourtant, un bilan pratique de l'activité législative des quarante dernières années en matière familiale conduirait peut-être à s'interroger sur l'opportunité d'adopter une nouvelle loi pour satisfaire de nouvelles attentes des adultes.

Pour illustrer quelques-unes des difficultés constatées par les praticiens du droit, nous examinerons successivement la place de l'enfant qui naît dans le conflit des parents, puis la place de l'enfant qui grandit dans les séparations des parents, avant d'ouvrir quelques perspectives sur ce que nous voudrions espérer pour le droit des familles de demain.

L'enfant qui naît dans le conflit des parents

La venue de l'enfant au monde - l'accouchement de la mère - crée une obligation sociale immédiate, l'enfant doit être déclaré à l'état civil, au plus tard dans les trois jours de sa naissance. L'article 55 du Code civil décrit les informations que doit contenir l'acte de naissance : principalement l'identité des parents, le ou les prénom(s) qu'ils vont donner à leur enfant. Celui-ci est donc immédiatement identifié, il entre dans la lignée de chacun de ses père et mère. Son acte de naissance est établi pour toute sa vie. Il sera seulement complété, au cours de l'existence du titulaire, par des mentions relatives à l'état civil dites « marginales », en ce qu'elles sont ajoutées en marge de l'acte par exemple le mariage, le pacs, et d'autres modifications d'état telles que le divorce, un changement de nom ou de prénom, un jugement d'adoption, et enfin le décès.

La proposition contenue dans le rapport Théry-Leroyer de limiter au seul titulaire ainsi qu'à certaines administrations la délivrance de la « copie intégrale » d'acte de naissance comportant toutes les mentions marginales, au nom du respect de la vie privée, apparaît excessive. Dans cette hypothèse, le futur conjoint n'aurait même pas le droit de vérifier l'identité complète de la personne avec laquelle il va partager sa vie (déjà marié(e), divorcé(e), combien de fois ? Changement de sexe ?).

Et, lorsqu'il s'agit de la première mention devant figurer sur un acte de naissance, celle du lien filiatif, les difficultés qui peuvent se présenter pour l'établissement de ce lien conduiront-elles à doter certaines personnes d'actes de naissance entièrement vierges ?

Modalités générales d'établissement du lien filiatif charnel

En règle générale, aucun conflit n'entoure le droit de la naissance et de l'adoption, c'est un droit heureux, l'enfant paraît et le couple l'accueille avec félicité.

1 °/ La femme qui accouche est automatiquement la mère du nouveau-né. La seule mention de son nom dans l'acte de naissance signifie qu'elle est la mère. Aucune autre formalité n'est nécessaire pour créer le lien de filiation envers l'enfant dont elle vient d'accoucher.

2°/ Pour le père, l'état de mariage vaut à soi seul reconnaissance de paternité (article 312 du Code civil). Il suffit que son nom en tant que père soit mentionné dans l'acte de naissance. Par déduction, l'homme marié est le père de l'enfant de son épouse.

En revanche, si une épouse a déclaré l'enfant qui vient de naître sous son seul nom personnel, ou sans désigner son mari en tant que père, la « présomption de paternité » est écartée. Elle est écartée aussi, lorsqu'une procédure de divorce a été introduite, et que l'enfant est né plus de trois cents jours après le jugement ou l'ordonnance fixant les résidences séparées des époux.

Dans les deux cas ci-dessus, la paternité du mari est automatiquement effacée, sans qu'il y ait lieu d'introduire une procédure. Une telle disposition a le mérite d'inciter à la vérité de la filiation, ainsi il n'y aura pas d'obstacle à la reconnaissance de l'enfant par le véritable père, et celle-ci pourra intervenir plus rapidement.

Néanmoins, la paternité du mari peut être rétablie si l'enfant, élevé à son domicile, demeure sans autre filiation paternelle établie (il n'a été reconnu par aucun autre homme), il jouit à ce moment-là de la « possession d'état » d'enfant du couple, ce qui suppose une réconciliation des époux. La paternité du mari peut aussi être rétablie par reconnaissance2. Elle peut également, s'il y a conflit de filiations, être rétablie par décision de justice, avec les règles d'administration de la preuve en ce domaine, c'est-à-dire essentiellement l'expertise biologique.

La présomption de paternité au profit du mari, même amoindrie, demeure un signal très fort. Elle repose sur le devoir de fidélité des époux, en l'occurrence de l'épouse. Elle est aussi le symbole de leur unité.

3°/ En l'absence de mariage, il n'y a pas de présomption de paternité, et celui qui se prétend être le père de l'enfant dont telle femme vient d'accoucher, doit le déclarer formellement. Le plus souvent, la reconnaissance par le père se fait au moment de l'établissement de l'acte de naissance, par une mention explicite dans l'acte et l'énoncé de l'état civil complet du père (article 62 du Code civil).

La reconnaissance peut même se faire par anticipation, par déclaration avant la naissance au service d'État civil, cela est même assez fréquent. Peut-être le couple a-t-il besoin d'officialiser l'événement à venir, apporter à la famille une forme de sécurité en l'absence de mariage. La reconnaissance peut aussi avoir lieu plus tard, par déclaration unilatérale au service de l'État civil de la mairie de son choix (plus rarement elle peut avoir lieu par acte authentique dressé par un notaire, ou par déclaration judiciaire). Aucun justificatif n'est demandé au père, aucun contrôle de la véracité de la déclaration n'est exercé par les services administratifs. Ensuite, aucune autre reconnaissance ne peut être faite par un autre homme, sauf à créer un conflit de filiation qui sera tranché par le tribunal, c'est ainsi qu'en présence de déclarations contradictoires, le dossier est transmis au parquet par l'officier d'état civil3. Enfin, la reconnaissance peut se faire judiciairement, contre le gré du père, par décision de justice.

Les principales difficultés liées à l'établissement du lien de filiation charnelle

Dans le mariage

Un enfant peut se trouver sans filiation paternelle établie, si l'acte de naissance ne désigne pas le mari de sa mère en qualité de père, ou si les époux sont légalement séparés depuis plus de trois cents jours précédant sa naissance. En ce cas, la détermination de sa filiation paternelle devra se faire selon les règles applicables aux couples non mariés, comme cela est dit ci-après.

Hors mariage

La première difficulté pour l'enfant tient à l'absence de reconnaissance par la mère, avec les conséquences qu'elle comporte pour la reconnaissance par le père.

La non-reconnaissance par la mère est de plus en plus rare de nos jours, compte tenu de la facilité d'accès aux moyens de contraception. Quoi qu'il en soit, les cas d'abandon à la naissance par la mère concernent en moyenne 700 enfants par an.

La mère en état de détresse est autorisée à accoucher sous X, elle demande à ce que ni son identité, ni celle du père ne soient révélées, ce que la loi permet. Certes, il n'est pas interdit au père de se manifester directement, mais encore faut-il qu'il soit informé de la naissance, du lieu et de la date ; le Code civil, article 62-1, lui permet de solliciter le concours des services du procureur de la République, il doit cependant agir très vite, car l'enfant ainsi « abandonné » est remis aux services de l'Aide sociale à l'enfance, et il est immatriculé comme pupille de l'État. En l'absence de manifestation de la part de l'un ou l'autre de ses parents, pendant un délai de deux mois, cet enfant est placé dans une famille d'accueil en vue de l'adoption (article 352 du Code civil), et à partir de ce moment-là, la restitution aux parents charnels peut être refusée.

Malgré la souffrance de la mère qui a pu la conduire à une telle extrémité, la question se pose aussi de celle de l'enfant, qui ne sera pas autorisé à savoir qui elle est et qui est son père, par voie de conséquence. La loi du 22 janvier 2002 a créé le Conseil national pour l'accès aux origines personnelles (CNAOP), chargé de recueillir les informations qui peuvent être portées à la connaissance de l'enfant majeur, ou pendant sa minorité à ses représentants légaux (parents adoptifs, tuteur), mais ces informations ne sont révélées que si sa mère y consent. Le droit de l'enfant à connaître ses origines « dans la mesure du possible » selon l'article 7 de la Convention internationale des droits de l'enfant, est donc écarté pour l'instant de notre droit positif.

C'est un premier exemple de conflit entre les droits de la mère, et ceux de l'enfant.


L'absence de reconnaissance de l'enfant par le père non marié avec la mère est plus fréquente.

Le couple ne s'est pas rencontré dans la perspective d'avoir un enfant, ou plutôt leurs motivations sont différentes. La femme veut un enfant, mais pas l'homme. Le refus de celui-ci peut être dû au fait qu'il a déjà des enfants d'une autre union, dissoute ou pas, et qu'il ne souhaite pas agrandir sa famille. Il se peut aussi qu'il ne veuille pas d'enfant du tout, préférant s'en tenir à une vie de couple. Son amie ayant refusé d'avorter, la discorde s'installe et le couple se sépare.

Le plus souvent, malgré la discorde et la séparation, le père qui n'a aucun doute sur sa paternité va reconnaître son enfant et admettre sa responsabilité.

S'il ne le fait pas, la mère est placée devant une alternative : soit laisser faire, ne pas poursuivre le père, et élever seule l'enfant, soit introduire une procédure devant le tribunal de grande instance. Si les conditions sont réunies et que le dossier de la mère comporte des preuves suffisantes pour convaincre le tribunal, la paternité peut être établie sans autres investigations, surtout si le père la reconnaît. En revanche, s'il n'y a pas d'accord, le tribunal peut ordonner une expertise biologique. Pour l'instant cette mesure d'investigation n'est pas obligatoire, mais il se peut qu'elle le devienne, sous l'influence de la Cour européenne des droits de l'homme, en faveur de la preuve scientifique. Le résultat de l'expertise biologique permet à l'enfant d'obtenir une réponse définitive sur sa véritable filiation.

Il arrive que l'action de la mère, pour faire reconnaître judiciairement la paternité de son enfant, ait été fortement encouragée par la Caisse d'allocations familiales qui verse notamment l'allocation de soutien familial au parent assumant seul la charge d'un enfant. Si les revenus de la mère sont modestes, elle a intérêt à solliciter le bénéfice de l'aide juridictionnelle, car la procédure peut être longue et onéreuse, notamment pour l'avance des frais d'expertise. En outre, sur le plan financier, la procédure sera peut-être inutile, si par exemple le père désigné n'est pas en mesure de payer une pension alimentaire, mais elle présente un grand avantage pour l'enfant dont la filiation paternelle sera établie avec certitude.

Il arrive qu'à l'inverse, la mère puisse être tentée de ne pas laisser le père reconnaître l'enfant, elle ne veut plus qu'il interfère dans sa vie, ni qu'il partage avec elle l'autorité parentale. Ce faisant, elle renonce à demander au père une contribution à l'entretien de l'enfant, car immanquablement un droit de visite et d'hébergement lui serait accordé ; elle renonce aussi aux aides de la Caisse d'allocations familiales qui lui demanderait des précisions. Si le père connaît la date et le lieu de l'accouchement, il peut reconnaître l'enfant sans l'accord de la mère. Si la reconnaissance par le père est le reflet de la réalité biologique, la mère ne pourra pas la contester sérieusement.

Une autre difficulté due à la non-reconnaissance par le père survient parfois. Certaines mères, peu désireuses de poursuivre le père avec lequel, par exemple, elles n'ont eu que des relations éphémères, peuvent être tentées de le faire reconnaître par un autre homme avec lequel elles vont vraiment partager leur vie. La simplicité de la démarche peut inciter à cette fraude : il s'agit d'une fausse reconnaissance. C'est une très mauvaise décision, car les aléas de la vie peuvent faire que le caractère mensonger de la reconnaissance éclate au grand jour, au plus grand détriment de l'enfant qui s'est attaché à ce père de complaisance. La fraude pourra apparaître si le couple se sépare, le « père de fortune » n'ayant en ce cas aucune envie de payer une pension alimentaire. L'absence de ressemblance physique entre ce père et l'enfant peut aussi poser question. Enfin, si d'aventure se présente dans l'entourage familial un homme avec lequel la ressemblance avec le jeune est criante, la confusion est à son comble.

Depuis l'ordonnance du 4 juillet 2005 et la loi du 16 janvier 2009, les délais pour introduire l'action en contestation ont été unifiés pour toutes les filiations, et réduits à cinq années (article 333 du Code civil) ; toutefois le ministère public bénéficie d'un délai de dix années. Ces délais dont le point de départ n'est pas précisé, soulèvent des difficultés d'interprétation, d'autant plus que, selon les dispositions générales de l'article 321 du Code civil, « Sauf lorsqu'elles sont enfermées par la loi dans un autre délai, les actions relatives à la filiation se prescrivent par dix ans à compter du jour où la personne a été privée de l'état qu'elle réclame, ou a commencé à jouir de l'état qui lui est contesté. À l'égard de l'enfant ce délai est suspendu pendant sa minorité». La question générale est de savoir au bout de combien de temps une filiation, qui n'était pas très claire au départ, peut devenir définitive et incontestable par l'effet de la loi. Au bout de combien de temps fait-on prévaloir la stabilité de la filiation sur la vérité biologique ?5

L'enfant qui grandit et la séparation des parents

D'une manière générale, il est admis que la stabilité affective des couples est favorable à l'épanouissement des enfants.

Que peut en effet espérer de mieux un jeune enfant que d'être assuré de l'égale affection de ses deux parents, qui lui apportent ensemble tout ce qui est vital pour lui : le gîte et le couvert assurément, mais aussi la certitude qu'ils ne vont pas soudainement disparaître, l'abandonner, pour aller voir s'il n'y aurait pas plus d'amour ailleurs, plus de satisfactions des sens et du cœur.

Nous ne résistons pas à l'envie de citer, à ce sujet, un mot d'enfant authentique (les prénoms ont été changés) : le papa de Chloé, 5 ans, est parti au loin vers d'autres amours, laissant sa maman triste et abandonnée. Un jour, elle dit à sa maîtresse «.Armelleest comme moi, elle n'a plus de papa ». Informée de la situation, la maîtresse lui répond, « Mais Chloé, tu as un papa qui t'aime ! » - « Non - répond l'enfant - ce n'est pas moi, c'est maman qu'il faut qu'il aime ».

Primat de la liberté pour les parents dans les procédures de divorce

Malgré cela, le législateur a grand ouvert les vannes du divorce pour tous les couples, qu'il y ait descendance ou pas. Selon le droit positif actuel, celui qui veut le divorce l'obtient toujours, sans avoir à justifier que le maintien du lien matrimonial est devenu « intolérable » pour des faits imputables à l'autre (article 242 du Code civil), il suffit d'être un peu patient. Ainsi le divorce pour rupture irrémédiable du lien matrimonial peut être prononcé, contre le gré du conjoint, après à peine deux années de séparation de fait, sans examen des griefs, il suffit d'avoir claqué la porte sans intention de revenir.

C'est la liberté qui prime. Ainsi, celui qui veut demander le divorce, même s'il a des enfants, pourra se contenter de dire à son avocat : « je n'ai plus de sentiments ». Lorsque le divorce est demandé par consentement mutuel, le juge aux affaires familiales n'a pas à connaître la cause, il doit seulement s'assurer que « la volonté de chacun des époux est réelle », article 232 du Code civil. Dans ces conditions, comment peut-il vérifier que « leur consentement est libre et éclairé » ainsi que cela est dit dans la suite du texte ? Nombre d'avocats savent que, même dans le divorce par consentement mutuel, il y a souvent un fort et un faible, celui qui veut et celui qui se résigne. Et qu'il peut n'y avoir aucune compensation pécuniaire, faute d'argent.

Lorsque le divorce est demandé pour faute, celle-ci ne doit pas être décrite dans la requête afin de ne pas gêner le processus de conciliation. Cette exigence a sa légitimité, pour éviter les excès qui, bien souvent, transformaient les requêtes en réquisitoires. De là à ne rien pouvoir dire du tout ?6

La facilité avec laquelle on peut se débarrasser du mariage a vidé de son sens le devoir légal de secours entre époux (article 212 du Code civil). On a le droit d'abandonner son conjoint affaibli par la maladie. C'était en germe dans la loi du 11 juillet 1975 instaurant le divorce par consentement mutuel, dont l'une des logiques était : « vous pouvez divorcer tant que vous voulez, mais il faut payer ».

Enfin, la loi dite « Mariage pour tous » a ruiné définitivement la symbolique de l'union en faveur des enfants, en permettant le mariage à des couples par définition non procréatifs. Ce dont se réjouit le rapport Théry-Leroyer : « Le mariage enfin n'est plus ce qui fonde la seule vraie famille, car la paternité et la transmission sont désormais assurées et instituées indépendamment du fait que l'homme soit marié ou que le couple reste uni » (p. 57).

Les enfants dans les procédures de divorce

De fait, la généralisation de la pratique du non-dit dans les procédures de divorce révèle une évidente volonté du législateur de dispenser le juge de tout effort tendant à sauver le mariage et préserver l'union du couple.

Certes, l'on peut feindre de croire, en l'absence d'enfants, que le libre arbitre de deux adultes suffira pour trouver une solution à leurs conflits. Mais, en présence d'enfants, ce postulat ne tient pas : les enfants sont toujours, d'une manière ou d'une autre, parties prenantes dans le conflit des parents. Les questions relatives aux enfants devraient donc être abordées avant le prononcé du jugement, et elles pourraient l'orienter.

Faute de cela, le juge est réduit à régler les conséquences pratiques d'une décision qu'il a dû prendre « à l'aveugle » : qui va faire les choix concernant les enfants ? Où vont-ils habiter ? Selon quelle répartition les parents vont-ils pourvoir à leur entretien ? On n'affirmera pas que cette manière de procéder est conforme à l'intérêt supérieur des enfants.

Partage de l'autorité parentale

Les parents ont égale autorité sur leurs enfants, mais comment mettre en œuvre ce principe s'ils ne cohabitent plus ? Le Code civil a tranché (article 373-2 du Code civil : « La séparation des parents est sans incidence sur les règles de dévolution de l'autorité parentale »). En pratique, cela signifie que chacun a voix au chapitre autant que l'autre, ce qui implique une obligation importante d'informations et de questionnements entre parents. Pour l'instant, il est prescrit à juste titre que les parents, même séparés, doivent collaborer pour les choix éducatifs importants : choix de l'école, de la religion, des loisirs... Le maintien des relations parentales n'est pas critiqué en soi, mais cela peut s'avérer ardu puisque les parents ne s'aiment plus. L'expérience montre que le dialogue n'est pas forcément « apaisé » et que l'obligation naturelle de communiquer entre parents peut se trouver dévoyée par un excès suspicieux de demandes de comptes et d'explications. L'enfant sait très bien ce qui se passe, éventuellement, il sait aussi à quel parent il doit se plaindre si cela l'arrange. La compétition entre ses parents peut créer un vrai malaise, et gêner son éducation.

La situation pourrait se durcir et se figer davantage, si la proposition de loi n° 664 « relative à l'autorité parentale et à l'intérêt de l'enfant », adoptée par l'Assemblée nationale le 27 juin 2014 et transmise au Sénat, était définitivement adoptée. Selon la proposition, l'article 372-1 du Code civil serait ainsi rédigé pour l'avenir : « Tout acte de l'autorité parentale, qu'Hait un caractère usuel ou important, requiert l'accord de chacun des parents lorsqu'ils exercent en commun l'autorité parentale (ce qui est le cas le plus fréquent). Cet accord n'est pas présumé pour les actes importants ». Ce même projet assortit d'amendes civiles les manquements au partage de l'autorité parentale ; ainsi les relations entre parents sont de plus en plus placées sous contrôle. On peut reconnaître là le principe du « renforcement du principe de coparentalité en cas de séparation des parents » évoqué par Mme Théry dans son rapport déposé en 19987.

Au lieu de s'en tenir à un esprit de partage, le parent s'estimant lésé, celui chez lequel l'enfant ne réside pas à titre principal, aura des occasions supplémentaires de demander au juge aux affaires familiales de trancher un différend qu'il aura lui-même exacerbé, en appliquant à la lettre les termes de la loi. Ainsi, le nombre des recours au juge aux affaires familiales continuera à augmenter ; et d'une manière ou d'une autre, chez certains couples, le combat de séparation se poursuivra via l'enfant.

Choix de la résidence habituelle de l'enfant

L'une des conséquences principales de la séparation est que les enfants vont résider habituellement chez l'un de leurs parents, le plus souvent chez la mère (71 % des cas, en 2012, proportion à peu près indépendante de l'âge des enfants)8. L'autre parent aura le droit de les recevoir régulièrement chez lui, en moyenne une fin de semaine sur deux, et la moitié des petites et grandes vacances scolaires. Un tel calendrier est proposé par le juge aux affaires familiales « à défaut de meilleur accord ». La séparation physique des enfants est une épreuve, d'autant plus difficile à comprendre par les enfants que, sauf exception ou nécessité, ce sont les parents qui l'ont voulue. Et la gêne et le chagrin peuvent être ravivés au moment de l'exercice du droit de visite et d'hébergement. Par exemple, tel père crée un climat de tension en ne respectant pas les horaires, ou en faisant chercher l'enfant par sa nouvelle amie ; telle mère se montre intransigeante sur les heures de retour, ne supportant aucun aléa, insultant si besoin le père pour les vêtements tachés ou non rendus9.

Pour éviter le déchirement provoqué par l'absence physique de l'enfant, dans un but égalitaire, et en pleine concertation entre eux, certains parents mettent en place la résidence dite alternée : l'enfant demeure également chez chacun de ses parents, par exemple une semaine sur deux, quelquefois, pour les enfants en bas âge, moitié de semaine chacun. Cette organisation du temps de l'enfant est autorisée par la loi (article 373-2-9 du Code civil). Elle s'applique actuellement à une minorité de couples (16 % des jugements de divorce en 2012), ce qui s'explique notamment par le fait que certaines conditions doivent être réunies : proximité des domiciles respectifs des parents, logement comportant une chambre pour l'enfant, double garde-robe pour aller plus facilement de l'un à l'autre. Quant à l'enfant, il n'est pas certain qu'une telle organisation lui soit favorable, « l'enfant à la valise » a-t-on pu écrire à son sujet ; ou « l'enfant poisson rouge »'°. La résidence alternée est généralement déconseillée pour les tout-petits :« Ni l'enfant ni les parents n'ont besoin de cette égalité stricte pour garder un lien réciproque »".

L'enfant dans ces situations n'a pas de domicile principal, il est dans deux endroits à la fois, c'est-à-dire nulle part, cela peut l'empêcher de s'installer durablement dans un périmètre bien à lui où il se sentira en liberté. La résidence alternée, avec toutes les obligations de temps qu'elle implique envers chacun des parents, peut s'avérer très pesante pour l'enfant. D'une manière plus générale, participer sans cesse à la vie de deux familles à la fois est un exercice difficile pour lui, d'autant plus qu'au lieu de s'aimer l'un l'autre, les parents ne se parlent plus ou à peine, tout en déplaçant leur amour vers l'enfant qui s'en trouve embarrassé12.

Pour autant, la proposition de loi n° 664 sur l'autorité parentale et l'intérêt de l'enfant, précitée, prévoit en son article 7 que si les parents sont séparés, la résidence de l'enfant en alternance chez l'un et l'autre parent devient le droit commun, et la résidence principale chez l'un ou l'autre des parents, l'exception.

11 arrive aussi que le choix de la résidence principale des enfants soit fait par le juge aux
affaires familiales ; en effet les parents sont en désaccord complet, sans espoir de décision
commune. Le juge peut ordonner une médiation, et aussi une enquête sociale qui a pour
but de « recueillir des renseignements sur la situation de la famille, et les conditions dans
lesquelles vivent et sont élevés les enfants ». Les parents sont visités à tour de rôle, parfois
les enfants sont entendus aussi. C'est une épreuve pour eux, comment parler librement de
leurs parents, dire leurs préférences réelles sur le mode de vie auquel ils aspirent, sans dire
de mal de l'un ou de l'autre, ce qu'ils ne supportent pas ? Ils saisissent très bien les enjeux
pour chacun de leurs parents, même si les rapports s'emploient à pacifier le débat par les
formules d'usage, dont celle selon laquelle les enfants entendus ont exprimé le souhait.que
leurs parents restent ensemble.

Le conflit qui perdure peut aussi s'envenimer encore davantage : pour obtenir une modification de résidence, tel père va « pourrir » la vie de la mère en téléphonant tous les jours à son fils, précisément à l'heure du repas ! Pour déconsidérer le père aux yeux des enfants, telle mère va se livrer à des reproches humiliants à propos de l'argent, même s'il a perdu son emploi récemment13. Enfin, certains enfants ont l'opportunité de recevoir quelques gâteries à l'occasion de la querelle si les finances parentales le permettent, ce qui est désastreux pour leur éducation.

Entretien des enfants

Le montant de la pension (ou des pensions) que le parent chez lequel l'enfant (ou les enfants) ne réside(nt) pas habituellement, devra payer à l'autre peut être fixé en concertation entre les parents, et en ce cas le juge aux affaires familiales donne force exécutoire à leur accord. (L'un des « intérêts » de la résidence alternée est qu'il y aurait moins de pension à verser, chacun des parents participant en nature et alternativement aux besoins de l'enfant. Comme on l'a vu plus haut, celui-ci ne s'y retrouve pas toujours).

Mais il y a souvent beaucoup de tensions. Ce qui a été proposé au départ ne peut être tenu, faute d'argent. Les besoins des enfants augmentent au fur et à mesure de leur âge. Les situations des parents peuvent changer : perte d'emploi, maladie. Avec le temps, les situations évoluent, le remariage du père et l'arrivée d'autres enfants vont réduire ses facultés contributives pour les aînés.

L'enfant qui devrait être à l'écart des conflits que l'argent génère, est parfois au cœur de la discorde. C'est l'enfant messager qui rapportera ou non les espèces à l'issue du droit de visite chez le père. Il voit parfois son père incapable de payer quoi que ce soit, car il a perdu son emploi, et pendant ce temps, la dette de loyers de sa mère qui s'accumule. La saisine du juge aux affaires familiales pour modification des pensions alimentaires est très fréquente. En effet, le défaut de paiement de la pension en tout ou partie pendant deux mois consécutifs est passible du délit d'abandon de famille.

Pour certaines familles, dans lesquelles la vie était déjà difficile lorsque le couple partageait le même toit, la séparation peut poser des problèmes financiers insolubles. Comment continuer à s'acquitter des loyers et charges quand on est seul avec les enfants ? Les pensions alimentaires compensent rarement la réalité du coût d'entretien des enfants14.

La loi permet la libre séparation des couples parentaux, mais cette liberté n'est pas forcément celle qu'ils croyaient car ils demeurent responsables des conditions de vie de leurs enfants15.

Quelles perspectives ?

Dans les deux parties précédentes, nous avons montré que les lois des quarante dernières années n'ont pas empêché, et peut-être même ont plutôt favorisé, l'expansion du contentieux familial.

Comprendre pourquoi la filiation adoptive est proposée comme modèle

La ministre de la Justice a tenu, le 30 janvier 2014, aux états généraux de la Famille, des propos qui ne sont pas passés inaperçus (Gazette du Palais, n° 89 du 30 mars 2014). Elle a affirmé qu'après toutes les batailles gagnées - partage de l'autorité parentale, abolition des distinctions entre enfants légitimes, naturels et adultérins, droit au divorce - il fallait rendre effective l'égalité homme/femme: le chef de famille (sous-entendu : l'homme) «n'est plus celui qui fait la loi, qui impose les injustices qui lui conviennent sans que l'État s'en mêle. Désormais l'État s'en mêle par l'intermédiaire du Juge, et nous ne pouvons que nous en réjouir dans la mesure où (actuellement) 60 % des affaires civiles sont familiales. Il y a donc de la part de la famille un fort appel au juge et à la justice ».

Un contentieux d'une telle ampleur nous apparaît plus inquiétant que réjouissant. Il est permis de se demander pourquoi la justice a tant besoin d'être saisie par des familles qui devraient normalement s'occuper elles-mêmes de leurs affaires. D'autant plus que les contentieux civils évoqués par la ministre ne sont évidemment pas limités aux conflits opposant les hommes et les femmes au sein des couples. Ce sont des conflits familiaux qui entraînent les enfants dans les déchirements des adultes.

Pour la ministre, c'est donc la violence faite aux femmes qui serait la cause ultime des violences faites aux enfants. Ce point de vue fait écho au rapport Théry-Leroyer : « Filiation origines parentalité », et fait comprendre ses options.

Parce qu'elles donnent moins prise au déchaînement des passions charnelles entre adultes, les démarches d'adoption peuvent et doivent constituer un référentiel privilégié pour construire « le meilleur des mondes familial ». Il s'agit de soustraire les enfants à la spirale de violences entre les hommes et les femmes, en instaurant le règne d'une parenté rationnelle, par laquelle l'enfant n'est plus le fruit de l'instinct de l'espèce humaine, mais le résultat d'un projet juridique contractuel.

L'institution adoptive devient, selon les préconisations du rapport, une fin en soi : une filiation à part entière qui vient au même rang que la filiation charnelle qu'elle n'a nul besoin d'imiter. La volonté de devenir parent est instituée par la loi, et entérinée par le juge. « On est de moins en moins tenté (dit le rapport p. 63) de confondre deux notions juridiques aussi différentes que celle de parent et celle de géniteur ».

Le rapport ajoute que la connaissance par l'adopté de sa filiation biologique ne gênera pas la filiation adoptive, elle fera partie du parcours de l'enfant. Sous-entendu : s'il y a conflit, il sera vite tranché au profit de la filiation adoptive, qui, elle, repose sur la volonté certaine d'être parent16.

Bien entendu, l'intérêt supérieur de l'enfant est mis en avant. Qu'elle soit simple ou plénière, l'adoption sera « préparée et accompagnée par des professionnels ».

Ainsi, en poussant le raisonnement à l'extrême, les parents charnels pourraient un jour être contraints de demander à l'État de les autoriser à adopter leurs propres enfants. C'est le tribunal qui apprécierait s'ils sont aptes à les accueillir, s'ils ont la « volonté d'être parents » au sens noble du terme.

Tel est l'archétype de la famille qui nous est proposé dans le rapport Théry-Leroyer : une famille heureuse où prime une filiation réussie parce que reposant sur le droit, et dégagée des affrontements qui affligent les parents de l'effet du hasard.

Mais cette nouvelle famille, utopique, repose sur une confusion majeure entre la naissance d'un enfant qui est fait, et son adoption qui est une construction juridique.

La question doit donc être inlassablement reposée : tout accouplement serait-il donc par principe incompatible avec un projet parental ? Les parents charnels seraient-ils moins capables que les parents adoptifs ou les beaux-parents d'assurer durablement le bonheur d'un enfant ? Alors que le projet existe de pousser jusqu'à son extrémité la logique de la dissociation des sexes et de la reproduction, en érigeant en modèle social la « parenté sans chair » baptisée « parentalité », nous pensons qu'il n'existe aucune raison de baisser les bras devant les passions qui, depuis les débuts de l'humanité, ont opposé des êtres de chair et de sang. Il suffirait de ne pas ajouter à la violence des passions la violence des solutions. Selon nous, il suffirait de chercher à répondre à la violence des passions par la patience des solutions.

L'État doit prendre parti pour la stabilité des couples, et non l'inverse

Les dernières statistiques de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), de janvier 2015, nous apprennent que pendant les années 2012 et 2013 le nombre des mariages a baissé, et que le nombre des divorces a encore augmenté. En 2011 et 2012, on a célébré trois mariages pour deux PACS.

Il est une logique que le mariage soit à un niveau très bas, le plus bas depuis 1901, à l'exception des années de guerre. Il ne présente pas d'avantages matériels particuliers par rapport au PACS ou à l'union de fait. En outre, le prononcé éventuel d'un divorce implique des frais d'avocat.

Le législateur lui-même n'a pas le projet d'encourager le mariage, il le permet seulement. Ainsi lors des débats de 2013 sur le « mariage pour tous », la garde des Sceaux a déclaré : « // y a plusieurs façons de bâtir ensemble, en couple ou autour d'enfants, un projet d'amour et de solidarité. Il ne revient pas à la puissance publique de dire ce qui est bien et ce qui est mieux ».

L'État se refuserait donc par principe à évaluer l'utilité sociale réelle des modèles juridiques qu'il propose, et à tirer les conséquences de ses évaluations. Dangereuse irresponsabilité !

En disant cela, de fait la ministre prend parti en faveur de la liberté sexuelle des couples. Liberté d'aimer bien sûr, mais aussi de pouvoir changer librement de conjoint si des nouveaux attachements rendent « évident » le devoir de laisser derrière soi ce que l'on avait commencé à bâtir.

Ce qui est grave, c'est que cette liberté soit accordée aux couples qui ont des enfants, en toute impunité préventive. Les enfants sont les premières victimes des libertés parentales, la sécurité de leur havre de paix, nécessaire à la construction de leur personnalité, peut disparaître d'un jour à l'autre.

Trop peu de médias encouragent l'union durable des couples

Notre société est tentée de s'interdire l'idée du bien et du mal pour s'en tenir au juridique. Seul compterait ce que dit le droit. Au lieu de prendre conscience que nous avons à choisir entre plusieurs options, dont certaines dépassent largement la sphère juridique, nous déciderions donc plus vite, et plus efficacement, si nous nous demandions seulement si nous avons le droit ou pas17.

Le sémiologue Vincent Colonna a dénoncé dans son ouvrage L'art des séries télé 2 : l'adieu à la morale (éd. Payot) la tendance juridico-humanitaire de nos sociétés occidentales, et l'engouement pour les « héros négatifs » des séries diffusées sur certaines chaînes. On ne dit plus « bien » ou « mal », mais « droit » ou « pas droit» (Le Monde, 16 février 2015). Pourquoi montrer si souvent des actes transgressifs, alors que nous nous doutons de l'attirance vertigineuse qu'ils exercent sur les jeunes ? Pourquoi la vie aventureuse des célébrités est-elle montrée avec une telle complaisance ? Comment les adolescents ne peuvent-ils pas être influencés par l'exposition de la vie des beautiful people, acteurs, sportifs, et même certains politiques, qui changent avec brio de mari ou de femme, poursuivant librement leur vie amoureuse, sans que l'envers du décor soit sérieusement montré ?

Il faut que le législateur aide clairement les parents dans leurs tâches éducatives en ne laissant pas aussi systématiquement montrer sous un si beau jour les modèles de la libération sexuelle, comme s'il n'y en avait pas d'autres. Il doit aussi prendre des mesures pour que l'enfant soit plus efficacement protégé, contre les abus de cette nature, par des adultes peu scrupuleux, alors qu'il n'a pas la maturité de comprendre18.

La résistance silencieuse aux divorces et séparations

L'autre facette est plus interne et personnelle : dois-je vraiment l'abandonner, que deviendra-t-il sans moi, et que feront les enfants ? Ce temps pour réfléchir et soupeser est fondamental.

Un signal de choix est montré par la bonne moitié au moins des couples qui restent unis ! Ceux qui peut-être, un jour dans le secret de leur cœur, ont renoncé à la séparation qu'ils avaient un temps envisagée. Ils ont peut-être laissé parler la petite intuition fragile qui leur suggérait d'attendre un peu, de donner une chance, de pardonner.

Parler de tous ces parents courageux et persévérants est important, ils se donnent du mal pour gagner leur vie et nourrir leurs enfants. Les mères et les pères sont égaux en ce domaine, et si l'amour des mères est plus visible, la littérature et les arts sont là pour nous rappeler combien l'attachement des pères pour leurs enfants est profond et durable, qu'il mène le monde même !

Il y a aussi l'amour secret et indéfectible des enfants pour leurs parents. Certains, devenus adultes, n'hésitent pas à prendre parti dans le divorce de leurs parents, pour protéger le faible : « N'oblige pas papa à vendre les parts du bateau » - « Tu ne vas tout de même pas expulser maman ! »

Donner des effets civils au mariage religieux

Dans l'immédiat, il nous apparaît qu'il appartient à l'État de rendre au mariage sa liberté. De ne plus prendre en otage les époux qui veulent à leur façon échanger leurs promesses d'avenir. Les célébrations des mariages chrétiens, juifs ou musulmans, lorsqu'ils réunissent les conditions légales essentielles (libre consentement, nubilité, monogamie) doivent être

reconnues par notre droit comme procurant les mêmes effets civils que les célébrations en

mairie, comme cela se passe dans la majorité des autres États (sans exhaustivité : l'Espagne,

l'Italie, les pays anglo-saxons...).

En rendant à ceux qui le désirent la liberté de s'unir selon des cérémonies ayant à leurs yeux

un meilleur sens, l'État montrera qu'il reconnaît et respecte la diversité des convictions de

chacun.

Encourager concrètement la stabilité des couples procréatifs

La sincérité des couples qui contractent mariage ne peut être mise en doute. Lorsque ceux-ci ont une descendance, il est injuste que la société ne leur donne pas un gage de reconnaissance en favorisant leur stabilité. Il a déjà été démontré que la désunion des familles chargées d'enfants représentait un coût pour la société. Pourquoi feindre de ne pas le savoir ?

Une aide massive, par le biais de la fiscalité apporterait une véritable impulsion au « rester ensemble », pour le plus grand bien des enfants. Elle serait la meilleure manifestation envisageable de « l'intérêt supérieur de l'enfant ».


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I - Abroger: La Genèse d'une loi et ses conséquences    (Janv 2016) (
II - Abroger ! pourquoi ? Comment ? ()
III - Protéger le mariage, l'enfant , la Famille et Interdire la GPA () 
IV - Refonder la politique familiale et la reconnaissance du Mariage religieux () 

Quelques approches sur " l'Abrogation de la Loi Taubira" ...
                                                                              (Nov 2014)  ()
"Abroger la loi Taubira" par Pierre-Olivier Arduin
                                                                                (Nov 2014) ()



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